12/10/21

TOI 3362b : une Jupiter chaude en cours de migration


Un grand nombre de planètes géantes ont été détectées sur des orbites très proches de leur étoile, montrant une période orbitale très courte, ce qui peut paraître étonnant pour des planètes massives qui sont sensées se former assez loin des étoiles. Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens rapporte l'observation d'une planètes géante ayant une orbite très excentrique, qui serait donc en cours de migration. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Cette grosse planète est nommée TOI-3362b, une planète qui a une masse 5 fois plus grande que celle de Jupiter et qui a une période orbitale de 18,1 jours. Jiayin Dong (Pennsylvania State University) et ses collaborateurs internationaux ont observé son orbite d'une part avec le télescope spatial TESS et d'autre par en observant des transits avec des télescopes terrestres en Antarctique (le petit télescope de 40 cm de ASTEP : Antarctica Search for Transiting ExoPlanets) et en Australie (avec le télescope de 1 m de l'Observatoire de Siding Spring (SSO). Et ils ont agrémenté ces mesures photométriques par des mesures spectroscopiques à l'aide du télescope de 1,5 m SMARTS de l'Observatoire Interaméricain de Cerro Tololo (CTIO) au Chili et du réseau Minerva-Australis composé de 4 télescopes de 70 cm à l'observatoire du Mont Kent en Australie.

Avec toutes ces observations, les astronomes déterminent les paramètres orbitaux de la planète TOI-3362b et donc la valeur de son excentricité à e=0,815 [-0,032 +0,023]. Pour rappel, l'excentricité pour une orbite liée est égale à √(1-b2/a2) où a et b sont respectivement le demi-grand axe et le demi-petit axe. C'est un paramètre compris entre 0 et 0.9999999, 0 correspondant à une orbite circulaire. Plus l'excentricité est proche de 1, plus l'ellipse est étirée. Une valeur de 1 correspond à une orbite parabolique qui n'est donc plus liée.

Le processus de migration par marée à haute excentricité est une façon possible de retrouver des planètes géantes sur des orbites à courte période. Dans ce processus, une planète géante qui se forme naturellement à plusieurs unités astronomiques de son étoile peut ensuite subir une perturbation gravitationnelle par une autre planète par exemple, cette perturbation produisant une plus forte excentricité orbitale. Mais à chaque passage au plus près de l'étoile, des effets de marée gravitationnelle font perdre de l'énergie orbitale à la planète, et il s'en suit une circularisation de l'orbite. Mais le moment cinétique orbital doit être conservé, ce qui implique qu'on a la relation suivante entre le demi-grand axe initial et le demi-grand axe final :  ainit (1-e2) = constante = afinal. Cette circularisation par effet de marée possède un temps caractéristique qui est fortement dépendant de afinal puisqu'il dépend de sa valeur à la puissance 8...  Plus le demi-grand axe (rayon) final sera petit (donc e proche de 1), plus la migration de la planète sera rapide.  
Si le processus de migration par marée à haute excentricité se produit souvent, on pourrait s'attendre à voir des proto-Jupiters chaudes sur des orbites hautement elliptiques en train de subir une telle migration. Mais  jusqu'à présent, peu de systèmes de ce type ont été découverts. On peut mentionner 3 planètes : HD 80606b (a = 0,46 UA, e = 0,93), très excentrique, découverte en 2001, HAT-P2 b  (a = 0,07 UA, e = 0,52), découverte en 2007 qui a une excentricité moins extrême mais probablement en cours de circularisation. La troisième, c'est Kepler-1656b (a = 0,20 UA, e = 0,84) découverte en 2018, moins massive que les précédentes avec une masse de seulement 48 M⊕. La densité physique élevée de cette planète, ainsi que son excentricité extrême, pourrait suggérer des interactions planète-planète, telles que collision et diffusion, dans son histoire dynamique.

La Jupiter chaude dont il est question aujourd'hui, TOI-3362b, a une masse de 5 masses joviennes, donc 1600 M⊕. Elle tourne autour d'une étoile de type F de la séquence principale âgée de 2,14 milliards d'années qui a une masse de 1,44 masses solaires pour un rayon de 1,83 rayons solaires. Le demi-grand axe a de l'orbite de la planète vaut 0,153 UA [- 0,003 +0,002 UA]. 
Dong et ses collaborateurs peuvent donc prédire quel sera le rayon de son orbite une fois qu'elle sera complètement circularisée, car il ne fait pas de doutes selon eux que cette planète est bien en train de subir une migration par marée à haute excentricité. L'orbite devrait se rétrécir jusqu'à un rayon orbital final de 0,051 UA [+ 0,008 - 0.006]. 
Selon les chercheurs, plusieurs mécanismes pourraient expliquer la valeur extrême de l'excentricité actuelle de TOI-3362b, comme une diffusion planète-planète ou bien des interactions séculaires. De telles hypothèses pourront être testées avec des observations de suivi du système, par exemple en mesurant l'obliquité de l'orbite et en recherchant des compagnons dans le système avec des observations précises et à long terme de la vitesse radiale de l'étoile. Les chercheurs notent pour également que la variation de la température d'équilibre de la planète et son réchauffement au niveau du périastre font également de cette planète une cible très intéressante pour l'observation de son atmosphère. Le flux d'énergie qu'elle reçoit au périastre est 80 fois plus élevé que celui à l'apoastre, ce qui conduit à une variation de sa température qui oscille de 2800 K à 800 K tous les 9 jours. Une forte condensation nuageuse doit apparaître du fait de ces très fortes variations de température
TOI-3362b fournit ainsi un cas extrême pour étudier la dynamique de la chimie atmosphérique des exoplanètes. 

Selon Dong et ses collaborateurs, TOI-3362b doit aussi se réchauffer au passage du périastre à cause de la friction interne par l'effet de marée gravitationnelle, avec une dissipation d'énergie de 1028 erg.s-1. Ils estiment que ça doit représenter environ 10% de l'énergie qu'elle reçoit par irradiation. Les chercheurs pensent qu'il sera possible de déterminer l'impact de cet échauffement de marée en explorant les profils pression-température de son atmosphère.

Comme  la période orbitale de TOI-3362b est de 18,1 jours et est proche de la limite de la sensibilité du télescope spatial TESS qui l'a découverte, il est fort probable selon Dong et son équipe que de tels proto Jupiters chauds soient en fait assez communs. 

Source

TOI-3362b: A Proto Hot Jupiter Undergoing High-eccentricity Tidal Migration
Jiayin Dong et al.
The Astrophysical Journal Letters, 920:L16 (10 october 2021)


Illustration 

Répartition des exoplanètes selon leur demi-grand axe (en abscisse) et leur excentricité (en ordonnée). Le chemin de migration par effet de marée est représenté par la zone grise  (Jiayin Dong et al.)

Aucun commentaire :