Les premiers résultats scientifiques du rover chinois qui arpente la face cachée de la Lune viennent d’être enfin publiés. Ils concernent la composition du sol sur lequel roule Yutu2, et révèlent des minéraux provenant des couches profondes de la Lune, son manteau, de quoi mieux cerner l’histoire de la formation lunaire.
On sait que la Lune est formée d’une croûte, d’un manteau et d’un noyau, mais qu’elle ne possède pas de système de plaques tectoniques comme la Terre. Les planétologues estiment par ailleurs que la Lune est passée par une phase d’océan de magma qui en se refroidissant, s’est peu à peu solidifié. Au cours de cette solidification, les roches denses riches en magnésium et en fer, comme l’olivine et le pyroxène à faible teneur en calcium se seraient cristallisées à la base de l’océan magmatique. Lorsque trois quarts du magma se seraient solidifiés, les minéraux les moins denses comme les silicates d’aluminium flottaient à la surface et auraient formé la croûte. Les derniers éléments à se solidifier auraient été ceux situés juste en dessous de la croûte. Ce scénario de formation implique nécessairement l’existence de différentes strates bien distinctes radialement dans les couches profondes de la Lune.
Or, jusqu’à présent, aucune preuve directe de la composition du manteau lunaire n’a été apportée. Aucun échantillon rapporté des mission Apollo ne correspond à un matériau de type « manteau », mais avant tout de type « croûte ». Il aura donc fallu aller sur la face cachée pour observer pour la première fois une roche riche en olivine et en pyroxène peu calcique, et c’est le rover Yutu2 qui a permis cette observation.
La sonde Chang’e-4 et son rover Yutu2 se sont posés en janvier dans un cratère d’impact de 186 km de diamètre appelé le cratère Von Kármán, situé dans la grande région du bassin Aitken près du pôle sud qui s’étend sur près de 2500 km de diamètre. Le lieu n’avait bien sûr pas été choisi par hasard. La sonde américaine GRAIL avait pu notamment estimer l’épaisseur de la croûte pour en déduire une probable formation par un impact important ayant pénétré en profondeur dans le manteau sous-jacent. Un tel impact aurait eu pour conséquence de projeter de grandes quantités de matériau du manteau sur la surface. On comprend l’intérêt des planétologues chinois et d’autres pays pour une exploration de cette zone en particulier.
Chunlai Li (Key Laboratory of Lunar and Deep Space Exploration, Chinese Academy of Sciences, Beijing) et ses collègues chinois ont utillisé un instrument du rover Yutu qui est appelé Visible and Near Infrared Spectrometer (VNIS), un spectromètre qui permet d’analyser la lumière réfléchie sur le sol et d’en déterminer la composition chimique.
Des mesures ont été effectuées à deux endroits différents au cours du parcours initial du rover, au maximum à quelques dizaines de mètres du lieu d’alunissage. En trouvant de l’olivine et du pyroxène, les chercheurs chinois, dans leur article publié aujourd’hui dans Nature, suggèrent que ces roches proviennent bien du manteau lunaire, qui auraient été éjectées lors de la formation d’un cratère proche, le cratère Finsen, de 72 km de diamètre.
La détermination exacte des abondances relatives de différents minéraux détectés n’est malheureusement pas encore à la portée de ces premières mesures, mais des études plus approfondies impliquant une modélisation fine de la taille des grains par exemple devrait en dire plus. D’autres mesures in situ par Yutu2, sur des cibles spécialement sélectionnées (des cailloux particuliers) devraient aussi permettre d’éclairer d’avantage le contexte géologique de la zone explorée et répondre à des questions qui peuvent se poser, comme la possibilité que l’impact géant qui serait à l’origine du bassin Aitken ait pu produire une couche massive de roche fondue de plusieurs dizaines de kilomètres qui serait elle-même stratifiée.
Le fait d’avoir détecté pour la première fois des roches du manteau lunaire à sa surface est déjà une belle avancée et aura des implications sur la compréhension à la fois de la composition du manteau et de l’histoire de la formation de la Lune (par une meilleure connaissance des caractéristiques de l’océan de magma : profondeur, taux de refroidissement, viscosité, processus de convection…).
Au-delà, l’enjeu pour les spécialistes est aussi de comprendre l’origine de l’asymétrie importante qui existe entre la croûte de la face visible et celle de la face cachée de la Lune.
Source
Chang’E-4 initial spectroscopic identification of lunar far-side mantle-derived materials
Chunlai Li, Dawei Liu, Bin Liu, Xin Ren, Jianjun Liu, Zhiping He, Wei Zuo, Xingguo Zeng, Rui Xu, Xu Tan, Xiaoxia Zhang, Wangli Chen, Rong Shu, Weibin Wen, Yan Su, Hongbo Zhang & Ziyuan Ouyang
Nature volume 569, pages 378–382 (16 may 2019)
Illustrations
1) Le rover yutu2 en action (ImageChina)
2) Carte topologique de la face cachée de la Lune (LRO/NASA)
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