La Nébuleuse du Papillon (NGC 6302) est une nébuleuse planétaire bipolaire à la structure complexe, extrêmement énergétique et en expansion rapide. Si la source centrale est une étoile unique, alors elle se situe parmi les étoiles centrales de nébuleuses les plus massives, les plus chaudes et probablement à évolution rapide. Une équipe d'astrophysiciens s'est penché sur le cas de cette nébuleuse iconique de l'imagerie du télescope Hubble et révèle, toujours grâce à Hubble, comment bougent les ailes du papillon grâce à des observations s'étalant sur 11 ans, pour en comprendre l'origine. Leur étude est publiée dans The Astrophysical Journal.
La structure de la nébuleuse du Papillon est une des plus complexes observées dans une nébuleuse planétaire. Les structures des ailes (projetées sur le ciel) se divisent en paires de filaments opposés, comme on peut le voir sur les magnifiques images de Hubble ou celles d'astronomes amateurs bien équipés. La paire de filaments la plus grande et la plus brillante optiquement est constituée d'un ensemble d'amas de gaz aux bords éclairés avec des queues radiales qui donnent à la nébuleuse son aspect violent. De plus, la paire de filaments montrant la présence de la raie du fer ionisé [Fe II] contient une paire proéminente de structures radiales en forme de panaches et des structures choquées autour du noyau nébulaire. Des espaces apparemment vides se trouvent le long des axes de symétrie du grand lobe d'évasion nord-ouest apparemment creux qui s'étend au-delà du champ de vision de Hubble.
Bruce Balick (Cornell university) et ses collaborateurs ont étudié le mouvement propre de NGC 6302, basé sur des images de l'imageur WFC3 du télescope spatial Hubble entre 2009 et 2020. L'observation des différentes images au cours du temps leur a permis de découvrir au moins quatre paires différentes de lobes internes en expansion uniforme éjectés à différents moments et orientations au cours des deux derniers millénaires avec des vitesses allant de 10 à 600 km s-1 . De plus, ils trouvent une paire de flux collimatés hors axe en mouvement constant à environ 770 ± 100 km s-1 au sein desquels des panaches brillants de la raie du fer ionisé [Fe II ] sont bien visibles.
L'étude du mouvement propre révèle que les ailes de NGC 6302 contiennent plusieurs paires de structures d'écoulement en forme de lobe en expansion éjectées au cours des deux derniers millénaires, chacune avec sa propre vitesse d'expansion et sa propre orientation. La plupart des lobes se dilatent uniformément, entre à 2 et 4 km s-1 par seconde d'arc (ce qui est un modèle d'expansion courant pour les nébuleuses planétaires de tous âges et de toutes formes), ce qui implique des âges d'expansion compris entre 1 200 et 2 300 ans. Et les chercheurs montrent que des paires de jets minces se sont déversés dans une paire de panaches de fer ionisé choqués à 770 km s-1 depuis au moins 300 ans.
Balick et ses collaborateurs ont rassemblé leurs résultats dans une chronologie historique plausible des éjections du coeur de la nébuleuse et suggèrent que les éjections sont alimentées par une chute gravitationnelle. Le scénario historique de la formation et de l’histoire du façonnage des ailes qu'ils proposent est le suivant :
1. Il y a 2300 ans. La première et la plus énergique d'une série d'explosions collimatées et dominées par la pression dynamique provenant de l'étoile centrale ont formé l'anneau moléculaire équatorial principal ainsi que quelques groupements larges et irréguliers d'amas de gaz et d'autres structures à l'est et à l'ouest du coeur. Le lobe Nord-Ouest creux qui s'étend sur presque un parsec du coeur et dont la pointe a un mouvement propre d'environ 600 km s-1 serait une autre caractéristique créée lors de cet événement.
2. Il y a entre 1 200 et 1 900 ans. Au moins trois événements d'explosion plus faibles provenant de l'étoile centrale ont produit des paires plus petites de zones d'expansion uniforme opposées dans les ailes le long de différents axes de symétrie. L'une d'elles est une petite bulle brillante adjacente au disque équatorial, visible dans les raies d'émission moléculaires et ionisées d'espèces comme le CO, H2 , H I et He II.
3. D'il y a 300 ans à nos jours. Une paire de jets rapides et continus proviennent de l'étoile centrale et se manifeste dans la paire brillantes de panaches émettant la raie [Fe II ]. Un réseau de structures caractérisées par la raie de l'azote ionisé [N II ] minces, choquées et largement radiales au sein de chaque panache partagent des vitesses de mouvement communes de 770 s-1. On note que l'axe de symétrie de l'un de ces flux s'aligne d'ailleurs avec le bord extérieur du lobe Nord-Ouest.
Pour Balick et ses collaborateurs, ces événements sont liés aux éjectas d'au moins une étoile centrale lumineuse et très chaude. Cette (ou ces) étoile(s) centrale(s) serai(en)t la principale source de photoionisation nébulaire. Ce sont les vents provenant de cette étoile et de ses compagnes proches qui auraient remodelé les ailes de la nébuleuse. Ils explorent alors les différentes idées possibles avec les contraintes que l'histoire nébulaire qu'ils ont déterminée imposent. Les chercheurs estiment l'énergie cinétique totale des écoulements dans les ailes, à une valeur comprise entre 1046 et 1048 erg, et éventuellement plus si de la masse s'est échappée des ailes. Cette énergie est supérieure aux plus grandes énergies cinétiques de nombreuses nébuleuses planétaires plus jeunes, telles que Frosty Leo, CRL 618, CRL 2688 ou NGC 7027.
Clairement, les mécanismes d'éjection de masse non récurrents, tels que les fusions d'étoiles binaires et les éjections d'enveloppes communes ne permettent pas d'expliquer les structures de la nébuleuse du Papillon. Et les éjections de masse typiques de la surface stellaire d'une étoile active de type AGB ne parviennent pas non plus à produire les vitesses et les densités des explosions de la source centrale de NGC 6302.
Un afflux gravitationnel serait la source la plus probable des grandes énergies cinétiques des flux sortants de NGC 6302 selon les chercheurs. Des études antérieures ont discuté de la possibilité d'un "événement transitoire optique de luminosité intermédiaire" dans lequel la masse d'une étoile donneuse AGB tombe sur une compagne de la séquence principale. Un tel événement libère en effet une énergie cinétique totale de 1046 et 1049 erg. Les vitesses d'éjection, de quelques centaines de kilomètres par seconde, seraient cohérentes avec les vitesses d'écoulement que l'on retrouve dans les ailes de NGC 6302. Mais la brièveté de la durée et le caractère singulier des "événements transitoires optiques de luminosité intermédiaire" rendent malheureusement cette idée intenable pour Balick et son équipe.
Les chercheurs se tournent ensuite vers une autre idée de plus en plus courante dans les publications de ces dernières années. Cette idée repose sur le fait que l'orientation et les énergies cinétiques des écoulements dans les nébuleuses planétaires complexes pourraient être influencées par de multiples étoiles compagnes proches et/ou leurs flux d'accrétion associés. Ce processus a été évoqué par exemple par De Marco et al. (2022) et Sahai et al. (2023) pour expliquer la morphologie de NGC 3132, et aussi par Henney et al. (2021) pour expliquer les orientations et les âges de cinq événements d'éjection au cours des 3500 dernières années dans NGC 6210. Pour des raisons similaires, Balick et ses collaborateurs estiment que la multiplicité stellaire est très probable dans NGC 6302. D'ailleurs, ils rappellent que dès 2001, Feibelman et al. avaient suggéré que le coeur de NGC 6302 contenait au moins une étoile de type G et une naine blanche...
Les astrophysiciens concèdent que ces explications, ou tout autre type d'explication de l'éjection de masse de NGC 6302, resteront probablement du domaine de la spéculation sans de meilleures contraintes d'observation sur la source centrale de la nébuleuse, qui est toujours restée jusqu'ici invisible. En conclusion, Balick et ses collaborateurs peuvent toutefois affirmer avec un certain degré de certitude que c'est l'étoile centrale qui doit fournir l'essentiel de l'ionisation nébulaire et de l'énergie cinétique des flux sortants. Sa température serait supérieure à 200 000 K et sa luminosité se situerait entre 800 et 25000 L⊙, ce qui en fait l'une des étoiles les plus chaudes connues Le défi le plus urgent est aujourd'hui de mieux comprendre ce qui peut façonner de la sorte la Nébuleuses du Papillon et ses multiples volutes d'âge et d'origine différents, notamment si plusieurs étoiles sont vraiment à l'œuvre ou non. Un petit coup de Webb, peut-être ?
Source
NGC 6302: The Tempestuous Life of a Butterfly
Bruce Balick et al.
The Astrophysical Journal, Volume 957, Number 1 (27 octobre 2023)
Illustration
1. La Nébuleuse du Papillon imagée par Hubble (ESA/NASA)
2. Structure de la nébuleuse annotée (Balick et al.)
3. Bruce Balick
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