mardi 13 octobre 2015

Les amas de galaxies n'ont pas la bonne masse

Quelque chose ne tourne pas rond dans le modèle standard de la cosmologie actuel, le modèle que l'on nomme LambdaCDM, qui considère que l'Univers est en expansion accélérée et contient 26% de matière noire. Quelque chose ne tourne pas rond et c'est une bonne nouvelle.



Carte du CMB par Planck (ESA)
Une nouvelle étude venant de paraître sous la plume de cosmologistes français vient confirmer une anomalie importante concernant la masse des amas de galaxies. Les amas de galaxies sont des grandes structures cosmiques qui regroupent des dizaines voire des centaines de galaxies. Ils ont pour origine, pense-t-on, les fluctuations de densité qui existaient dans l'Univers primordial, et qui se voient toujours dans le rayonnement fossile du fond diffus cosmologique, exploré en détail ces dernières années par le satellite Planck.
L'étude précise de ces petites fluctuations que l'on voit dans le fond diffus cosmologique (le CMB) permet aux cosmologistes de déduire de nombreux paramètres de l'Univers, et parmi ceux-ci on peut prédire quelle doit être la densité des amas de galaxies, c'est à dire le nombre d'amas de galaxies par unité de volume d'Univers.
Parallèlement à ces prédictions théoriques basées sur des observations du CMB, on parvient à mesurer la densité réelle des amas de galaxie par l'observation. Et il existe plusieurs moyens d'observation pour faire cette mesure. Il se trouve que l'une d'elles peut être effectuée avec le même satellite qui mesure les fluctuations du CMB, mais cette fois-ci, il mesure les perturbations provoquées sur le rayonnement de fond par toutes les grandes structures qui se trouvent en avant-plan. 
Le principe utilisé dans cette mesure est fondé sur l'effet Sunyaev-Zel'dovich (souvent raccourcit en effet SZ). Il s'agit du résultat de l'interaction d'électrons de grande énergie sur les photons du CMB par diffusion Compton inverse (les électrons transfèrent une partie de leur énergie aux photons micro-ondes qui gagnent de l'énergie en changeant de direction). L'effet SZ permet ainsi de cartographier la densité des électrons et par là-même les grandes densités de matière, notamment de gaz chaud, qui peuple les amas de galaxie... Et ces amas de galaxies et leur gaz chaud peuvent également être observés plus directement par l'observation en rayons X.
Masses des amas de galaxies nécessaires pour que l’abondance d’amas de galaxie soit compatible avec le modèle cosmologique standard (ΛCDM), en fonction des masses estimées par équilibre hydrostatique à partir des observations en rayons X . La ligne rouge marque l’ajustement des masses et montre que les masses du modèle standard sont 70% supérieures aux masses déduites des observations directes en rayons X (Institut d'Astrophysique Spatiale/CNRS/UPSud)

On a donc d'un côté une prédiction sur le nombre d'amas de galaxies issue de l'observation du CMB et du modèle cosmologique LambdaCDM et de l'autre des observations du nombre d'amas avec deux techniques très différentes. 
Pour pouvoir comparer les prédictions et les observations du nombre d'amas, il faut prendre en compte le paramètre de la masse des amas. Or la masse des amas peut être évaluée par des observations en rayons X et a été mesurée dans le passé. Les chercheurs français, à partir des données de Planck sur l'effet SZ et des valeurs de masse acquises par l'observation en rayons X avaient montré en 2014 que le nombre d'amas était beaucoup plus faible que la prédiction issue du modèle LambdaCDM construit à partir du CMB, et pas qu'un peu ! Le nombre d'amas est entre 3 et 4 fois plus faible que ce qui est prédit.
L'équipe française menée par Stéphane Ilic du Centre de Physique Théorique à Marseille (CNRS/Université Aix-Marseille) s'est à nouveau penché sur cette forte tension comme disent les chercheurs pour ne pas employer de termes trop durs. Ils ont donc réévalué la masse des amas à partir des données d'observation en rayons X via la relation température-masse des amas, et ont regardé ensuite comment il faudrait modifier cette valeur de masse pour que, une fois injectée dans le modèle, la prédiction et les observations concordent quant au nombre d'amas observés. La réponse est sans appel : les amas devraient avoir une masse 1,70 fois plus grande que celle qui est mesurée ! 

Cette conclusion laisse songeur plus d'un astrophysicien et d'un cosmologiste, car elle vient tout a fait conforter l'écart sur le nombre d'amas qui était obtenu en 2014. Et quand on parle de masse ici, y est déjà incluse bien sûr la fameuse matière noire.
Quelque chose ne tourne donc pas rond, soit dans les amas, soit dans le CMB ou soit dans le modèle LambdaCDM. La masse des amas est-elle vraiment sous-estimée à ce point et pourquoi ? La matière noire est-elle encore plus présente dans les amas ? Une nouvelle physique est-elle à l'origine des écarts observés ? Le modèle LambdaCDM cache-t-il une faille importante ? 
Une des clés pour tenter de comprendre ce qui cloche sera de mesurer la masse des amas par d'autres méthodes encore différentes, comme par exemple l'effet de lentille gravitationnelle; c'est ce que devrait pouvoir faire le futur télescope Euclid que l'ESA doit lancer aux alentours de 2020. C'est une très bonne nouvelle...


Source : 
X-ray galaxy clusters abundance and mass-temperature scaling  
S. Ilic, A. Blanchard,  M. Douspis, 
Astronomy and Astrophysics, 582, A79, (12 october 2015)

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