Pourquoi y a-t-il plus de matière que d'antimatière dans l'Univers ? Cette question est aujourd'hui l'une des plus importantes que se posent les physiciens des particules, les astrophysiciens et les cosmologistes. Alors que le modèle standard de la physique des particules n'explique pas cette différence, des extensions du modèle standard peuvent, elles, l'expliquer, mais sous la condition que le neutrino ait un comportement particulier, celui d'être sa propre anti-particule. Cette idée a été imaginée dans les années 1930 par le (génial) physicien italien Ettore Majorana. Aujourd'hui, plusieurs expériences tentent de mettre en évidence ce comportement des neutrinos. La plus avancée d'entre elles, GERDA (GERmanium Detector Array) vient de fournir ses derniers résultats, négatifs, mais époustouflants.
Le germanium 76 est un isotope radioactif du germanium qui a la particularité de pouvoir se désintégrer par double émission béta (émission de deux électrons et de deux antineutrinos lors de la désintégration simultanée de deux neutrons du noyau atomique). Mais si le neutrino et l'antineutrino ne sont finalement qu'une seule et même particule, la rencontre de deux neutrinos doit conduire à leur annihilation. Et dans le cas de la double-désintégration béta, les physiciens montrent que devrait alors apparaître l'émission de deux électrons, mais sans (anti-)neutrinos. Le germanium-76 est donc un isotope de choix pour étudier l'existence ou non de ce neutrino de Majorana. Les autres éléments intéressants pour ce type d'observation sont le Tellure-130 et le Xénon-136. Il suffit d'utiliser un gros morceau de germanium contenant une bonne proportion de son isotope 76 et de mesurer très finement les électrons qui en sortent, surtout lorsqu'il y en a deux en coïncidence. Ce qui rend le germanium un matériau idéal pour ce type d'expérience, c'est qu'il est lui-même un très bon détecteur de rayonnements. La source et le détecteur ne font alors qu'un. Alors que l'isotope 76 du germanium a une abondance de 7,8% dans le germanium naturel, il est possible en traitant le métal semiconducteur de l'enrichir en 76Ge jusqu'à 87%, ce qu'exploitent les chercheurs de la collaboration GERDA.
Le problème qui survient est la rareté de cette décroissance radioactive. Les prédictions théoriques font état d'une période radioactive qui doit atteindre un million de milliards de fois l'âge de l'Univers... La moitié du problème peut être résolu en utilisant une grande quantité d'atomes de germanium, après tout il y a environ 1024 atomes dans un gramme de germanium. Mais l'autre face du problème est de pouvoir distinguer exactement le signal que l'on attend au milieu des rayonnements toujours trop nombreux venant de la radioactivité naturelle ambiante, diverse et variée, qui est aussi détectée par le détecteur.
Comme une fraction significative de ce bruit de fond ambiant provient des muons du rayonnement cosmique et des particules secondaires qu'ils génèrent, GERDA comme d'autres expériences, s'est enterrée dans un laboratoire souterrain très profond, le laboratoire du Gran Sasso en Italie, la montagne équivalant à un blindage de 3500 mètres d'eau. Malgré cette couche de roche importante, quelques muons parviennent encore au niveau du détecteur de GERDA. Les physiciens ont donc élaboré un système de détection des muons placé juste au-dessus et en-dessous du détecteur au germanium de manière à tracer le passage de ces muons résiduels. Le but est évidemment de réduire à son strict minimum toute forme de rayonnement parasite. Pour ce qui concerne la radioactivité des roches du laboratoire souterrain, photons gamma, neutrons ou électrons, ils sont absorbés, ou dans tous les cas détectés, dans une grosse cuve de 590 m3 remplie d'eau elle-même ultra-pure en termes de radioactivité, qui vient entourer la cuve d'argon liquide de 64 m3, refroidie à très basse température où est placé le réseau de détecteurs de germanium.
Ces systèmes de protection contre la radioactivité naturelle ambiante sont si efficaces que les physiciens européens sont sûrs désormais que tout ce qu'ils observent dans leurs détecteurs au germanium, et qui n'a pas été détecté par les détecteurs situés autour, ne peut provenir que du germanium lui-même et pas de l'extérieur.
Ces systèmes de protection contre la radioactivité naturelle ambiante sont si efficaces que les physiciens européens sont sûrs désormais que tout ce qu'ils observent dans leurs détecteurs au germanium, et qui n'a pas été détecté par les détecteurs situés autour, ne peut provenir que du germanium lui-même et pas de l'extérieur.
Ils ont ainsi pu construire le détecteur quasi parfait, celui qui ne mesure absolument rien. Durant 6 mois de prise de données, le cluster de 37 détecteurs germanium de GERDA n'a compté aucune particule du bruit de fond radioactif, un véritable exploit. Le taux d'événements du bruit de fond calculé dans ces 35,6 kg de germanium atteint ainsi 10-3 coups.keV-1.kg-1.an-1 une amélioration d'un facteur 10 par rapport à la phase I de l'expérience. Et durant cette durée de comptage à ultra-bas bruit de fond radioactif, aucun signe de désintégration double béta sans neutrino n'a été observée. Les physiciens peuvent alors en déduire des limites, non seulement sur la période radioactive de cette décroissance rare : 5,3 1025 ans, mais aussi sur la masse du neutrino, qui doit être inférieure selon eux à 0,33 eV.
La vaste collaboration européenne GERDA (plus de 100 physiciens de 6 pays) va poursuivre ses efforts encore pendant plusieurs années, une durée de détection augmentée permettant de repousser encore les limites. Les physiciens songent également à augmenter la masse totale de leurs détecteurs de germanium jusqu'à 1000 kg pour aller plus vite. Ils pourraient alors atteindre une limite sur la période de la désintégration double béta sans neutrino de l'ordre de 1028 ans. Mais c'est surtout la limite déduite sur la masse du neutrino qui devient cruciale. Avec un gros multi-détecteur sans aucun bruit de fond comptant pendant quelques années, cette limite supérieure sur la masse pourrait atteindre 20 milliélectronvolts voire moins. Or d'autres expériences, différentes, cherchent elles aussi à mesurer avec précision quelle est la masse, minimale cette fois et plus maximale, des neutrinos. Si ces autres expériences montrent que les neutrinos doivent avoir une masse plus grande que la limite maximale qui sera déduite par GERDA, c'en sera définitivement fini des neutrinos de Majorana, et d'une belle explication à la domination de la matière sur l'antimatière...
Référence
Background-free search for neutrinoless double-β decay of 76Ge with GERDA
M. Agostini et al.
Nature 544, 47–52 (06 April 2017)
http://dx.doi.org/10.1038/nature21717
Illustrations
1) Vue de l'intérieur de la cuve de blindage avant remplissage, les détecteurs Germanium sont situés au centre (K. Freund/ Collaboration GERDA)
2) Manipulation des détecteurs germanium en boite à gant dans la salle blanche surplombant la cuve de blindage au Gran Sasso (J. Suvorov / Collaboration GERDA)
3) Vue éclatée de l'installation de GERDA et ses multiples détecteurs montés en tours au laboratoire souterrain du Gran Sasso (Collaboration GERDA)
Background-free search for neutrinoless double-β decay of 76Ge with GERDA
M. Agostini et al.
Nature 544, 47–52 (06 April 2017)
http://dx.doi.org/10.1038/nature21717
Illustrations
1) Vue de l'intérieur de la cuve de blindage avant remplissage, les détecteurs Germanium sont situés au centre (K. Freund/ Collaboration GERDA)
2) Manipulation des détecteurs germanium en boite à gant dans la salle blanche surplombant la cuve de blindage au Gran Sasso (J. Suvorov / Collaboration GERDA)
3) Vue éclatée de l'installation de GERDA et ses multiples détecteurs montés en tours au laboratoire souterrain du Gran Sasso (Collaboration GERDA)
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