Les derniers résultats de la collaboration LUX qui cherche à détecter la matière noire de façon directe (sous forme de particules massives interagissant faiblement, des WIMPs) dans le laboratoire souterrain de Sanford aux Etats-Unis, viennent d’être rendus publics lors de la conférence scientifique IDM2016. Le record de sensibilité pour de telles expériences est explosé, mais aucune WIMP n’est détectée.
Les expériences qui cherchent à détecter directement des astroparticules qui doivent théoriquement interagir très peu avec la matière ordinaire ont deux choix pour être les plus sensibles possible : avoir un détecteur de grande masse ou avoir beaucoup de temps pour attendre d’éventuelles collisions de WIMPs sur les atomes du détecteur. L’expérience LUX (Large Underground Xenon) a choisi les deux approches simultanément : son détecteur au xénon liquide a une masse de 330 kg, pour une masse « utile » de détection d’environ 100 kg, et les physiciens ont patiemment attendu 20 mois en scrutant les moindres petits signaux sortant de leur chambre à projection temporelle.
C’est lors de la conférence IDM2016 qui a lieu en ce moment à Sheffield au Royaume-Uni que les résultats de ces 20 mois de comptage (comme disent les physiciens) ont été présentés par Aaron Manalaysay.
La période de mesure s’étale de septembre 2014 à mai 2016, découpée en quatre périodes. Les physiciens, pour évaluer la masse et le temps de comptage, qui forment ensemble l’exposition du détecteur au flux de WIMPs, utilisent une unité qui est le produit des deux, exprimée en kg.jour. Ce run de LUX est celui montrant l’exposition la plus grande jamais atteinte par les expériences similaires : 33500 kg.jours. C’est considérable. Le fait qu’aucune WIMP ne soit détectée durant tout ce temps et cette masse de détecteur permet aux chercheurs de fixer une limite supérieure en termes de probabilité d’interaction (ou section efficace) au-dessus de laquelle il ne peut pas exister de WIMPs (dans le cas contraire, leurs interactions auraient été vues).
Les physiciens peuvent donc tracer une courbe d’exclusion qui fixe la limite de la section efficace en fonction de la masse envisagée de la WIMP (qui est une inconnue). Les résultats présentés concernent un certain type d’interaction, qu’on appelle «indépendante du spin» ; il y en a plusieurs types, mais celle-ci est la plus probable concernant la collision élastique d’une WIMP sur un noyau d’atome de xénon. Une grande zone de l’espace section efficace – masse est donc exclue et ces nouveaux résultats viennent exclure toujours un peu plus cet espace de phase vers les très faibles sections efficaces. Le minimum de section efficace obtenu par LUX se situe pour une masse de WIMP de 50 GeV et vaut maintenant 2,2 10-46 cm², ou 0,22 zeptobarns (2,2 10-22 barns), du jamais vu… Si les WIMPs ont une masse de 50 GeV, elles ne peuvent donc pas avoir une section efficace de diffusion élastique sur les nucléons supérieure 2,2 10-22 barns.
LUX avait déjà publié des résultats en 2015 portant sur plusieurs mois de comptage, et ces nouveaux résultats améliorent d’un facteur 4 la sensibilité qui était alors obtenue (la limite de la courbe d’exclusion en section efficace).
Sachant désormais que la probabilité d’interaction des WIMPs ne peut pas être supérieure à cette nouvelle limite, les physiciens peuvent éliminer de nombreuses variantes des modèles théoriques décrivant les WIMPs. Cette absence de détection, même si elle peut décevoir de nombreux physiciens, n’est ainsi pas un échec mais permet au contraire d’affiner les caractéristiques des particules candidates pour la matière noire, si toutefois elles existent.
Le détecteur de LUX est une machine quasi-unique, cette chambre à projection temporelle est remplie de xénon liquide refroidi à -108°C. Des détecteurs de lumière ultra-sensibles tapissent les parois inférieure et supérieure de la chambre pour collecter la lumière de scintillation émise lors de l’interaction de particules dans le xénon, que ce soient des rayons gamma, des électrons, des particules alpha, des neutrons, ou … des WIMPs. Parallèlement à la scintillation, les particules induisent également une ionisation du xénon, qui va alors produire un faible courant d’électrons, qui est enregistré pour former un second signal.
La comparaison des deux signaux (scintillation et ionisation), permet aux physiciens de retrouver la nature de la particule qui en a été à l’origine, et donc de séparer le signal de bruit de fond de la radioactivité ambiante du vrai signal recherché.
Les physiciens ont dû procéder à des calibrages fins de la réponse du détecteur quand ils ont compris que le signal de lumière et d’ionisation pouvait varier légèrement sur la longue durée de mesure, notamment du fait de l’accumulation d’une charge électrostatique sur les parois interne du détecteur. Ce sont ces petites améliorations qui ont permis de pouvoir mesurer les interactions de particules presque non-stop durant plusieurs mois d’affilée.
Simon Fiorucci, physicien à Berkeley Lab et coordinateur scientifique de LUX précise :”Nous avons travaillé dur tout en restant vigilants durant plus d’un an et demi pour conserver le détecteur en fonctionnement optimal et pour maximiser l’exposition. Les résultats sont des données très propres dont nous pouvons être fiers, même si ce n’est pas la détection positive que nous espérions tous. ».
Cette avancée de LUX ouvre la voie vers les générations suivantes de détecteurs de WIMPs. Car LUX s’arrête mais pour repartir sous une nouvelle forme, toujours plus massive. La collaboration LUX a en effet déjà fusionné avec une autre collaboration internationale nommée ZEPLIN pour former la grande collaboration LZ, qui est en train de construire un détecteur qui contiendra 10 tonnes de xénon liquide, et qui sera installé toujours dans le laboratoire souterrain de Sanford vers 2020. LZ devrait améliorer la sensibilité atteinte par LUX par un facteur 70 ! Et pendant ce temps, l’expérience concurrente, XENON1T, qui emploie le même type de détecteur, est en train de finir le remplissage de sa chambre avec 3,3 tonnes de xénon liquide au laboratoire souterrain du Gran Sasso, en étant sûre de battre le record de sensibilité dans peu de temps et en espérant pourquoi pas faire la découverte des WIMPs juste avant la mise en route de LZ…
Source :
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Illustrations :
1) Vue globale du détecteur LUX au laboratoire souterrain de Sanford (Sanford Underground Laboratory)
2) Fond de la chambre à projection temporelle de LUX (LUX Collaboration)
3) Nouveau résultat d'exclusion obtenu par LUX (courbe donnant la section efficace maximale d'interaction WIMP-nucléon en fonction de la masse de la WIMP). Toute la zone située au dessus de la courbe est exclue pour les WIMPs. Les résultats sont comparés avec d'autres résultats antérieurs et d'autres expériences similaires. (A. Manalaysay/LUX Collaboration)
3) Schéma du principe de détection de la chambre à projection temporelle au xénon liquide, utilisé par LUX, XENON1T et LZ (SLAC/Stanford University)
1 commentaire :
Il serait injuste de passer sous silence les résultats de l'autre expérience au xénon liquide actuellement en fonctionnement du coté de la Chine et du labo souterrain JinPing, l'expérience PandaX. Ils viennent de publier leur derniers résultats qui frôlent ceux de LUX, avec une limite située à 2,5 10-46 cm² (sans WIMPs non plus, du coup)! Leur papier est là : https://arxiv.org/abs/1607.07400
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