Elle illumine nos soirées par son éclat imbattable, l’atmosphère de Vénus possède pourtant plusieurs caractéristiques encore mal comprises... Vénus est notamment animée par une étonnante super-rotation qui voit ses couches atmosphériques tourner 60 fois plus vite que la planète elle-même. L’atmosphère vénusienne semble aussi arborer une composition chimique structurée. Deux études parues cette semaine présentent de nouveaux résultats éclairants sur la singulière atmosphère vénusienne, la première dans Science et la seconde dans Nature Astronomy.
L’équipe nippo-américaine menée par Takeshi Horinouchi (Université de Hokkaido) a exploité les données de la sonde Akatsuki qui étudie Venus in situ depuis 2015. Ils s’intéressent à la vitesse des vents dans l’atmosphère de Vénus grâce aux images obtenues par la sonde dans les domaines infra-rouge et ultra-violet. Certes, la super-rotation atmosphérique a une vitesse 60 fois plus élevée que la rotation de Vénus mais il faut se rappeler que Vénus a une rotation sur elle-même qui est extrêmement lente : un jour vénusien dure 243 jours terrestres… Rappelons aussi que la période de rotation de Vénus est même plus grande que sa période de révolution autour du Soleil qui vaut 225 jours… Elle fait moins d’un tour sur elle-même lorsqu’elle fait un tour du Soleil.
Cette
super rotation des couches atmosphériques de Vénus montre une vitesse
croissante en fonction de l’altitude. A 70 km d’altitude, la vitesse des vents
est maximale, elle atteint 110 m/s dans la zone équatoriale (396 km/h). Elle a
pour effet de distribuer très efficacement (quatre jours pour faire le tour du
globe) la chaleur absorbée dans l’hémisphère éclairé, réduisant les écarts de
température entre les deux hémisphères. La super rotation atmosphérique de
Vénus a été découverte très tôt, dès les années 1960, mais le mécanisme qui se
cache derrière est toujours assez mal compris.
Horinouchi
et ses collaborateurs ont réussi à déterminer la vitesse des vents et à en déduire
les contributions respectives des ondes atmosphériques et des diverses
turbulences dans le phénomène de super-rotation. Ils ont pour cela cartographié
le contraste dans les images UV des nuages couvrant la planète et utilisé des
cartes de température obtenues en infra-rouge pour évaluer le transport de
chaleur. Ces données les ont menés vers l’estimation ou la mesure des transports
verticaux et horizontaux de moment cinétique par les ondes atmosphériques thermiques.
Les
chercheurs ont ainsi découvert qu’il existait une circulation inattendue de l’équateur
vers les pôles, en plus de la circulation d’est en ouest (le super-rotation). Et
pour maintenir la super-rotation au niveau de l’équateur, les planétologues
montrent que ce sont des ondes de marée « thermiques » atmosphériques
qui agissent, produites par l’écoulement du gaz qui est chauffé dans l’hémisphère
éclairé, vers l’hémisphère obscur. Plus près des pôles, en revanche, ce sont
des phénomènes de turbulence qui deviennent prépondérants.
Ils peuvent
ainsi confronter leurs conclusions à des simulations basées sur un modèle de
circulation générale qui a été construit pour l’atmosphère terrestre mais qui
peut être adapté à des configurations inconnues sur Terre. Ces simulations permettent
de déterminer le rôle relatif des différentes contributions dans le transport
de moment cinétique dans l’atmosphère. Les données de Akatsuki analysées par
les planétologues japonais et américains permettent de contraindre les
paramètres utilisés dans les modèles atmosphériques.
Le
transport atmosphérique de chaleur est donc double sur Vénus : une
circulation lente de l’équateur vers les pôles et une circulation très rapide de
l’hémisphère éclairé vers l’hémisphère sombre.
L’étude
de Horinouchi et ses collaborateurs va être importante au-delà de la
connaissance de Vénus, pour expliquer les systèmes atmosphériques des
exoplanètes qui sont « lockées » gravitationnellement, c’est-à-dire qui
montrent toujours la même face à leur étoile, c’est-à-dire qui tournent sur
elles-mêmes à la même vitesse que celle de leur mouvement orbital (comme la
Lune avec la Terre), ce qui est presque le cas de Vénus. Elle sera également
utile pour les études du gros satellite saturnien qu’est Titan, le seul autre
corps du système solaire connu pour avoir une super-rotation atmosphérique…
L’atmosphère
de Vénus est composée pour environ 96,5% de dioxyde de carbone. Les 3,5%
restants sont composés principalement de di-azote (N2). Cette valeur d’abondance en azote a été
déterminée à la fin des années 1970 pour une altitude inférieure à 45 km conjointement
par les sondes Venera 11, Venera 12 et Pioneer Venus MultiProbe. Mais Pioneer
Venus MultiProbe avait aussi mesuré en 1978 une valeur un peu supérieure (4,5%)
à une altitude plus élevée de 55 km, laissant entrevoir une évolution de la
quantité d’azote en fonction de l’altitude.
Patrick Peplowski,
David Lawrence et Jack Wilson (Johns Hopkins University) se sont intéressés à cette
composition en azote de l’atmosphère Vénusienne à haute altitude encore jamais mesurée, entre 60 km et
100 km. Pour cela, ils ont utilisé une sonde pas du tout dédiée à l’étude de
Vénus et un détecteur pas du tout dédié initialement à la mesure de l’azote atmosphérique…
Les
chercheurs américains ont exploité la sonde MESSENGER de la NASA, sonde d’exploration
de Mercure qui est passée à proximité de Vénus pour faire un deuxième rebond
gravitationnel (assistance gravitationnelle de changement de trajectoire) le 5 juin 2007 à 338 km d’altitude.
Or, MESSENGER
est munie d’un spectromètre neutronique qui a pour but de détecter l’eau qui se
trouverait au fond des cratères polaires de Mercure, là où le Soleil ne pénètre
jamais. Le principe de cette détection de l’eau repose sur la détection de
neutrons « thermalisés » (ralentis) par leurs interactions de
diffusions multiples avec les noyaux d’hydrogène de l’eau. Il s’agit de
neutrons issus du rayonnement cosmique galactique (des noyaux d’atomes très
énergétiques) qui viennent interagir dans la croûte de la planète et y produisent
des neutrons secondaires énergétiques par réactions de spallation, qui sont ensuite diffusés vers l’espace après
avoir perdu une grande partie de leur énergie cinétique par interactions
multiples. La détection des neutrons depuis l’orbite en fonction de leur
énergie puis la cartographie du flux détecté permet de situer les zones où se
trouvent les plus grandes quantités d’hydrogène, et donc d’eau. Quel rapport
avec l’azote de Vénus, me direz-vous ?
Et bien
il se trouve que le noyau d’atome d’azote réagit très efficacement avec des
neutrons thermiques (E < 0,2 eV) ou épithermiques (entre 0,2 eV et 500 keV) via
des réactions nucléaires de type (n,g) sur l'azote-14 qui donnent de l’azote-15 ou de type (n,p), donnant du carbone-14. Des neutrons
thermiques ou épithermiques qui sont émis à partir de la surface ou de l’atmosphère
de Vénus subissent donc une absorption non négligeable dans la dense atmosphère
de Vénus et cette absorption dépend directement de l’abondance en
azote.
En
mesurant le flux de neutrons émanant de Vénus avec le spectromètre neutronique
de MESSENGER, on peut donc mesurer indirectement quelle est la quantité d’azote
en fonction de l’altitude, via un calibrage par des simulations du transport
des particules et des réactions qui y ont lieu.
C’est ce
qu’ont fait Patrick Peplowski et ses collègues en se focalisant sur la tranche
d’atmosphère encore non mesurée : entre 60 km et 100 km.
Dans
leurs simulations de l’atmosphère vénusienne, les chercheurs ont découpé l’atmosphère
de 100 km en 50 tranches de 2 km chacune où ils font varier l’abondance en CO2
et en N2. A partir du flux incident connu de rayons cosmiques galactiques et des
caractéristiques du détecteur de neutrons de MESSENGER, ainsi que les effets de
vitesse relative et de gravité, ils obtiennent un flux neutronique simulé tel que devrait le détecter MESSENGER, pour
chacune des configurations de 50 couches atmosphériques. Il ne reste plus qu’à comparer le flux simulé avec le flux mesuré par le spectromètre neutronique de la sonde pour
trouver la configuration atmosphérique qui s’approche le plus de la réalité.
Les
chercheurs américains trouvent ainsi une abondance en volume de 5,0 ± 0,4 % en di-azote pour une altitude comprise entre 60 et 90 km. C’est
40% plus élevé que les 3,5% qui étaient jusque là admis (pour une altitude
allant jusqu’à 45 km), et extrapolés à toute l’atmosphère de Vénus. Il y aurait
donc bien un gradient d’azote non négligeable en fonction de l’altitude dans l’atmosphère
de Vénus. Cette découverte remet en cause l’hypothèse d’homogénéité de la
composition de l’atmosphère vénusienne en fonction de l’altitude.
Selon Peplowski et ses collaborateurs, l’existence de régions
atmosphériques différentes en composition entre les basses et les hautes
altitudes complique l’utilisation de données obtenues uniquement à haute altitude, comme
celles de Akatsuki, pour déduire ce qui se passe à basse altitude. Ils
appliquent également leur conclusion pour ce qui concerne les autres planètes
et exoplanètes.
Sources
How waves and turbulence maintain the super-rotation
of Venus’ atmosphere
Takeshi Horinouchi et al.
Science vol 368 issue 6489 (April 23, 2020)
Chemically distinct regions of Venus’s atmosphere
revealed by measured N2 concentrations
Patrick N. Peplowski, David J. Lawrence & Jack T.
Wilson
Nature Astronomy (20 april 2020)
Illustrations
2) schéma de la circulation atmosphérique déduite des mesures de Akatsuki (Planet-C project team)
3) Le spectromètre neutronique de MESSENGER (NASA)
4) Schéma de la production de neutrons dans la croûte d'une planète par interaction de rayons cosmiques galactiques ((I.G. Mitrofanov et al.)
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