vendredi 1 octobre 2021

Les graines de trous noirs supermassifs ne peuvent pas migrer pour former... des trous noirs supermassifs


Les scénarios possibles de formation des trous noirs supermassifs dans l'univers primitif comprennent une croissance rapide à partir de trous noirs "graines" moins massifs par accrétion ou par fusions rapides, mais ces deux scénarios exigent que les trous noirs graines migrent efficacement vers le centre galactique et y soient piégés par friction dynamique. Une étude par simulation s'est penchée sur ce processus et montre que ça ne marche pas très bien... Les astrophysiciens publient leurs résultats dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Les modèles de formation des trous noirs supermassifs posent depuis longtemps le problème de savoir comment ils pourraient atteindre une masse aussi énorme en un temps relativement court. Des découvertes récentes ont mis en évidence à la fois des trous noirs supermassifs vraiment très massifs dans l'univers primitif (comme par exemple SDSS J0100+2802, un trou noir de 12 milliards de masses solaire situé à un redshift de z = 6,3 (885 millions d'années post-BigBang) , ou bien ULAS J1342+0928, un trou noir de de 780 millions de masses solaires situé à z = 7,54 (700 millions d'années post-BigBang)). L'existence de trous noirs aussi massifs à des époques aussi précoces pose de nombreux défis théoriques aujourd'hui non résolus. 
Si les graines de trous noirs commencent leur "vie" sous la forme de trous noirs beaucoup moins massifs, cela impose un taux d'accrétion maximale durant toute la durée de leur existence pour atteindre les masses qui sont observées à des redshifts supérieurs à 7, ce qui paraît peu vraisemblable compte tenu de ce que l'on sait des effets de rétroaction. L'autre solution serait que les graines de trous noirs naissent déjà très massives, de l'ordre de 10 000 à 100 000 masses solaires, via des effondrements de nuages de gaz denses sans nécessairement passer par la case étoile+supernova. Mais ce scénario doit impliquer des conditions très particulières qui s'avère assez peu probables selon plusieurs auteurs. 

Et depuis 2005, plusieurs études ont montré que ces différentes hypothèses sur les graines de trous noirs supermassifs sont confrontées à un problème plus important encore : tous les modèles d'accrétion rapide qui fait grossir les trous noirs, exigent que les graines de trous noirs migrent "efficacement" et restent ensuite étroitement liées au centre de la galaxie ou au fond du puits de potentiel, là où les densités sont en moyenne les plus élevées. Cela nécessite généralement une région centrale dense bien définie et stable comme c'est le cas dans les galaxies relativement massives à faible redshift (z < 4, plus tard que 1,5 milliards d'années post-BigBang).  Mais cela devient beaucoup moins possible dynamiquement pour des graines de masse élevée dans les galaxies denses et turbulentes que l'on rencontre à haut redshift (z > 7, moins de 770 millions d'années post BigBang) qui subissent de fréquentes perturbations dynamiques (par exemple, des fusions ou des formations d'étoiles "en rafale" et des perturbations de l'environnement par rétroaction).

Linhao Ma (Caltech) et ses collaborateurs ont donc étudié ce problème de la migration des graines de trous noirs supermassifs à l'aide de simulations cosmologiques à haute résolution, combinant à la fois la simulation directe à N corps des trajectoires des graines de trous noirs et un post-traitement des trajectoires générées aléatoirement avec un estimateur de friction dynamique qu'ils ont spécialement développé.

Les simulations des astrophysiciens montrent que, à des décalages vers le rouge élevés, les graines de trous noirs ne peuvent pas efficacement migrer vers les centres des galaxies et/ou y être retenues, à moins qu'elles ne soient déjà extrêmement massives, c'est à dire faisant plus de 100 millions de masses solaires. En d'autres termes, qu'elles soient déjà des trous noirs supermassifs et plus des graines...
Pour les galaxies les moins grumeleuses et chaotiques, ce seuil de masse se réduit à 10 millions de masses solaires, ce qui ne change pas la conclusion, similaire à celles d'autres études parues récemment depuis 4 ans : Si les graines de trous noirs supermassifs doivent déjà être supermassives pour atteindre une accrétion de matière efficace afin d'atteindre le milliard de masses solaires à z=7, on ne comprend pas comment elles peuvent apparaître. Le problème de la migration des graines de trous noirs est encore plus exacerbé.
Ma et ses collaborateurs écrivent qu'il est presque impossible qu'une graine de masse inférieure à la limite de 10 à 100 millions de masses solaires puisse migrer efficacement vers les centres galactiques à des échelles supérieures à 1 kpc, et que ces galaxies turbulentes évoluant rapidement dans le temps sont bien plus susceptibles d'éjecter ces graines de trou noir que de les retenir. 
Selon Ma et ses collaborateurs, le problème de la migration des graines n'est pas simplement une question de perturbations dynamiques, mais doit être plus fondamentalement lié au fait que les galaxies naines à haut décalage vers le rouge n'ont pas de centre dynamique bien défini vers lequel quelque chose pourrait "tomber".
Ils montrent aussi que les trous noirs extrêmement massifs (> 108 masses solaires) qui migrent ne tombent en fait pas exactement au centre, vus à une échelle du inférieure au kpc, où leur migration semble s'arrêter.

Les solutions imaginées au problème de la migration des graines pour la croissance/formation des trous noirs supermassifs sont de deux types : 
Soit les graines se forment in situ, déjà exactement au centre des galaxies, lorsque le bulbe galactique massif se forme et crée un profond potentiel gravitationnel central, ou soit c'est un très grand nombre de graines qui se forment, de telle sorte qu'une d'entre elles (ou quelques unes) ayant juste les bons paramètres orbitaux se retrouve "capturée" au centre de ce bulbe. Mais dans ces deux cas, le problème qui surgit est qu'un tel puits de potentiel central très profond ne peut se former que relativement tard, au moment d'un redshift z < 9 (>600 millions d'années post-BigBang), donc à partir de gaz et d'étoiles qui sont déjà fortement enrichis en métaux. Cela signifierait que les graines de trous noirs ne proviendraient ni de reliques d'étoiles de population III, ni de l'effondrement direct de gaz ou d'étoiles hypermassives. Le problème reste donc entier.
Mais Ma et ses collaborateurs tentent une explication alternative, issue d'un processus qu'ils n'ont pas modélisé dans leur étude : la fusion d'étoiles avec emballement dans un milieu dense. En effet, pour que les trous noirs graines aient une masse de l'ordre de 10 millions de masses solaires ou plus et puissent migrer vers les régions centrales, on peut imaginer une formation rapide dans le centre d'amas d'étoiles, comme l'a montré une étude publiée il y a quelques mois. Si l'amas d'étoiles est suffisamment dense, il a été montré que la masse effective pourrait être égale à la masse totale de l'amas, pouvant donc atteindre la dizaine de millions de masses solaires. Dans ce cas, c'est tout l'amas qui se transformerait en trou noir...  

Une dernière alternative si celle-ci, qui est déjà assez spéculative, s'avère non cohérente serait de faire appel à une nouvelle physique, en lien avec la matière noire ou les trous noirs primordiaux. Mais on n'en est pas encore là... avant d'arriver dos au mur, il reste de nombreuses simulations plus fines à élaborer avec la physique standard. 


Source

Seeds don’t sink: Even Massive Black Hole “seeds” cannot migrate to galaxy centers efficiently
Linhao Ma et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, stab2713, (22 September 2021) 


Illustration

Exemple de simulation d'une galaxie formant des trous noirs (à gauche : distribution de la masse totale, à droite : répartition des trous noirs en fonction de leur masse) (Ma et al.) 
 

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