On se fait parfois des idées
fausses sur certains objets astrophysiques. On pense souvent par exemple qu’une
étoile à neutrons est une boule pleine de neutrons… Or la structure d’un tel
objet est bien plus complexe qu’une grosse boule homogène...
Une étoile à neutrons ressemble
un peu à un noyau atomique géant, qui ferait environ 20 kilomètres de diamètre
pour une masse égale à deux fois celle du soleil. Il s’agit du résidu d’une
étoile massive ayant explosé en supernova mais n’ayant pas eu assez de masse
pour finir en trou noir.
Leur densité extrême associée à
une pression, une température, un magnétisme et un champ gravitationnel
également hors normes en fait des objets tout à fait fascinants à étudier. La
structure de ces objets, aujourd’hui largement admise par les spécialistes,
est représentée par une sphère comportant en surface une croûte d’environ 1 km
d’épaisseur, constituée de noyaux d’atomes exotiques possédant un grand nombre
de neutrons, et arrangés sous forme de réseau cristallin, le tout baignant dans
une mer d’électrons. A la surface de cette croûte se trouvent exclusivement des
noyaux de fer, puis, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la croûte, ce
sont tous les types de noyaux d’atomes plus lourds les uns que les autres que
nous rencontrons, qui plus est, arborant de plus en plus de neutrons, donc des
isotopes hautement radioactifs car instables.
A partir d’une certaine profondeur
(quelques centaines de mètres), des neutrons s’échappent littéralement des
noyaux et forment un liquide neutronique qui s’épanche dans le réseau de noyaux
lourds riches en neutrons.
Un peu plus profondément, à la base de
la croûte nucléaire, les noyaux fusionnent complètement pour former un pur
fluide nucléaire constitué en très grande partie de neutrons, mais pas
uniquement ! Il subsiste quelques protons et quelques électrons. On estime
que ce fluide contient 1 proton pour 20 neutrons. La pression y est d’environ
200 000 milliards de fois celle de l’eau…
Encore plus en profondeur, la
pression augmente toujours, les énergies de Fermi des neutrons et des protons deviennent
si élevées que des particules exotiques peuvent apparaître, comme des mésons et
des hypérons.
Au niveau du cœur des étoiles à
neutrons, on ne sait plus trop ce qui peut se passer, on estime probable que le
fluide se décompose en quarks up et down et en gluons, les briques des neutrons
et des protons.
De telles compositions de matière
nucléaire extrêmes sont explorées – certes à une échelle plus restreinte - auprès des grands accélérateurs de particules
(voir ici), mais l’exploration de l’intérieur des étoiles à neutrons peut aussi
être menée grâce à l’observation directe.
Les plus célèbres étoiles à
neutrons sont celles qui émettent du rayonnement radio périodiquement en
fonction de leur rotation, celles qu’on appelle des pulsars. En mesurant très
précisément la période des signaux radio et donc la période de rotation de
l’étoile à neutron, on peut en apprendre beaucoup sur ce qui se passe à
l’intérieur.
On sait depuis de nombreuses
années que la période des pulsars ralentit de manière continue. Ce
ralentissement de la rotation est dû à la perte de moment cinétique emporté par
les particules chargées qui sont arrachées par le fort champ magnétique de
l’étoile.
C’est donc en observant
attentivement comment évolue ce ralentissement que l’on parvient à modéliser le
comportement des fluides nucléaires de l’étoile à neutron. Et il se trouve que
la plupart des pulsars étudiés ainsi de près (quelques centaines) montrent de
soudaines accélérations de rotation.
Ces défauts rotationnels sont
attribués à des couplages imparfaits entre liquides superfluides au sein de
l’étoile : lorsqu’une étoile à neutrons tourne sur elle-même en quelques
fractions de secondes, le superfluide interne a tendance à tourner plus vite. Le
retour à la co-rotation normale produit les sauts de vitesse de rotation
observés.
Aux températures monstrueuses
existant à l’intérieur des étoiles à neutrons, de l’ordre de 100 millions de
degrés, les neutrons peuvent se coupler en paires et former un liquide
quantique superfluide, tout à fait similaire à ce que l’on connait en laboratoire
à très basse température.
A proximité de la croûte
nucléaire, les paires de neutrons ne possèdent pas de moment angulaire, elles
se comportent exactement comme des paires d’électrons dans un matériau
supraconducteur (paires de Cooper).
Mais à une pression plus élevée,
bien en dessous de la croûte, une interaction répulsive neutron-neutron modifie
ce comportement et les paires de neutrons montrent un moment angulaire non-nul,
ils se comportent alors exactement comme de l’hélium-3 superfluide.
Carte des pulsars découverts par leur émission gamma par le télescope Fermi-LAT (NASA/DOE/Fermi-Lat Collaboration) |
De leur côté, les protons aussi
se comportent comme un fluide supraconducteur en s’associant par paires, à
condition de ne pas subir un champ magnétique trop intense.
Ainsi, aux différentes
profondeurs d’une étoile à neutrons coexistent différents fluides nucléaires
aux propriétés supraconductrices ou superfluides, qui peuvent également
s’interpénétrer et qui s’écoulent sans aucune viscosité.
L’explication actuellement
retenue pour expliquer les brusques variations de rotation des pulsars est
l’existence de vortex superfluides dans le liquide nucléaire, sortes de tourbillons
qui peuvent migrer des pôles à l’équateur lorsque la rotation globale du fluide
se ralentit. Mais certains vortex peuvent rester comme emprisonnés dans le
réseau cristallin de la croûte, produisant une rotation du fluide cristallin
plus rapide que le reste de l’étoile. Jusqu’à la rupture et au retour à la
co-rotation par un rattrapage de vitesse de rotation.
Très récemment, une équipe américaine
étudiant un pulsar à fort champ (un magnétar) a pu observer non pas une brusque
accélération de la période de rotation de l’étoile comme ce qui est
habituellement observé, mais au contraire un ralentissement…
Cette observation surprenante va permettre
de remettre en question certains points du modèle de structure des étoiles à
neutrons et pourquoi pas d’affiner les propriétés des différentes couches
superfluides en présence.
Les étoiles à neutrons sont décidément bien
plus étonnantes que ce qu’on pourrait penser et encore loin d’être entièrement
comprises….
Référence :
An
anti-glitch in a magnetar
Archibald, R. F. et al.
Nature 497, 591–593 (30 may 2013).
1 commentaire :
La description de l’intérieur d'une étoile à neutron est absolument fascinante. Le glitch quantique du superfluide me laisse sans voix.
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