20/04/20

L'origine du champ magnétique terrestre reste inconnue


Le champ magnétique terrestre existait-il déjà il y a plus de 3,5 milliards d'années ? Alors qu'une équipe de géophysiciens américains avaient conclu par l'affirmative en 2015 suite à l'analyse de cristaux de zircone trouvés en Australie, semblant tracer un champ magnétique jusqu'à 4,2 milliards d'années dans le passé, une nouvelle analyse des mêmes types de cristaux par une autre équipe américaine arrive à la conclusion inverse, en montrant que les cristaux de zircone ne sont pas pertinents pour mettre en évidence le champ magnétique terrestre primordial. Une étude parue dans Science Advances.



C'est à Jack Hills, dans l'Ouest de l'Australie que des cristaux de zircone très intéressants pour les géophysiciens ont été collectés au niveau d'un affleurement très ancien.
Caue Borlina (MIT) et ses collaborateurs s'intéressent depuis longtemps à l'histoire du champ magnétique terrestre, et pour cela, ils cherchent les minéraux parmi les plus âgés que nous connaissons, mais pas n'importe quels minéraux : des cailloux qui renferment des traces du champ magnétique qui était présent quand ils se sont formés.
Les géophysiciens utilisent souvent cette méthode pour déterminer l'orientation et l'intensité du champ magnétique de la Terre en fonction des périodes géologiques. Lorsque les roches se forment et se refroidissent , les grains magnétisés qui peuvent les constituer s'orientent le long des lignes de champ puis, une fois arrivé en dessous d'une certaine température, la température de Curie, ils se figent définitivement, produisant leur propre champ magnétique, trace du champ environnant à ce moment là. En estimant l'âge de ces cristaux par des mesures de ratios isotopiques de l'uranium et du plomb à l'état de traces et en mesurant en même temps les caractéristiques de leur magnétisation, les spécialistes peuvent ainsi remonter aux caractéristiques du champ magnétique terrestre de l'époque de la formation de ces cristaux particuliers.
L'intérêt des zircones de Jack Hills est que ces cristaux font partie des roches les plus anciennes connues sur Terre, et elles sont magnétiques, mais si c'est avec une très faible intensité. C'est ainsi qu'en juillet 2015, une équipe de géophysiciens menée par John Tarduno (Université de Rochester) publiait dans Science la mesure de l'âge de cristaux de zircones de Jack Hills allant jusqu'à 4,2 milliards d'années, associés à la présence d'une magnétisation qui indiquait l'existence d'un champ magnétique terrestre d'intensité comprise entre 0,12 et 1 fois sa valeur actuelle, à cette époque très reculée où la Terre n'avait que 400 millions d'années...
Il faut s'arrêter un instant sur la raison pour laquelle ce résultat paraissait surprenant. Nous savons aujourd'hui que le champ magnétique est produit par la solidification du coeur de fer liquide de notre planète. Le refroidissement et la cristallisation du coeur agiterait le fer liquide environnant ce qui induirait la création de courants électriques puissants qui génèrent à leur tour le champ magnétique dipolaire par un effet de dynamo. Le champ magnétique a joué un rôle très important pour le développement de la vie sur Terre en protégeant l'atmosphère du rayonnement cosmique et en protégeant les organismes vivants eux-mêmes des rayonnements ionisants. De nombreux indices ont montré que le champ magnétique terrestre devait exister il y a 3,5 milliards d'années. Mais selon les géophysiciens, le coeur de la planète a dû commencer à se solidifier il y a seulement 1 milliard d'années, ce qui implique qu'un autre mécanisme devait exister avant.  
Connaître exactement quand le champ magnétique terrestre est apparu peut ainsi aider les spécialistes à comprendre son origine physique. Et c'est d'autant plus important de savoir si il existait déjà avant 3,5 milliards d'années dans le passé car c'est à ce moment que la vie a émergé...

Caue Borlina et son équipe ont eux aussi collecté des roches de l'affleurement de Jack Hills et en ont extrait 3754 grains de zircone, chacun faisant environ 150 microns, aussi épais qu'un cheveu. Puis ils ont daté précisément chacun des grains et ont trouvé des âges variant de 1 milliard à 4,2 milliards d'années. Environ 250 cristaux de leur échantillon sont plus âgés que 3,5 milliards d'années. L'équipe a donc isolé ces cristaux et les a mesurés au magnétomètre pour sélectionner ceux qui montraient un potentiel pour les études de paléomagnétisme, c'est à dire qui montraient un signal magnétique. Il ne restait alors plus que 56 cristaux...

Ces 56 cristaux ont ensuite été imagés pour déceler la présence éventuelle de fissurations ou de matériaux secondaires qui auraient pu avoir été déposés après leur formation. Les chercheurs ont également cherché des signes d'échauffement significatif dans les derniers milliards d'années passés, ce qui aurait pu leur faire perdre leur magnétisation primordiale. 
Seuls 3 cristaux sur les 56 se sont révélés exempts d'impuretés et étaient à même de contenir une information magnétique exploitable.
Borlina et ses collaborateurs se sont ensuite focalisés sur ces 3 cristaux de zircone pour déterminer quel type de matériau magnétique ils contiennent. Ils trouvent effectivement de la magnétite dans 2 des 3 cristaux de zircone, âgés respectivement de  3,973 ± 0.001 milliards d'années et de 3,979 ± 0.007 milliards d'années.
A l'aide d'un magnétomètre à diamant à haute résolution, ils ont ensuite cartographié la distribution de cette magnétite dans des coupes de ces deux cristaux. Et ce qu'ils ont découvert, c'est que la magnétite se trouvait toujours le long de microfissures ou de défauts à l'intérieur du cristal. De telles fissures, selon les géophysiciens, sont des véritables portes d'entrée pour l'eau ou d'autres minéraux à l'intérieur du cristal de zircone. La magnétite observée peut donc avoir été apportée de l'extérieur et bien plus tard que l'époque de formation du cristal lui-même. La conclusion des chercheurs est sans appel : les cristaux de zircone de Jack Hills ne peuvent pas être utilisés tels quels pour mesurer le champ magnétique terrestre ancien. Si on mesure une orientation et une intensité de champ magnétique avec ces cristaux de zircone, on ne peut pas faire confiance au résultat car on ne peut pas être sûr que la magnétite qu'il contiennent était bien présente lors de leur formation...
On ne peut donc pas affirmer comme l'avait fait l'équipe de Tarduno que les roches de Jack Hills prouvent l'existence du champ magnétique terrestre il y a plus de 3,5 milliards d'années. Selon Borlina et ses collaborateurs, on ne sait donc toujours pas quand est apparu ce champ magnétique.

En conclusion de cette bataille du zircone pour connaître l'origine du champ magnétique terrestre, on retiendra que ces différents travaux ont permis de mieux comprendre comment il faut faire pour étudier rigoureusement le magnétisme de minéraux anciens. Ces nouvelles connaissances vont pouvoir être mises à profit pour étudier d'autres types de cristaux magnétiques, que ce soit sur la Terre ou sur d'autres planètes. 


Sources 

Reevaluating the evidence for a Hadean-Eoarchean dynamo
Cauê S. Borlina et al.
Science Advances  Vol. 6, no. 15, (08 Apr 2020)

A Hadean to Paleoarchean geodynamo recorded by single zircon crystals
John A. Tarduno et al.
Science Vol. 349, Issue 6247 (31 Jul 2015)


Illustrations

1) Vue d'artiste du champ magnétique terrestre (Greg Shirah and Tom Bridgman, NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio)

2) Localisation des grains de magnétite à l'intérieur des deux cristaux de zircone ayant passé tous les critères de sélection (Cauê S. Borlina et al.)

5 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

Pour les puristes, il ne faut pas confondre zircone, dioxyde de zirconium ZrO2 et zircon, silicate de zirconium ZrSiO4. Les cristaux de Jacq Hills en question semblent bien être du zircon :-)

Plus sérieusement, même si l'on n'a pas la preuve d'une dynamo terrestre à 4,2 Ga, elle est probablement bien antérieure au début de la cristallisation de la graine vers 1,5 Ga : des cristaux de quartz d'Afrique du sud datés de 3,45 Ga comportent des inclusions magnétiques indiquant un champ de 50 à 70 % de la valeur actuelle (Tarduno, science, 03/2010); ce qui, à ma connaissance, n'a pas été remis en cause; sans compter qu'une présence massive de cyanobactéries photosynthétiques de surface attestée par la production d'O2 à partir de 3 Ga aurait sans doute été difficile en l'absence de bouclier magnétique ?

Mais, même en retenant une convexion solutale plutôt que thermique, une cristallisation du noyau n'est pas forcement requise : une exsolution du MgO, qui n'est soluble dans le fer liquide qu'à hautes températures, a pu avoir lieu par simple refroidissement d'un noyau entièrement liquide (wikipedia).

@Érix38fr a dit…

Je plussoie le commentaire de Pascal, sinon que ce n'est pas affaire de puristes, mais de justesse ; il s'agit de science, et les définitions et les termes y sont précis, et c'est une attitude qui en vulgarisation peut être préservée, sinon en avertissant de la licence "poétique" :-). Ici, on parle de zircons, minéraux naturels fascinants, et les zircons ne sont pas en zircone, matériau n'existant pas naturellement macroscopiquement à la surface de notre planète.

Il ne s'agit, bien évidemment et surtout pas, de blâmer Éric, qui fait un boulot super (un zetta-mercis à lui) et n'hésite pas à s'aventurer dans des domaines connexes à ceux de son aise. Mais merci de l'aider à améliorer ce qui peut l'être. On n'est pas en politique ou autre ; en sciences, par construction, on se trompe sur des tas d'affirmations, c'est ce qui fait avancer le bateau. Or comme ce dernier devient de plus en plus immense, il est difficile d'y être au point partout (c'est la fin des polymathes : et une extinction de plus !).

Chimiquement les zircons sont des silicates de zirconium, et ils sont très naturellement (érosion) très résistants, malgré une structure cristallographique relativement lâche : entre minéralogistes, on les surnomme les poubelles de la cristallisation, car ils « accueillent » ("acceptent", au sens des coefficients de partage, etc.) un grand nombre d'éléments chimiques. D'où leur relative richesse générale en uranium, d'où leur intérêt entre autre pour la datation radiochronométrique. Riches aussi en hafnium, l'élément chimique juste au-dessus du Zr sur Mendeleiev, dit "quasi-isotope" en géochimie (rapport Zr/Hf relativement très constant dans les matériaux terrestres) ; or l'hafnium est impliqué dans un autre couple radioactif-radiogénique à longue période le système Lu-Hf…

Ce sont aussi des cristaux très résistants, et on connaît des grains de zircon qui semblent mono-cristallins, très limpides, mais que par cartographie chimique, on reconnaît comme contenant plusieurs domaines dont les datations donnent des âges discrets et très différents, séparés de plusieurs centaines de Ma sur une gamme pouvant dépasser 1 à 2 Ga. L'interprétation que ceux-ci ont été engendrés lors une première cristallisation de "granite" (dont ils sont sur Terre quasiment indissociables). Érosion-sédimentation transport, zone de subduction, subduction, reprise dans une formation de magmas d'arc puis une granitogenèse, sinon sédimentation/ enfouissement/ anatexie granitique… deux scénarios légèrement différents, mais dont le résultat est qu'ils ont fait plusieurs "tours" entre (petite) profondeur terrestre (genèse/recristallisation), et surface (érosion, et in fine, échantillonnage). Triste fin ou fin glorieuse de ces zircons, dissous ou analysés pour la Science, les honneurs et la gloire ! :-). Ah oui, j'oublie une conséquence de taille : même la granitogenèse la plus vieille, 4,2+ Ga, semble nécessiter sur Terre une sédimentation et une tectonique active. D'où ancienneté quasi-prouvée des subductions et… de la "tectonique des plaques" (expression entière consacrée pour ce grand mécanisme de convection interne et son organisation en surface de la Terre solide ; car il n'y a pas à proprement parler d'objets qu'on puisse isoler et qui pourraient se valoir du terme trop souvent mal employé de "plaque" ; mais c'est un autre débat, un autre combat :-)).

Dernière anecdote : on a trouvé un zircon (tout petit, #100 µm) dans une météorite martienne (NWA 7533), ce qui a permis de dater le claste qui le contenait : 4,33 Ga (±… ~<100 Ma, je ne sais plus bien… de mémoire : Humayun et al 2013, Hewins et al, Zanda et al, ou autre de cette trans-équipe) ; cité dans l'article Wikipédia sur cette météorite). Plus vieux que ceux de Jack Hills. Une contrainte forte sur l'histoire géodynamique de Mars.

À suivre…

@Érix38fr a dit…

(Le meilleur maintenant ; con(mal af)finé, mon commentaire trop bavard n'est pas passé du premier coup…)

Je vous cite quatre spécialistEs françaisEs :-) que vous pourrez contacter au besoin :

+ Christa Göpel, parisienne allemande, récemment retraitée de l'IPGP, grande et trop humble spécialiste de la datation radiochronométrique à longue période et à très grande précision (mieux que ±1 Ma absolu sur 10-100 mg de matière nous venant des tout premiers vagissements de notre Système solaire…), et notamment sur les météorites primitives (mais pas que…) ;

+ Brigitte Zanda, parisienne française (page WP) découvreuse de l'intérêt scientifique hyper riche de NWA 7533, ex-responsable de la collection des météorites du MNHN, spécialiste des météorites, co-conceptrice du réseau FRIPON et inventeuse du projet Vigie-CIel (mais pas que…) ;

+ Janne Blichert-Toft, lyonnaise (ENS) danoise (page WP) spécialiste des zircons anciens, notamment ceux de Jack Hills mais pas que… et de l'histoire /hadéenne/ ( = anté-archéenne, plus vieux que ~4.0 Ga) de la Terre (mais pas que…) ;

+ Catherine Chauvel, grenobloise (UGA) bretonne, récemment émigrée à l'IPGP, et spécialiste des isotopes du hafnium et donc un peu de Zr (mais pas que…).

N'hésitez pas à les requérir en cas de besoin, vous serez bien accueilli (si vous voulez une introduction, dites que c'est un martien qui les a dénoncées…).


Encore un gros paquet de mercis pour tous vos podcasts, vous êtes coupable :-) dans pas mal du peu d'astro extra-solaire que je connais.

Pascal a dit…

Merci @Érix38fr pour ces précisions sur les zircons, en particulier pour avoir mentionné ceux de NWA 7533/7034 vieux de 4.4 Ga ; pas question ici de magnétisme, en revanche ils sont très intéressants au moins à 2 titres :
1- ils font remonter la formation de la croûte de Mars à la même date reculée que celle de la terre
2- leur analyse isotopique et la modélisation des systèmes U-Th-Pb montre que 2 épisodes d'altération aqueuse des zircons ont eu lieu à l'Amazonien, le dernier récent (227-56 Ma), ce qui implique de l'eau liquide de surface ou sub-surface en quantité et pendant une durée suffisante ; l'hypothèse principale est celle de la fonte de la cryosphère par impact météoritique ou activité magmatique. Avec en arrière pensée le thème brûlant de la vie sur Mars...

Pour en revenir à la terre, les modifications des température, densité et composition chimique des laves (disparition des komatiites) vers 3 Ga pourraient signer un changement de régime tectonique et le passage au régime moderne des plaques ; une récente étude paléomagnétique (https://advances.sciencemag.org/content/6/17/eaaz8670) montre que le craton de Pilbara s'est déplacé de 2,5 cm/an entre 3.35 et 3.18 Ga. Incidemment, elle confirme la présence d'un champ magnétique à cette époque. Sur l'origine de la transition tectonique et son possible déclenchement par un bombardement météoritique massif vers 3.2 Ga, cf aussi l'article de Charles Franckel dans le dernier HS de Ciel et Espace no 36 sur les astéroïdes.

Pascal a dit…

Bonjour,

Du nouveau sur le paleomagnétisme martien, avec un article encore paru dans Science Advances le 01/05 (https://advances.sciencemag.org/content/6/18/eaba0513) : la sonde Maven a décelé un magnétisme compatible avec une dynamo type terrestre datant de 4.5 Ga dans le bassin Borealis ; et aussi de 3.7 Ga au niveau de Lucus Planum. Une dynamo a donc pu exister très tôt sur Mars, et persister près d'1 Ga, ce qui contraint le scenario d'évolution thermique, et atmosphérique de cette planète.