mercredi 8 mai 2019

Les planètes formées grâce à des objets interstellaires du type 'Oumuamua


Il y a un an et demi, un astéroïde à la forme bizarrement allongée passait dans notre système solaire avant d'en repartir aussi vite. 'Oumuamua avait rapidement été caractérisé comme venant d'un autre système stellaire. C'était le premier objet de ce type a être observé et devait être qualifié d'ISO (InterStellar Object, objet interstellaire). Et 'Oumuamua vient de générer des idées fructueuses dans la tête de deux astronomes : elles montrent dans une étude venant de paraître que de tels objets peuvent être à l'origine de la création très rapide de planètes lorsqu'ils arrivent dans un disque de poussière autour d'une étoile.



Susanne Pfalzner (Max-Planck-Institut für Radioastronomie) et Michele Bannister (Queen's University Belfast) cherchaient à répondre à une énigme actuelle concernant la vitesse de formation des planètes dans les disques proto-planétaires qui apparaissent autour des étoiles naissantes. Il a en effet été observé des cas étonnants (par exemple autour des étoiles V830 ou HL Tau) où des planètes géantes semblent déjà exister à peine quelques millions d'années après la formation d'un disque de poussière autour d'une étoile, alors que de telles planètes ne devraient pas pouvoir grossir jusqu'aux masses observées avant plusieurs dizaines de millions d'années. Le processus invoqué pour la formation planétaire est l'accrétion de poussière : les petites particules de poussière s'agglomèrent les unes avec les autres au fur et à mesure, à la manière d'une boule de neige que l'on fait rouler dans une couche de neige pour la faire grossir jusqu'au bonhomme de neige... Mais il existe dans ce processus des "barrières" physiques qui ralentissent l'accrétion de matière et la formation des planètes : les barrières dites de "rebond", de "dérive" et de "fragmentation", qui toutes affectent les grains de poussière à différentes vitesses et tailles comprises entre 1 mm et 1 m environ.

C'est là que Susanne Pfalzner et Michele Bannister ont pensé à 'Oumuamua et ses 100 m de long (entre 49 et 220 m). Un tel ISO parvenu dans notre système n'est que le sommet d'un iceberg selon elles. Il doit exister une très grande quantité d'objets interstellaires de plusieurs dizaines de mètres qui parcourent la galaxie d'étoiles en étoiles. Ces objets sont d'anciens planétésimaux qui ont été éjectés de leur étoile originelle par l'interaction d'une planète géante où d'une étoile proche. Mais ils peuvent aussi être capturés par une autre étoile ou un nuage moléculaire dense en instance de former une étoile, pourvu que leur vitesse soit suffisamment faible par rapport au nuage ou à l'étoile. Et que se passe-t-il lorsque l'étoile accueillante est très jeune et entourée d'un disque épais de poussière en cours d'accrétion ?  Les chercheuses répondent : un effondrement gravitationnel du nuage de gaz et de poussière et un effet boule de neige très efficace : les ISO agissent comme des centres de nucléation en agglomérant la poussière.

Pfalzner et Bannister rappellent que la densité estimée des ISO à partir des données d'observations du relevé PanSTARRS est de l'ordre de 1015 dans un volume de 1 pc3 (un cube de 3,26 années-lumière de côté), et elles montrent que cette densité déjà très importante peut être encore supérieure dans une région de formation d'étoiles. L'injection d'un corps qui fait déjà plusieurs dizaines de mètres de diamètre accélère fortement l'accrétion des particules de poussière grâce au fait qu'il dépasse déjà la taille critique des barrières de grossissement de type "rebond", "dérive" et "fragmentation". A la manière d'une grosse boule de neige, l'ISO va nettoyer littéralement son orbite au sein du nuage de poussière en agglutinant très vite des grains de poussière et en en agglomérant toujours plus en devenant plus massif.  L'effet boule de neige est exponentiel : plus le corps est gros, plus il accrète des grains ou des cailloux, donc plus il grossit, et donc plus il accrète et ainsi de suite. Des modèles de formation planétaire ont montré qu'un ISO ayant une taille de 100 km pouvait grossir par accretion jusqu'à former une planète de la taille de la Terre en seulement quelques milliers d'années !
Et bien sûr, vu leur grande densité de population estimée, il doit exister un grand nombre d'ISO dans un seul disque protoplanétaire ! Les astrophysiciennes calculent que dans les régions de formation intense d'étoiles, chaque disque protoplanétaire à sa naissance doit comporter environ 10 millions d'ISO d'une centaine de mètres, 10 000 ISO de 1 km de diamètre et environ 1000 de 100 km. Puis leur nombre décroit assez vite du fait de multiples interactions, ils peuvent notamment être éjectés pour aller ensemencer un autre système...

Ce phénomène, qui n'est pour l'heure qu'une hypothèse, comme le précise le titre de l'article de Pfalzner et Bannister paru dans The Astrophysical Journal Letters, permet de résoudre très efficacement le problème de la formation précoce des planètes dans les disques de poussière. Mais il a aussi une autre conséquence intéressante : Pour la toute première génération d'étoiles, le nombre d'objets interstellaires étrangers était forcément beaucoup plus réduit, étant eux-mêmes le produit de formation par accrétion de poussière. La formation planétaire devait donc être beaucoup plus lente pour ces premières générations d'étoiles. En d'autres termes, la formation des planètes a dû s’accélérer au cours de l'histoire cosmique en suivant les générations successives d'étoiles, à la faveur de l'augmentation progressive du nombre d'objets interstellaires servant de graines d'accrétion. Et c'est justement ce qui est observé : les amas globulaires comportent beaucoup de très vielles étoiles de plus de 10 milliards d'années, et il se trouve que l'on détecte relativement peu de planètes autour de ces étoiles.
La population d'ISO a donc dû augmenter graduellement dans la Galaxie pendant des milliards d'années, et doit aujourd'hui être prise en compte dans les scénarios de formation planétaire selon les astrophysiciennes. Susanne Pfalzner et Michele Bannister concluent leur article en relevant que si l'essentiel de la matière de la Terre provient du disque de poussière qui entourait le jeune Soleil, son coeur (0,1% de sa masse) vient probablement d'une autre étoile très lointaine, à l'image de 'Oumuamua...

Source

A Hypothesis for the Rapid Formation of Planets
Susanne Pfalzner and Michele Bannister
The Astrophysical Journal Letters, Volume 874, Number 2
https://doi.org/10.3847/2041-8213/ab0fa0


Illustrations

1) Vue artistique d'un disque protoplanétaire en train de former des planètes (NASA/JPL-Caltech)

2) Vue artistique de l'ISO Omuamua (ESO/M. Kornmesser)

3) Evolution au cours du temps du nombre d'ISO par étoile calculé par les auteures (Pfalzner et al.)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Une forme inattendue de panspermie planétaire !