lundi 21 septembre 2020

Nouveaux résultats sur les rayons cosmiques ultra-énergétiques


Les astroparticules qu'on appelle les rayons cosmiques n'ont pas encore révélé tous leurs mystères, notamment pour ce qui concerne leur origine et leur composition exactes. L'observatoire Pierre Auger est un grand instrument dédié à l'étude des rayons cosmiques les plus énergétiques, que l'on qualifie d'ultra-énergétiques. La collaboration scientifique du même nom vient de publier ses tous derniers résultats sous la forme de deux gros articles dans Physical Review Letters et Physical Review D. Une nouvelle petite bosse apparaît dans le spectre en énergie...


Les rayons cosmiques ultra-énergétiques (UHECRs) sont formés de particules (des noyaux d'atomes) qui ont une énergie cinétique supérieure à 1018 eV. La plus énergétique qui a pu être détectée possédait une énergie démente de 1020 eV, c'est à dire quelques Joules, pour une seule particule... l'énergie d'une balle de tennis lancée à 100 km/h. Pour comparaison, les protons les plus énergétiques qui peuvent être accélérés au CERN avec le LHC n'atteignent qu'une énergie 10 millions de fois plus faible. 
Les premier rayons cosmiques de très haute énergie ont été détectés pour la première fois en 1961 et depuis lors, on cherche à mieux les connaître.
L'Observatoire Pierre Auger, du nom d'un des physiciens (français) pionniers des rayons cosmiques, est justement dédié à en détecter un maximum. Il les détecte indirectement en mesurant les gerbes de particules secondaires que ces particules ultra-énergétiques produisent lorsqu'elles interagissent dans la haute atmosphère. Situé dans la pampa argentine où il couvre 3000 km², Pierre Auger est un réseau de détecteurs Cherenkov, des grosses cuves d'eau instrumentées avec des détecteurs de lumière photomultiplicateurs, qui attendent patiemment le passage d'un muon, d'un proton ou d'un électron énergétiques issus d'une gerbe atmosphérique. 
On a besoin d'une telle surface de détection parce que le flux de ces rayons cosmiques très énergétiques est relativement faible : environ une centaine par km² par an seulement, et plus ils sont énergétiques, plus ils sont rares. Depuis 10 ans, l'Observatoire Pierre Auger a collecté 215 000 événements de rayons cosmiques dans la gamme ultra-énergétique (ce qui fait 7/km²/an...).
Lorsqu'une particule ultra-énergétique interagit dans l'atmosphère terrestre, elle peut produire jusqu'à 1 milliard de particules secondaires, d'à peu près tous les types, des pions aux muons, en passant par des photons ou des positrons. Mais ce sont surtout des muons qui parviennent jusqu'au sol et aux cuves de Pierre Auger. Les physiciens, à partir de la détection d'une grande gerbe étendue de particules secondaires peuvent reconstruire la direction d'origine de la particule primaire ainsi que son énergie cinétique. 
Les physiciens de Pierre Auger ne se contentent pas que de détecteurs Cherenkov en réseau, ils utilisent également d'autres types d'instruments comme des télescopes spécifiques qui ont pour objectif de mesurer la lumière de fluorescence de l'azote atmosphérique qui est créée par le passage de particules chargées. Ces télescopes là ne sont utilisables que la nuit, a contrario des détecteurs Cherenkov.


Des études précédentes de la collaboration Auger avaient suggéré que les protons devaient dominer la composition des rayons cosmiques jusqu'à environ 5. 1018 eV, c'est à dire jusqu'à un endroit du spectre en énergie que les spécialistes appellent la "cheville" (Ankle en anglais) où la forme du spectre s'infléchit brièvement. Des simulations, qui sont fondées sur des modèles d'interactions hadroniques, indiquent qu'au-delà de cette énergie, on devrait trouver d'autre types de noyaux atomiques, allant de l'hélium jusqu'au fer. Mais d'autres résultats semblent incompatibles avec cette vision, préférant des noyaux plutôt légers, n'allant pas au delà de l'hélium. C'est notamment le cas d'une expérience concurrente de Auger nommée le Telecope Array et qui utilise les mêmes méthodes de détection quoique sur une surface beaucoup plus réduite.
Les nouvelles données publiées par l'Observatoire Pierre Auger sont très intéressantes car elles montrent l'existence d'une nouvelle "cassure" dans le spectre en énergie des rayons cosmiques. Jusqu'à aujourd'hui, la courbe décrivant le spectre en énergie pouvait être divisée en trois régions avec chacune son ajustement par une fonction de puissance avec un index différent : chaque portion du spectre, qui représente le flux de particules en fonction de leur énergie est une fonction du type Flux E-γ avec γ l'index de la fonction de puissance. Les cassures de la courbe marquant les différentes
régions sont appelées par les astroparticulistes le "genou", la "cheville" et l'"orteil", rapport à la forme
que la courbe peut évoquer avec un peu d'imagination. Le genou se situe à relativement basse énergie
(2 1015 eV), la cheville se situe elle à 5.1018 eV, et l'orteil à 4,6.1019 eV,
Ce que viennent de montrer les physiciens de Auger, c'est l'existence d'une petite cassure qui n'avait pas
encore été vue, située entre la cheville et l'orteil, très exactement à 1,3.1019 eV. Cette cassure est caractérisée par un changement d'index γ, qui passe de 2,51 à 3,05, alors qu'il prend ensuite une valeur de 5,1 au delà de l'orteil à 5 1019
eV. Les chercheurs estiment que cette cassure dans la forme du spectre pourrait indiquer le moment où la composition des UHECR change, pour passer des noyaux légers aux noyaux lourds. Ils font pour cela l'hypothèse que la composition des rayons cosmiques est intimement liée à leur énergie. 

L'autre enseignement très important apporté par cette analyse des nouvelles données sur les rayons cosmiques ultra-énergétiques par Pierre Auger, c'est la quasi indépendance de la forme du spectre vis-à-vis de l'angle d'arrivée des particules primaires. Dit autrement, les directions d'arrivée sont isotropes, les rayons cosmiques ultra-énergétiques viennent de toutes les directions sans distinction. Cela implique nécessairement que leur origine est extragalactique. Les modèles stipulant que ces UHECR pourraient être produits par quelques sources proches se retrouvent exclus par ces nouvelles données.  
Les chercheurs calculent la quantité d'énergie qui doit être injectée par unité de volume d'Univers par les sources responsables de ces accélérations phénoménales, celle-ci vaut 6.1037 J.Mpc−3.an−1. Les seuls objets capables de fournir ces niveaux d'énergie sont des noyaux actifs de galaxie (AGN) (des radiogalaxies ou des objets de type BL Lac) ou bien des galaxies à flambée de formation stellaire. Mais les AGN ne sont pas très propices à fournir des noyaux lourds dans leurs jets et ces noyaux lourds devraient interagir rapidement dans l'environnement d'un noyau actif de galaxie... 
A l'inverse, il semble plus facile de trouver un environnement idoine dans les galaxies à flambée de formation d'étoiles, à la fois riches en éléments lourds et possédant des sources capables de produire de fortes accélérations de particules jusqu'à des énergies très élevées.
Ce qui est sûr c'est que rien n'est sûr, même si on en sait maintenant un peu plus sur la distribution en énergie des rayons cosmiques ultra-énergétiques. Il sera nécessaire de continuer à chercher si ce sont bien des noyaux lourds qui peuplent le haut du spectre, au dessus de la cheville. Cela tombe bien car la discipline semble être entrée dans une ère de mesures de précision, ce qui va permettre de défier nos connaissances théoriques sur le sujet.

Sources

Features of the energy spectrum of cosmic rays above 2.5×1018eV using the Pierre Auger Observatory
A. Aab et al. (Pierre Auger Collaboration), 
Phys. Rev. Lett. 125, 121106 (16 september 2020)

Measurement of the cosmic-ray energy spectrum above 2.5×1018eV using the Pierre Auger Observatory
 A. Aab et al. (Pierre Auger Collaboration), 
Phys. Rev. D 102, 062005 (16 september 2020)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'une gerbe de particules induite par un rayon cosmique ultra-énergétique (ASPERA/Novapix/L. Bret)

2) Spectre des rayons cosmiques mesuré entre 1013 et 1020 eV par de multiples expériences (E. Parizot)

3) Spectre des rayons cosmiques ultra-énergétiques mesuré par l'observatoire Pierre Auger (Aab et al.)

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