Bert et Ernie sont des marionnettes
célèbres de Sesame Street. Les
physiciens de la collaboration IceCube
devaient être des grands fans de ce programme pour enfants pour avoir dénommé
ainsi les deux neutrinos les plus énergétiques qu’ils aient pu détecter.
IceCube est un détecteur de neutrinos géant qui est situé dans la
glace de l’Antarctique, d’où son nom. Les physiciens de la collaboration
internationale éponyme viennent de publier sur le site de préprints Arxiv leurs
résultats concernant deux événements hors norme qui ont été détectés en août
2011 (Bert) et janvier 2012 (Ernie). Ces deux neutrinos possèdent la
caractéristique rare d’avoir une énergie de l’ordre du Petaelectron-volt (PeV),
soit 1000 TeV, ou si vous préférez, 1 million de GeV.
Ces énergies sont
absolument considérables, ce qui fait dire aux spécialistes des astroparticules
que ces deux neutrinos là doivent venir de très loin, et probablement pas de
notre environnement proche, ni être des
produits de réactions secondaires. Ils pourraient même ne pas venir de notre
galaxie, mais de bien plus loin.
De fait, ces deux neutrinos Bert et Ernie sont très probablement les premiers depuis 1987 à être
détectés en provenance de l’extérieur de notre système solaires, les précédents
étant les neutrinos produits lors de l’explosion de la supernova SN 1987A dans le
grand nuage de Magellan, galaxie voisine de la nôtre.
Et ce qui est très intéressant
avec les neutrinos, c’est que ne possédant pas de charge électrique et ayant une
masse toute petite, ils ne sont pas déviés au cours de leur trajet dans
l’espace, ce qui est fort utile lorsque l’on veut localiser leur source.
Schéma de IceCube (IceCube collaboration) |
Le principe de détection de IceCube repose sur l’interaction des
neutrinos énergétiques avec la couche de glace antarctique, qui produisent des
gerbes de particules chargées, elles-mêmes très énergétiques et produisant
alors un fort rayonnement Cherenkov. Le rayonnement Cherenkov est de la lumière
visible (bleue) qui est produite lorsqu’une particule chargée se déplace à une
vitesse supérieure à celle de la lumière dans le milieu considéré. Il n’existe
donc pas dans le vide, mais est très efficace dans l’eau, qu’elle soit liquide
ou solide. La vitesse de la lumière dans l’eau est égale à sa vitesse dans le
vide divisée par l’indice de réfraction, qui vaut 1,33. Elle est donc de 225500
km/s. Inutile de préciser que des particules légères ayant une énergie
cinétique de l’ordre du GeV, du TeV ou du PeV dépassent largement cette
vitesse.
IceCube est constitué de 5160 photomultiplicateurs distribués le
long de 86 filins positionnés dans de très longs trous creusés à même la glace
à une profondeur comprise entre 1450 et 2450 m, là où l’épaisseur de glace
atteint les 2800 m! Ces sortes d’yeux électroniques enregistrent la moindre
lumière présente dans un volume total de 1 kilomètre cube de glace exactement.
Alors que les collisions
typiquement enregistrées par IceCube
avoisinent au maximum les 100 TeV, Bert
et Ernie ont déposé dans la glace une
énergie respectivement de 1,04 et 1,14 PeV, soit environ 10 fois plus que la
normale. Ces événements ont été trouvés dans l’analyse des données accumulées
durant 616 jours entre 2010 et 2012.
Et la traque se poursuit. Alors
que les photomultiplicateurs enregistrent en continu ce qui se passe dans la
glace, des Teraoctets voire Petaoctets de données s’accumulent et sont une
nourriture très riche pour les 300 physiciens de la collaboration
internationale qui cosignent cette étude.
Les spécialistes des neutrinos
espèrent pouvoir expliquer, en trouvant des neutrinos extragalactiques, d’où
viennent les rayons cosmiques ultra énergétiques qui parviennent jusque sur
Terre, et dont l’origine peut être commune.
Concernant Bert et Ernie, les
physiciens de IceCube ont encore un
petit doute et restent prudents sur leur origine extragalactique, mais ils
devraient lever sous peu leurs doutes en analysant toujours plus de données…
Ils n’ont probablement plus le temps de regarder la télé.
Référence :
First observation of PeV-energy
neutrinos with IceCube,
M.G Aartsen et al. IceCube Collaboration
arXiv:1304.5356 [astro-ph.HE] arxiv.org/abs/1304.5356
5 commentaires :
Bravo Eric, vous avez su nous donner des informations sur un sujet d'une actualité scientifique brulante (et particulièrement pertinente je pense), que les blogueurs anglophones que je lis régulièrement n'avaient pas encore évoqué, c'est chose faite seulement aujourd'hui pour Matt Strassler par exemple http://profmattstrassler.com/2013/05/16/possible-important-discovery-at-icecube/. Pensez vous par ailleurs qu'il y ait une chance que de nouveaux neutrinos très énergétiques corrélés au sursaut gamma GRB 130427A soient aussi détectables par Icecub?
Bonjour,
Non, IceCube n'a détecté aucun neutrino associé à ce sursaut gamma d'il y a quelques semaines. C'est aussi indiqué sur le blog de Matt Strassler :
http://profmattstrassler.com/2013/05/09/neutrinos-from-that-recent-gamma-ray-burst/
Alain
La collaboration IceCube a annoncé il y a quelques jours la détection de 26 autres neutrinos très énergétiques dans les données enregistrées entre 2010 et 2012, de l'ordre du ou de la dizaine de TeV, qui ont une provenance extra galactique à une très forte probabilité, tout comme Bert et Ernie.
En ce qui concerne d'éventuels neutrinos énergétiques en coïncidence avec GRB 130427A, IceCube a émis un communiqué que vous pouvez lire ici : http://gcn.gsfc.nasa.gov/gcn3/14520.gcn3
La conclusion est qu'aucun neutrino d'énergie supérieure à 1 TeV n'a été observé en coïncidence avec l'émission du GRB et dans sa direction...
(IceCube est sensible aux neutrinos d'énergie supérieure à environ 100 GeV).
Peut-on déjà rapprocher cette absence de détection de neutrinos corrélés GRB130427A à un précédent défaut de neutrinos astrophysiques lié aux sursauts gamma lequel est discuté dans cet article http://arxiv.org/pdf/1204.4219.pdf par la collaboration Icecube? Nous aurions ainsi un nouveau type de déficit de neutrinos - astrophysiques cette fois (et non solaires)! Reste que si la description de la production des neutrinos au coeur du soleil a atteint le stade de l'astrophysique nucléaire de précision, je crois qu'on ne peut pas en dire autant pour la physique des bouffées de rayons gamma si on en juge par les débats autour des mécanismes possibles de ces phénomènes (astrocataclysmiques?).
Quoiqu'il en soit, ces événements récents me confortent dans l'idée que les vrais rois de la physique des astroparticules sont bien les neutrinos, la matière noire n'étant encore pour le moment qu'un paramétrage de l'inconnu, l'un des paramètres de nos modèles cosmologiques encore trop primitifs même si (parce que?) ils sont très (encore trop?) compliqués ...
Il y a effectivement un déficit de neutrinos galactiques ou extragalactiques... IceCube en détecte beaucoup trop peu par rapport à ce prédisent les modèles de GRB. Il faut se rappeler qu'en moyenne, nos chers satellites gamma détectent un GRB par jour!...
Ensuite, pour savoir si ce sont les modèles astro ou la physique des neutrinos qui ne sont pas correctement décrits, il faut continuer à chercher...
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