Les sursauts gamma (GRB) ont été compris depuis quelques décennies comme provenant de deux phénomènes astrophysiques distincts. Ils sont généralement distingués par leur durée : les sursauts gamma courts (une durée inférieure à 2 s) proviennent de la fusion de deux étoiles à neutrons et sont relativement proches et les sursauts gamma longs (plus de 2 s et jusqu'à plusieurs minutes), eux, proviennent du collapse d'étoiles massives (des collapsars, qui peuvent être extrêmement éloignés). Le point commun entre les deux phénomènes est la création d'un trou noir qui accrète rapidement les résidus issus de sa création lors du cataclysme. Mais un GRB détecté il y a 1 an vient semer le trouble et est l'objet de deux articles d'équipes différentes dans Nature Astronomy parus le même jour : il possède les caractéristiques d'un GRB long mais n'a duré que 0,65 s...
GRB 200826A a été détecté le 26 août 2020 par le télescope spatial Fermi-GBM et c'est exactement 11 mois plus tard que l'équipe de Tomás Ahumada (Université du Maryland) et celle de Bin-Bin Zhang (Université de Nanjing) publient les résultats de son étude dans la revue Nature Astronomy. On détecte environ un GRB par jour en moyenne mais celui-ci est ce qu'on appelle un outlier, un sursaut très atypique, qui se trouve à la frontière entre les deux catégories de GRB.
Ahumada et ses collaborateurs ont découvert la lumière rémanente du GRB, ce qu'on appelle son 'afterglow' un signal transitoire rapide qui est observable dans le domaine visible juste après le sursaut gamma, en cherchant dans une zone de 180 degrés carré autour de la zone de détection du GRB. Cet afterglow a été nommé ZTF20abwysqy (ou AT2020scz). Ils l'ont observé avec le Zwicky Transient Facility à partir de 4,2h après la détection du GRB. La lumière rémanente du GRB et donc le sursaut lui-même se situent dans une galaxie dont le décalage vers le rouge a été mesuré par les chercheurs avec le Gran Telescopio Canarias à 0,748, soit 6,6 milliards d'années-lumière de distance pour la lumière.
Les astrophysiciens observent un signal en excès par rapport à ce qu'on attendait pour un afterglow de kilonova typique d'un GRB aussi court (de type fusion d'étoiles à neutrons). Les données de suivi à plusieurs longueurs d'ondes, fournissant une idée de la distribution spectrale de l'émission rémanente montrent en fait que l'origine de ce GRB ne peut être qu'un collapsar, une étoile massive qui s'est effondrée sur elle même pour produire une supernova et un trou noir. Il s'agirait donc du GRB "long" le plus court jamais observé, et qui est clairement associé à un collapsar. Ahumada et ses collaborateurs concluent qu'il s'agirait d'un cas intermédiaire entre un collapsar "raté" et un collapsar "réussi".
L'équipe de Tomás Ahumada calcule que le taux local de GRB longs (~1 par Gpc3 par an) est inférieur de deux ordres de grandeur au taux de GRB de faible luminosité (300 par Gpc3 par an) et de trois ordres de grandeur au taux de supernovas Ic (4 500 par Gpc3 par an). Or les GRB longs et, dans une moindre mesure, les GRB faiblement lumineux, sont collimatés et soumis à un faisceau relativiste, ce qui supprime la détection d'événements dans lesquels le jet est dirigé loin de notre ligne de visée. En tenant compte d'une correction du faisceau de 100 pour les GRB longs et de 10 pour les GRB faiblement lumineux (et sans correction du faisceau pour les supernovas), les GRB longs se produisent toujours à un taux (100 par Gpc3 par an) qui est jusqu'à un ordre de grandeur inférieur à celui des GRB faiblement lumineux (3000 par Gpc3 par an) ou celui des SNe Ic, ce qui suggère que la majorité des collapsars ne parviennent pas à produire un jet ultra-relativiste et entraînent plutôt un cocon de matière à grand angle ou presque isotrope et seulement légèrement relativiste.
Les chercheurs américains notent que sur la base de preuves indirectes provenant de la galaxie hôte, du spectre de la lumière de rémanence et des propriétés des rayons gamma, il peut être estimé que 84 % des sursauts détectés par le télescope Swift et 40 % des sursauts détectés par le télescope Fermi qui sont a priori des GRB courts (< 2 s) sont en fait des GRB longs mal classifiés. Si cela s'avère exact, il faut s'attendre à un plus grand nombre de GRB de courte durée issus de collapsars qui se trouvent à la limite entre le succès et l'échec du jet comme GRB 200826A. La découverte de GRB 200826A, un véritable imposteur de GRB court, donne en tous cas du crédit à cette idée, et suggère que le taux de ces GRB longs de courte durée est comparable à celui des GRB faiblement lumineux, jusqu'à quelques centaines par Gpc3 par an. Dans ce scénario, la plupart des collapsars ne produiraient donc pas de jets ultra-relativistes.
Zhang et ses collaborateurs chinois parviennent indépendamment à la même conclusion et vont même un peu plus loin dans l'interprétation de l'origine de GRB 200826A. Eux utilisent la classification des GRB selon leur origine comme étant de type I (collision d'étoiles à neutrons) ou de type II (collapsars), indépendamment de leur durée. Ils observent eux aussi des signes évidents de collapsar dans la lumière de rémanence du sursaut, cette fois-ci observée avec le télescope Gemini North à Hawaï. Ils montrent également que le type de galaxie hôte ainsi que la localisation du sursaut au sein de sa galaxie ne sont pas en faveur d'un GRB de type I.
Pour les chercheurs chinois, si la durée courte du sursaut correspond bien à la durée du "moteur central", une possibilité serait que le progéniteur de GRB 200826A était une étoile massive qui s'est effondrée quelque temps avant le déclenchement du GRB. Un tel scénario est connu sous le nom de "supranova". Le GRB est alors produit par l'implosion d'une étoile à neutrons supermassive, probablement déclenchée par le ralentissement ou l'accrétion de repli de l'étoile à neutrons. Lorsque le jet du GRB est lancé, il n'y a plus de matériaux de faible densité autour de la source, de sorte que la durée est courte. Un défi de ce modèle est cependant de rendre compte de la décroissance relativement faible de la rémanence des rayons X, qui semble nécessiter l'injection d'énergie supplémentaire pendant la phase de rémanence. Le signal spectral caractéristique de supernova qui est observé exige également que le délai entre l'effondrement du coeur de l'étoile massive et le lancement du jet du GRB ne puisse pas être beaucoup plus long qu'un jour.
Zhang et ses collaborateurs proposent une deuxième possibilité en considérant que la durée réelle du moteur central soit longue mais que pendant la majorité du temps actif du moteur central, l'émission de rayons γ est inférieure au seuil de détection des détecteurs de GRB. Une telle interprétation de la "pointe de l'iceberg" peut également s'appliquer à d'autres GRB de type II de courte durée, comme GRB 090426. Les astrophysiciens envisagent deux variantes : dans la première, l'échelle de temps totale du moteur central Δteng est longue. La majorité du temps est utilisée par le jet pour pénétrer à travers l'enveloppe stellaire dans une échelle de temps Δtjet ≈ 10 s. La durée observée du GRB est alors ΔtGRB = Δteng - Δtjet, qui pourrait être aussi courte que ~1 s. Dans cette interprétation, il doit exister une coïncidence entre Δteng et Δtjet.
La seconde variante propose que le moteur à l'origine du sursaut a effectivement duré beaucoup plus longtemps que 1 s, mais pendant la majorité du temps, le jet porterait une lourde charge baryonique et ne serait que légèrement relativiste ou même non-relativiste, de sorte qu'aucun flux γ important ne pourrait être produit pendant cette période de temps. Selon Zhang et ses collaborateurs, une possibilité dans ce cas serait que le moteur soit un magnétar nouveau-né qui injecte initialement un vent chargé en baryons. L'avantage de ce modèle est que le plateau de rayons X qui est observé dans ce sursaut peut être interprété comme la mise en rotation d'un tel magnétar nouveau-né. On peut obtenir une courte durée dans ce scénario en invoquant les bulles magnétiques induites par la rotation différentielle comme mécanisme de production de l'émission rapide des GRB. Une durée de 1 s est par exemple obtenue avec un champ magnétique de 1014 G et une rotation angulaire différentielle de 104 s-1.
La conclusion forte de ces deux études sur GRB 200826A est que la classification des sursauts gamma par leur durée (GRB courts vs. GRB longs) n'est pas suffisante pour déterminer leur origine physique. L'ajout de propriétés différentes comme la distribution spectrale de l'afterglow, le retard du pic d'émission en fonction de l'énergie ou la nature de l'environnement de la source (type de galaxie et région galactique) peut finalement permettre de différencier les sursauts gamma : Type I pour une fusion d'objets compacts (étoiles à neutrons principalement) et type II pour un collapse d'étoile massive en trou noir, avec potentiellement un passage rapide sous forme d'étoile à neutrons de type magnétar.
Les détecteurs de GRB de la prochaine génération (par exemple, ceux embarqués à bord de la mission sino-française SVOM (Space Variable Objects Monitor), qui sera lancée l'année prochaine, combinés aux capacités de suivi améliorées fournies par les futurs observatoires au sol (l'Extremely Large Telescope ou le Thirty Meter Telescope dans le visible/proche infrarouge, et le Square Kilometre Array dans le domaine radio), permettront de déterminer si les événements aujourd'hui vus comme particuliers tels que GRB 200826A (GRB long "trop" court) et son alter ego GRB 060614 (un GRB court "trop" long), la fraction de GRB courts montrant une émission étendue à basse énergie, les GRB longs peu lumineux à faible décalage vers le rouge (comme GRB 980425) et les quelques GRB ultra longs (des milliers de secondes) sont en fait juste la pointe d'un ou plusieurs icebergs de grandes populations qu'il reste encore à découvrir...
Sources
Discovery and confirmation of the shortest gamma-ray burst from a collapsar
Ahumada, T. et al.
Nature Astronomy (26 july 2021).
A peculiarly short-duration gamma-ray burst from massive star core collapse
Zhang, B.-B. et al.
Nature Astronomy (26 july 2021).
Illustrations
1. Distribution de 2310 GRB détectés par Fermi par leur énergie de pic en fonction de la durée du sursaut : la couleur différencie GRB courts et longs, GRB 200826A est représenté par l'étoile rouge (Ahumada, T. et al.)
2. Diagramme de l'énergie de pic du sursaut gamma dans le référentiel du GRB en fonction de l'énergie totale isotrope émise (GRB 200826A fait clairement partie des GRB de type II (GRB "longs") (Zhang, B.-B. et al. )
1 commentaire :
Merci Eric pour ce billet sur ce sujet très intéressant
Il parait désormais acquis qu'il est pertinent de classer les GRB selon leur mécanisme plutôt que selon leur durée. Mais outre l'origine (binaire, ou étoile massive), il faudrait peut-être aussi préciser la nature du "moteur" ; on voit souvent tenu comme certain que c'est l'accrétion sur un trou noir, soit directe, soit éventuellement après une courte phase étoile à neutron, suivie d'un effondrement ; pourtant le lien entre magnétar et GRB type II n'est peut-être pas si clair ; des magnétars nouveau-nés pourraient produire des écoulements relativistes, y compris des GRB, dynamisés par la rotation (via le champ magnétique) plutôt que par l'accrétion (ou les 2, rotation + gravitation)- cf https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S221440481500021X- Cela expliquerait bien le plateau X.
Finalement à l'issue d'un collapse + GRB II pourrait subsister soit un TN, soit un magnétar
Dans le scénario magnétar envisagé par Zhang et al, d'ailleurs, il ne semble pas prévoir de transformation en TN (d'autant que le champ magnétique intense risque d'arrêter l'accrétion tardive); En revanche dans le scénario supranova, à moteur court, c'est une étoile à neutron supermassive qui s'effondre en trou noir, pas un magnétar ; mais ce dernier scénario peine à expliquer le plateau X... Bref, il y a encore pas mal de blé à moudre.
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