mercredi 20 novembre 2019

Détection inédite de photons ultra-énergétiques dans deux sursauts gamma


Trois articles sont publiés aujourd'hui dans la revue Nature décrivant la détection de photons gamma d'énergie supérieure à 100 GeV provenant de deux sursauts gamma différents, l'un étant apparu le 20 juillet 2018 (un article) et l'autre le 14 janvier 2019 (deux articles). Le GRB de janvier 2019 n'est rien d'autre, désormais, que la source de photons gamma la plus brillante à une énergie de l'ordre du Téra-électronvolt. Ces deux GRB (Gamma Ray Burst) sont issus d'explosions d'étoiles massives formant un trou noir.




C'est le télescope Cherenkov HESS (High Energy Stereoscopic System) qui a permis de détecter le signal de rémanence dans le domaine gamma à haute énergie de GRB 180720B le 20 juillet 2018, 10 heures après l'alerte envoyée par les télescopes spatiaux Fermi et Swift, qui fournissent rapidement les coordonnées des GRB (Gamma Ray Burst) dont ils détectent l'apparition, ce qui leur arrive environ une fois par jour, et parfois plus. Ce type de GRB  est le fruit d'une explosion d'une étoile massive menant à la création d'une trou noir. En quelques secondes, l'énergie qui est libérée est équivalente à l'énergie produite par le Soleil durant toute sa vie...


La rémanence gamma détectée par HESS, déjà tardive après le sursaut initial, a encore duré deux heures, ce qui offre aux chercheurs de la vaste collaboration HESS de quoi mieux comprendre le phénomène. L'émission d'un GRB se divise en deux phases : une première phase dite prompte, très puissante, qui dure quelques dizaines de secondes, et une seconde phase dite de rémanence, beaucoup plus longue, qui correspond à la progression de l'onde de choc de l'explosion dans le milieu environnant, et dont le signal décroit lentement. C'est cette dernière composante que les télescopes Cherenkov HESS et MAGIC (Major Atmospheric Gamma Imaging Cherenkov) ont détecté dans la gamme des très hautes énergies pour la première fois. 
Pour les chercheurs de la collaboration HESS, il existe deux explications possibles pour l'existence de ces photons gamma si énergétiques : le processus de Compton inverse dans lequel des électrons ultra-énergétiques diffusent sur des photons de basse énergie et leur transfèrent une grande partie de leur énergie et de leur impulsion dans la collision, ou bien le rayonnement synchrotron de ces mêmes électrons ultra-relativistes lorsqu'ils spiralent autour de lignes de champs magnétiques. Mais à l'aune de l'analyse du signal de rémanence, ils penchent d'avantage vers une origine de type Compton inverse.
Jusqu'à aujourd'hui, l'émission gamma des GRB n'avait pu être observée qu'en dessous d'une énergie de 100 GeV, et même plutôt en dessous de 1 GeV. C'est désormais du passé grâce à GRB 180720B et surtout à GRB 190114C
Le 14 janvier 2019, les télescopes spatiaux Fermi et Swift détectaient en effet leur troisième sursaut gamma de la journée. Mais cette fois, en 22 secondes, ses coordonnées étaient envoyées à de nombreux observatoires autour du monde, et seulement 27 secondes plus tard, les télescopes gamma MAGIC (et leurs 64 tonnes) depuis les îles Canaries étaient pointés vers ce GRB 190114C. Le résultat en fut l'observation de la source de rayons gamma de très haute énergie la plus intense jamais observée, provenant d'une supernova située dans une galaxie à 4,5 milliards d'années-lumière.
La rémanence du sursaut peut être observée pendant quelques dizaines de minutes dans le domaine gamma par des télescopes spécialisés comme MAGIC, et encore pendant plusieurs mois voire années dans le domaine radio avec des radiotélescopes.
Et ce que MAGIC a enregistré ce 14 janvier 2019, ce sont les photons gamma les plus énergétiques provenant d'un GRB. Les premiers photons gamma détectés avaient une énergie comprise entre 0,2 et 1 TeV, 10 fois plus élevée que le précédent record. Et MAGIC a fait ses observation beaucoup plus tôt que ce qu'avaient pu faire les astrophysiciens de HESS en juillet 2018 : seulement 50 secondes après le début du sursaut.
GRB 190114C est donc maintenant la source la plus brillante en photons de l'ordre du TeV.


La lumière de rémanence de GRB 190114C et de sa galaxie hôte ont ensuite été imagées par Hubble le 11 février puis le 12 mars. Ces observations révèlent une faible lueur située à 800 années-lumière du coeur de la galaxie, qui apparaît être une galaxie spirale assez semblable à la nôtre, peuplée de jeunes étoiles. Et la rémanence du GRB a également été suivie dans le domaine radio, notamment avec le ATCA (Australia Telescope Compact Array). Les chercheurs concluent à partir des caractéristiques des rayonnements observés, que les photons gamma énergétiques n'ont pas été générés par l'explosion elle-même mais bien par l'onde de choc induite sur la matière environnante, par effet Compton inverse d'électrons accélérés dans l'explosion de la supernova, une conclusion similaire à celle de HESS concernant GRB 180720B.

MAGIC et HESS sont ce qu'on appelle des télescopes imageurs par effet Cherenkov atmosphérique : ils détectent la très faible lumière Cherenkov qui apparaît dans l'atmosphère lorsqu'une gerbe de particules chargées très énergétiques, et donc très rapides (plus rapides que la lumière dans l'air) traverse l'atmosphère, ces particules en cascade étant elles produites par les photons ultra-énergétiques interagissant dans la très haute atmosphère sur les atomes d'azote et d'oxygène. Ces télescopes sont sensibles à des photons gamma d'énergie comprise entre 30 GeV et 100 TeV.


Ces deux détections sont non seulement un grand succès pour les deux observatoires spécialisés qui attendaient depuis une grosse décennie leur première détection de GRB, mais aussi pour les modèles théoriques expliquant le phénomène GRB. Les astrophysiciens, en comprenant que ces photons de plus de 100 GeV proviennent d'un processus de type Compton inverse, montrent par là même que c'est un mécanisme un peu plus subtil qui entre en jeu, ce que les spécialistes ont appelé le mécanisme SSC (Synchrotron Self Compton). Les photons sur lesquels viennent diffuser les électrons accélérés en leur transmettant une grosse partie de leur énergie cinétique sont des photons qui ont été produits peu de temps auparavant par ces mêmes électrons, par rayonnement synchrotron. En résumé : les électrons sont accélérés fortement par l'onde de choc de la supernova, ils spiralent le long des lignes de champs magnétique; leur trajectoire étant courbée, ils perdent alors une première fois de l'énergie en émettant des photons (dans le domaine radio ou X) par rayonnement synchrotron. Les électrons collisionnent ensuite ces photons et leur transfèrent une grande partie de leur énergie résiduelle, les boostant jusqu'au domaine des gamma de très haute énergie.

Une prédiction clé du modèle SSC est qu'il devrait exister deux bosses dans le spectre en énergie du spectre gamma de rémanence. Et c'est justement ce que MAGIC met en évidence dans le spectre de GRB 190114C, pour la première fois. Cette double bosse est en revanche moins claire dans le spectre obtenu par HESS sur GRB 180720B. 
Maintenant que des photons de plus de 100 GeV ont enfin été détectés dans des GRB, ces détections pourraient devenir une routine dans le futur, notamment grâce à d'autres détecteurs Cherenkov comme HAWC au Mexique ou les futurs prometteurs Cherenkov Telescope Array (CTA) et Large High Altitude Air Shower Observatory (LHAASO)...


Sources

A very-high-energy component deep in the γ-ray burst afterglow
Hassan Abdalla et al. (HESS collaboration)
Nature volume 575 (2019)


Teraelectronvolt emission from the γ-ray burst GRB 190114C
MAGIC Collaboration
Nature volume 575 (20 november 2019)


Observation of inverse Compton emission from a long γ-ray burst
MAGIC Collaboration
Nature volume 575 (20 november 2019)


Illustrations

1) Localisation de GRB 190114C (MAGIC Collaboration)

2) Comparaison de l'image de GRB 180720B obtenue par HESS 10h et 18 jours après son apparition (Collaboration HESS)

3) Flux et spectre de GRB 180720B en fonction du temps (Collaboration HESS)

4) Flux et spectre de GRB 190114C en fonction du temps (Collaboration MAGIC)

8 commentaires :

L6 Atmo a dit…

Bonjour,

En lisant que ces chercheurs ont mesuré des photons gamma de plus 100GeV et que "ces télescopes sont sensibles à des photons gamma d'énergie comprise entre 30 GeV et 100 TeV", je me suis posé 2 ou 3 questions :

Est-ce qu'on a déjà mesuré des photons gamma plus énergétiques que ceux de ce billet (issus d'autres sources que de GRB peut être)?

Quelle est la limite supérieure d'énergie qu'un photon gamma est capable de véhiculer? Et si elle existe, quelle est l'origine de cette limite?

Merci d'avance.

Dr Eric Simon a dit…

Oui, on a déjà détecté des photons jusqu'à environ 10 TeV je crois. Ils provenaient de blazars (jets de quasar vu de face). Concernant la limite, la sele qui existe concerne l'énergie acquise par la particule qui en est a l'origine et donc a son mode d'accélération. Si on fait abstraction de ça, il n'y a pas de limite, mais plus un photon est energetique, plus sa probabilité d'interaction avec d'autres photons (comme ceux du CMB par exemple) est grande. Donc l'environnement rencontré au cours du trajet apporte aussi sa limitation naturelle.

L6 Atmo a dit…

" plus un photon est energetique, plus sa probabilité d'interaction avec d'autres photons (comme ceux du CMB par exemple) est grande."

Si on pousse cette logique au maximum, il doit bien y avoir un niveau d'énergie où la probilité d'interaction est à 100% donc une limite doit exister (dépassant cette limite énergétique, le photon interagit instantanément avec un photon du CMB), non?

Pascal a dit…

Bonjour,

Tibet AS gamma a enregistré 24 photons de 100 à 450 Tev, record actuel. Origine, pulsar du crabe ; effet Compton inverse (e- sur photons du CMB). Cf http://english.ihep.cas.cn/doc/3696.html

Bonne soirée

Pascal a dit…

En creusant un peu (http://www.apc.univ-paris7.fr/~fcasse/FC9_Cours4.pdf), il apparaît que la propagation de photons gamma très énergétiques dans le CMB est contrainte par la création de paires e+/e- ; les lois de conservation de l'énergie et de l'impulsion imposent : h.f1 > (Me.c²)²/2 h.f2 ( f1 et f2 resp. fréquences du photon gamma et du photon du CMB, Me masse de l'électron ). Avec h.f2=Kb.T= 2.3 10^-4 ev et Mec²= 511 Kev, je trouve, sauf erreur, h.f1 > 560 Tev : c'est donc environ l'énergie à partir de laquelle un photon gamma sera arrêté par le CMB. C'est justement l'ordre de grandeur des photons les plus énergétiques captés par Tibet AS gamma...

Dr Eric Simon a dit…

Pascal, le calcul de l'énergie limite est effectué dans le cours que tu donnes en lien, le résultat obtenu est 130 TeV mais il fait un arrondi pour l'énergie du CMB à 10^-3 eV, alors que c'est plutôt 2,3.10^-4 effectivement. Il trouve 130 TeV du coup, alors que ça serait 553 TeV (et non 560, aussi un petit arrondi supérieur ??;-) )

Pascal a dit…

Oui, Eric ! Ceci étant, je pense qu'il faut plutôt considérer ces chiffres en ordre de grandeur, comme une première approximation.

L6 Atmo a dit…

J'adore la physique : les photons les plus incroyablement énergétiques de l'univers rencontrent les plus vieux photons de l'univers pour donner une paire e-/e+, je dirais presque : tout simplement xD

Merci à tous les 2 pour vos réponses détaillées.