vendredi 11 septembre 2020

Matière Noire : une anomalie dans les amas de galaxies révélée par lentilles gravitationnelles


Que se passe-t-il dans les halos de matière noire constituant les amas de galaxies ? Des observations d’effets de lentilles gravitationnelles dans 11 amas de galaxies montrent une anomalie : les sous-structures des amas (les halos de galaxies) apparaissent dix fois plus efficaces pour produire des événements de lentilles fortes que ce que prédisent les simulations. Un défaut systématique dans les simulations (des hypothèses incorrectes sur les propriétés de la matière noire) sont donc suggérées... Une étude publiée dans Science.

C’est en associant des observations avec le télescope spatial Hubble et le télescope terrestre VLT (Very Large Telescope) que Massimo Meneghetti (INAF- Bologne) et ses collaborateurs italiens en sont arrivés à la conclusion qu’un ingrédient manque pour décrire le comportement de la matière noire. Les amas de galaxies sont les structures les plus massives qui sont soutenues par la gravitation et aussi les plus grands réservoirs de matière noire. Les centaines de galaxies qui les composent sont liées entre elles par la gravité de la matière noire. Les amas sont donc le laboratoire idéal pour étudier si les simulations cosmologiques parviennent à reproduire fidèlement ce que l’on observe des phénomènes gravitationnels. Le premier effet gravitationnel des amas, outre leur cohésion interne, est la distorsion de l’espace-temps qu’ils produisent autour d’eux et qui produit la déformation et l’amplification de l’image de galaxies situées en arrière-plan.

Les chercheurs ont donc analysé finement les lentilles gravitationnelles produites par 11 amas de galaxies massifs avec les deux télescopes (des images à grand champ de Hubble et des spectres du VLT). Ils tracent des cartographies de ce qui produit majoritairement l’effet de lentille, à savoir la matière noire. Et ils peuvent dessiner les sous-structures de matière noire à l’intérieur des amas grâce aux formes de distorsion détaillées qu’ils parviennent à obtenir. C’est comme si une grosse lentille était en fait constituée de multiples petites lentilles, chacune d’elle pouvant être isolée. Les amas observés dans les relevés Frontier Fields et CLASH (Cluster Lensing And Supernova survey with Hubble) de Hubble sont si massifs que pour chacun d’eux, des dizaines de galaxies déformées et amplifiées apparaissent autour, certaines formant des arcs parfois très allongés. 

Mais à la surprise des chercheurs, les images de Hubble révèlent aussi des arcs de plus petite taille et nichés près du cœur de l’amas, où se situent les galaxies les plus massives. Selon les analyses qu’ont faites Meneghetti et ses collaborateurs, ces « petites » déformations gravitationnelles doivent être produites par des fortes concentrations de matière à l’intérieur même des galaxies de l’amas. La masse et la distance exactes des galaxies individuelles a notamment pu être déterminée en mesurant la vitesse de leurs étoiles en spectroscopie. Et quand on parle de masse, on parle de masse de matière noire.

En comparant ces observations de cartographie fine de la distribution de matière noire dans les amas avec des amas de galaxies identiques (même masse, distance, âge…) simulés à partir des équations du modèle standard LambdaCDM, les chercheurs italiens ne trouvent pas la même chose. Dans les simulations, la matière noire ne se concentre pas autant à si petite échelle. Dit autrement, dans les simulations, des sous-structures de matière noire de la taille observée ne produisent pas d’effet de lentille gravitationnelle aussi fort que ce qui est observé. Des études antérieures avaient révélé un nombre de galaxies satellites (galaxies naines) trop faible et moins compactes que prédit par les simulations. Ici, c’est donc un résultat opposé qui est observé, avec des sous-halos « trop » compacts.  

Une solution envisagée par les astrophysiciens pour expliquer l’écart observé entre observations et simulations est que les simulations numériques fondées sur ce modèle ne seraient pas au même niveau de résolution que celui atteint observationnellement, ce qui pourrait créer des artefacts. Mais les premiers calculs effectués par les auteurs indiquent qu’un effet purement numérique serait insuffisant pour expliquer l’écart observé (seulement un facteur 2 au lieu d'un facteur 10) et il aggraverait par ailleurs le problème du manque de galaxies naines (le ‘missing satellite problem’). Ces observations très détaillées jettent donc un petit pavé dans la mare des théoriciens. Le modèle standard de la matière noire, une matière noire froide faite de particules massives sans collisions, devrait sans doute être retravaillé sans attendre de nouvelles observations, qui devront de toute façon être menées pour confirmer cette première.


Source 

An excess of small-scale gravitational lenses observed in galaxy clusters 

Massimo Meneghetti et al.

Science  Vol. 369, Issue 6509 (11 Sep 2020)

https://doi.org/10.1126/science.aax5164  


Illustrations 

1) Image composite de la région centrale de l’amas de galaxies MACSJ1206 (Meneghetti et al)

2) Comparaison entre une lentille gravitationnelle observée et simulée (Meneghettiet al) 

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