mercredi 21 octobre 2015

Une solution trouvée pour expliquer l'excès de positrons dans le rayonnement cosmique

Le détecteur de particules AMS-02 installé à bord de la station spatiale internationale a pour objectif de détecter des particules chargées légères et plus particulièrement des antiparticules comme les positrons, antiparticules des électrons, pour trouver des signes de présence de matière noire dont ils pourraient être les produits de désintégration. Et depuis 2013, AMS-02 observe un excès inexpliqué de positrons à haute énergie qui peut laisser penser à un signe d'existence de matière noire. Mais deux physiciens israéliens viennent de trouver une explication "simple" à cette anomalie.



La recherche de l'existence de particules massives de matière noire via des signes indirects comme la présence dans le rayonnement cosmique d'excès d'électrons et/ou de positrons ou d'autres antiparticules est une voie théoriquement prometteuse. Les WIMPs en se désintégrant ou en s'annihilant devraient en effet produire au final ce types de particules dont l'énergie maximale ne pourrait jamais dépasser l'énergie de masse des WIMPs d'origine. Il "suffirait" donc de détecter un excès de particules et d'antiparticules en mesurant leur énergie et d'observer une brutale chute de leur flux à une énergie bien déterminée, ce qui signerait à la fois l'existence de particules de matière noire et fournirait la valeur de leur masse.
Fraction de positrons mesurée par AMS-02 (points)
et calcul produit par les auteurs sans besoin
de matière noire (ligne rouge) (Dado et al.)
Or un tel excès d'électrons et surtout de positrons a été observé et est toujours observé aujourd'hui, tout d'abord en 2009 par l'expérience PAMELA (Payload for Antimatter Matter Exploration and Light-nuclei Astrophysics), puis par le satellite Fermi-LAT en 2012, et enfin depuis 2013 avec toujours plus de précisions par le détecteur AMS-02 embarqué sur l'ISS et qui vient de dépasser le nombre impressionnant de 70 milliards de particules détectées depuis sa mise en service. 
Les données les plus troublantes de AMS-02 sont celles de la fraction de positrons dans la somme des flux d'électrons et positrons. Cette fraction augmente en fonction de l'énergie des particules et semble atteindre un plateau, alors qu'elle devrait décroître rapidement. Un comportement très mal expliqué sans invoquer l'existence de WIMPs (voir figure). 

Certaines pistes astrophysiques ont quand-même été évoquées pour expliquer un surplus de positrons, comme une origine liée à des pulsars ou des résidus de supernovas, ou bien encore une production secondaire de positrons due à des interactions des rayons cosmiques primaires au sein de leur milieu de production comme des jets de matière relativiste de trous noirs stellaires ou massifs ou des supernovas de type Ic. Mais les observations très précises de AMS-02 ont ensuite montré, en 2014, que les positrons mesurés avaient une origine isotrope, venant de toutes les directions de l'espace, ce qui apparaît très peu cohérent avec de telles sources astrophysiques qui doivent montrer une certaine anisotropie, venant principalement du disque de la Voie Lactée.
Par ailleurs, AMS-02 mesure un excès de positrons avec des énergies toujours plus hautes, atteignant maintenant 700 GeV sans voir poindre une potentielle chute brutale du flux.
Désintégrations successives via la production de mésons pi.

Shlomo Dado et Arnon Dar, dans leur étude parue dans the Astrophysical Journal il y a quelques jours, ont recalculé par simulation les interactions du rayonnement cosmique galactique primaire sur le gaz du milieu interstellaire. En prenant en compte les collisions hadroniques de ces protons énergétiques sur les noyaux des atomes formant le gaz interstellaire ainsi que les phénomènes divers d'accélération des électrons existant dans la Galaxie, les auteurs parviennent à reproduire presque exactement les flux d'électrons et de positrons ainsi que la fraction de positrons qui sont mesurés par AMS-02.  

La source principale des positrons et des électrons à haute énergie serait dans ce cas à la production de mésons par interactions dans le milieu interstellaire proche, au dessus de 1 TeV, de protons ultra-énergétiques. Les mésons (pi+, pi- ou pi0) en se désintégrant, produisent ensuite des muons positifs et négatifs, qui eux se désintègrent respectivement en positrons et en électrons. Cette explication permet alors à Shlomo Dado et Arnon Dar de faire une prédiction selon laquelle la fraction de positrons devrait continuer à augmenter en fonction de l'énergie pour finalement atteindre la valeur asymptotique de 0,57.

Les prochains résultats d'AMS-02 sur la fraction de positrons seront scrutés attentivement pour voir si un plateau se confirme, ce qui infirmerait l'hypothèse des chercheurs israéliens ou bien si elle augmente encore avec l'énergie, ce qui irait dans leur sens.


Source : 

Origin Of The Cosmic Ray Positrons Observed Near Earth- Meson Decay Or Dark Matter Decay ?
Shlomo Dado, Arnon Dar
The Astrophysical Journal 812, 38 (october 2015)

3 commentaires :

Leïla a dit…

Cet article est très intéressant. Si je saisis bien, nos modèles actuels sous-estiment le flux de protons cosmiques qui peuvent interagir avec le gaz ténu qui se trouve autour d'AMS (AMS étant à 416 Km, Fermi à 553 Km et Pamela de 360 à 604 Km, j'imagine que la densité de gaz est plus ou moins similaire). Dans ce cas-là, cela ne devrait-il pas se traduire par une augmentation des rayons cosmiques vus sur Terre (Auger, CTA, HESS...) ?
L'article mentionne un rayonnement cosmique fait de protons énergétiques, d'où viennent ceux-ci ?

Dr Eric Simon a dit…

Je crois que ce n'est pas le flux de protons qui est sous-estimé mais simplement leur interaction avec l'ISM (le milieu interstellaire), voire la densité de ce gaz interstellaire encore plus simplement. Il ne faut pas imaginer juste la proximité immédiate des instruments en orbite. Il faut voir plus grand au niveau du système solaire ou un peu plus.
Il n'y aurait donc pas forcément une augmentation des rayons cosmiques détectés par les observatoires terrestres, le flux de protons reste le même. Après, il pourrait y avoir une augmentation des secondaires mentionnés, mésons et muons, voire électrons et positrons. Reste à voir comment tout ce monde se comporte face aux champs magnétiques et autres ceintures de Van Allen...

Leïla a dit…

Merci pour ces precisions. Je serais curieuse de savoir si c'est le modele d'interaction qui est deficient ou la densite de matiere interstellaire...