10/10/21

Eta Carinae : observation d'une variabilité incomprise du flux gamma entre périastres successifs


On ne présente plus Eta Carinae, ce couple d'étoiles très massives en interaction étroite qui est plongée dans l'épaisse nébuleuse de l'Homoncule. En 2008, on a détecté des rayons X non thermiques en provenant et l'année suivante en 2009, ce furent des rayons gamma énergétiques, coïncidant avec le passage au plus proche des deux étoiles. Une nouvelle étude s'est penchée dans les données d'archives du télescope gamma Fermi-LAT des 12 dernières années et analyse l'évolution de l'émission gamma couvrant deux périodes de rotation du couple et trois passages au périastre, là où le rayonnement gamma est le plus intense. L'étude est publiée dans Astronomy&Astrophysics.

Eta Carinae est ce qu'on appelle une binaire à vent de collision : un système stellaire massif dont les deux composantes présentent des vents forts et en interaction entre eux. Grâce à ces chocs, ces binaires peuvent être de véritables accélérateurs de particules, ce qui en fait donc des sources de rayons γ variables en raison des changements dans la région de collision des vents au cours de l'orbite. 
Les vents des deux composantes produisent des taux de perte de masse importants de 2,5 10-4 masses solaires par an pour l'étoile A (la plus massive) et 10-5 masses solaires par an pour l'étoile B avec des vitesses respectives de 500 km s-1 et 3000 km s-1.
Actuellement, on ne connait seulement que deux systèmes binaires de ce type qui émettent des rayons gamma : Eta Carinae (située à 2350 pc) et γ2 Velorum (détectée en 2016 et située à 260 pc). L'origine de l'émission de haute énergie dans η Carinae n'est pas encore claire entre d'un côté des scénarios lepto-hadroniques et de l'autre des scénarios purement hadroniques.

La période de rotation du couple est de 2024 jours (5,5 ans). Les deux étoiles (90 masses solaires et 50 masses solaires) ont une orbite très excentrique (e=0,9) qui a produit un périastre (passage au plus proche) en 2009, 2014 et 2020. Guillem Martí-Devesa et Olaf Reimer (Université d'Innsbruck) ont fait en sorte d'exploiter des données Fermi-LAT archivées sur 12 ans, donc couvrant deux périodes complètes et les trois derniers periastres en date de η Carinae.
Ils ont étudié les données en les séparant en deux : une composante dite à basse énergie, inférieure à 10 GeV, et une composante à haute énergie, supérieure à 10 GeV, de manière à voir si il existait des différences et des similarités entre les deux orbites et entre les périastres, avec pour but de mieux comprendre le mécanisme de production de ce rayonnement gamma. D'autre part, les deux astrophysiciens en ont profité pour rechercher d'autres sources de rayons gamma dans la zone du ciel densément peuplée qui se trouve autour de η Carinae, et pourquoi pas provenant de binaires à vents collisionnels. Mais la recherche n'a mené qu'à deux détections sûres : une correspondant à une nova apparue en mars 2018 (ASASSN-18fv ou V906 Carinae) et l'autre une nouvelle source sans aucune contrepartie visible et ne présentant pas de variabilité à l'échelle annuelle, ni aucun signe d'extension.

Sur Eta Carinae, Martí-Devesa et Reimer montrent  que l'intensité est très variable selon les périastres.  Alors que la variabilité du flux à basse énergie ne diffère pas entre la première et la deuxième orbite, η Carinae semble plus déroutante au-dessus de 10 GeV. Celui de 2020 apparaît le plus lumineux en gamma des trois périastres, mais le pic gamma de 2014 (similaire à celui de 2009 mais plus faible que celui de 2020 par un facteur 2 environ) semble s'être produit quelques mois avant le passage effectif du périastre. Etrange... 
La variabilité d'orbite à orbite qui est observée dans ce système au-dessus de 10 GeV suggère que le transport des particules dans la région de collision des vents stellaires pourrait être affecté par des turbulences différentes dans chaque orbite, perturbant la structure de la région. Selon Martí-Devesa et Reimer, cela peut également être le signe que les deux populations de particules qui produisent les composantes à basse énergie et à haute énergie sont accélérées dans différentes régions de la zone de collision des plasmas, par exemple, soit des deux côtés de la discontinuité de contact, soit à différentes distances de l'apex du choc.
Concernant l'analyse de la composante à "basse énergie" (en dessous de 10 GeV), elle s'avère certes moins variable selon les périastres, mais les chercheurs ne parviennent pas confirmer une origine des photons gamma par une désintégration de mésons  π0, ce qui signerait une origine hadronique (une collision entre deux protons). L'origine de ces photons gamma reste donc dans le flou.

En bref, le comportement complexe qui est observé empêche des conclusions simplistes sur l'accélération des particules dans η Carinae. Guillem Martí-Devesa et Olaf Reimer proposent en conclusion, non seulement bien sûr de continuer à suivre assidûment l'émission gamma de η Carinae, mais aussi de travailler sur une modélisation complète de la binaire massive et de son environnement à l'aide de simulations magnétohydrodynamiques pour chercher une explication à la variabilité des phénomènes qui sont observés.

Source

η Carinae with Fermi-LAT: two full orbits and the third periastron
Guillem Martí-Devesa and Olaf Reimer
A&A Volume 654 A44 (8 October 2021)


Illustration

Eta Carinae et la nébuleuse de l'Homoncule  (Jon Morse (University of Colorado) & NASA Hubble Space Telescope)

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