C'est une belle et ambitieuse manip. Elle s'appelle Dark Side 50. Son but : détecter des WIMPs, des particules formant la matière sombre, si elles existent. Dark Side 50 est actuellement en cours d'installation dans le temple de la physique souterraine, le LNGS, Laboratoire du Gran Sasso, en Italie, où elle va cotoyer de nombreuses autres manips de recherche directe de matière noire...
La collaboration Dark Side est formée à la fois d'européens et d'américains, ce qui est relativement rare dans le milieu de la recherche des WIMPs, première innovation.
Mais les plus grosses innovations sont technologiques, bien sûr. Outre le fait que le tunnel du Gran Sasso a été sélectionné pour lieu de résidence avec ses 3600 mètres d'équivalent eau de roche de couverture contre les muons cosmiques pour obtenir le bruit de fond le plus bas possible, la technologie qui a été choisie est parmi les plus prometteuses du moment, à savoir une chambre à projection temporelle (une TPC dans l'acronyme international), mais utilisant de l'argon liquide et gazeux, en lieu et place du déjà utilisé par ailleurs xénon : 50 kg d'argon.
Schéma de la TPC de Dark Side 50 |
Les WIMPs, en interagissant dans l'argon liquide, doivent produire un signal de scintillation (observée dans la phase liquide) et d'ionisation, récupéré dans l'argon gazeux.
Mais comme toute manip de recherche d'événements ultra rares, le soucis est le bruit de fond de la radioactivité naturelle, et notamment, spécifiquement pour Dark Side, ce ne sont pas vraiment les isotopes qui produisent des rayonnements gamma qui vont être le problème, puisque la technologie des TPC à argon diphasique permet une très bonne discrimination des signaux produits par des gammas et les signaux produits par des reculs de noyaux (ce qui est recherché). Non, le soucis majeur est justement ce qui peut produire des reculs de noyaux similaires à ceux produits par des WIMPs. Et ce qui peut créer ce type d'événements, ce sont les neutrons.
Il existe en fait deux sources distinctes de neutrons dans une manip comme Dark Side située dans les profondeurs d'une montagne : d'une part des neutrons dits radiogéniques, et d'autre part les neutrons cosmogéniques.
Les neutrons radiogéniques sont les neutrons qui sont issus de la décroissance radioactive de certains éléments présent en infimes quantités dans les matériaux formant ou entourant les détecteurs (de l'uranium par exemple).
Les neutrons cosmogéniques, eux, ont une énergie plus grande et sont produits par des réactions secondaires des quelques muons cosmiques qui parviennent quand-même à traverser la montagne des Apennins et à arriver jusqu'au détecteur.
La nouveauté technologique que Dark Side 50 va déployer pour contrer ces neutrons est l'utilisation d'un double véto actif : les neutrons vont être détectés avant (ou après) avoir produit une interaction parasite dans le détecteur. Pour ce faire, le système de détection forme une véritable poupée russe gigantesque : la chambre contenant l'argon est placée au centre d'une citerne contenant un scintillateur liquide à base de bore, où les neutrons radiogéniques interagissent avec le bore, ce qui produit secondairement de la lumière qui est détectée. Ainsi, si un signal typique de WIMP est enregistré en même temps (ou presque) qu'un signal dans le scintillateur boré, alors il ne sera pas enregistré.
Schéma des vétos actifs anti-neutrons de DS 50. |
Second véto actif, troisième niveau de notre poupée russe : le détecteur de neutrons qui contient la TPC est lui-même plongé dans une autre grosse citerne de 11 m de diamètre, qui, elle, contient juste de l'eau, et des détecteurs de lumière bien sûr. Le but de cette citerne, outre que l'eau arrête très bien les neutrons, est de détecter le passage de muons cosmiques, qui pourraient aller produire des neutrons (cosmogéniques) dans le détecteur. Les muons en passant dans l'eau vont produire de la lumière par effet Cherenkov. Là encore, si un signal lumineux est observé dans la citerne d'eau en même temps qu'un signal type WIMP dans la chambre TPC à Argon, alors ce dernier ne sera pas comptabilisé...
Les manips concurrentes utilisent dans de nombreux cas des vétos actifs, notamment pour la détection du passage de muons, mais jamais aussi élaborés et pouvant véritablement évaluer précisément le bruit de fond des neutrons.
Mais Dark Side propose de pousser même un peu plus loin l'innovation dans la sélection des matériaux utilisés pour la construction du détecteur, les matériaux devant bien sûr être le plus radiochimiquement pur. Les physiciens américains de la collaboration ont proposé d'utiliser de l'argon souterrain au lieu d'argon atmosphérique. Effectivement, il existe des sources d'argon en sous-sol, notamment aux Etats-Unis. La différence est que dans l'atmosphère, il existe un isotope de l'argon, l'argon-39, qui est radioactif, naturellement produit par bombardement de neutrons dans la haute atmosphère. L'argon existant en profondeur, lui, est exempt de cet isotope gênant. Enfin, surtout gênant pour les puristes des astroparticules, parce que la radioactivité générée par l'argon-39 est de 1 becquerel par kilogramme, ce qui est absolument dérisoire à notre échelle... Mais cela permettra à la manip d'être parfaite jusque dans son cœur de poupée russe.
Le début d'opération de Dark Side 50 a eu lieu début 2013. La sensibilité attendue de cette belle expérience est de l'ordre de 2.10-45 cm² pour des WIMPs de 100 GeV en 3 ans de comptage, ce qui serait bien meilleur que ce qu'ont pu atteindre de nombreuses expériences concurrentes...
En savoir plus :
Site de la collaboration Dark Side :http://darkside.lngs.infn.it/
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