Une observation inédite du coeur de la galaxie M77 (alias NGC 1068) valide le modèle unifié des noyaux actifs galactiques : les différents types de noyaux actifs sont bien causés simplement par l'orientation différente avec laquelle est observé le tore de gaz et de poussière qui entoure le trou noir supermassif. L'étude est parue dans Nature.
Violeta Gamez Rosas (université de Leiden, Pays Bas) et ses collaborateurs ont utilisé les 4 télescopes de 8,2 m du Very Large Telescope de l'ESO en mode interférométrique pour observer le nuage de gaz qui entoure le trou noir supermassif de M77 avec le spectro-imageur MATISSE (Multi AperTure mid-Infrared SpectroScopic Experiment). M77 est une galaxie située à 47 millions d'années-lumière dans la constellation de la Baleine.
Dans le "modèle unifié" des noyaux actifs galactiques (AGN), qui est évoqué pour résoudre le problème de leur classification, c'est l'orientation d'un tore d'accrétion poussiéreux autour du trou noir central qui produit leur apparence différente. Les AGN sont classés selon plusieurs types : le "type 1" est représenté par un noyau brillant qui est visible au centre d'un tore vue de face. Dans les AGN de "type 2", le tore épais, vu presque sur la tranche, cache le moteur central qu'est le trou noir et son disque d'accrétion. M77 est un archétype d'une galaxie à AGN de type 2, avec un trou noir masqué. Des récentes images à haute résolution obtenues en 2020 avec l'instrument GRAVITY ont suggéré une caractéristique d'émission en forme d'anneau composé de poussière chaude entourant le trou noir au rayon où le rayonnement évapore la poussière. Mais cet anneau était trop fin et trop incliné pour pouvoir cacher le trou noir supermassif et son disque d'accrétion rapproché, et une extinction ad hoc de l'avant-plan était nécessaire pour expliquer la classification de type 2 pour M77. Ces images ont rapidement généré des remises en cause de la dichotomie entre les types 1 et 2 et du modèle unifié. Mais les nouvelles images dans l'infrarouge moyen de M77 qui ont été obtenues par Gamez Rosas et son équipe sont formelles : la classification des types 1 et 2 est bien liée à l'orientation de la ligne de visée. Les images que les chercheurs ont acquises détaillent les changements de température et d'absorption des nuages de poussière autour du trou noir. Et en combinant les changements de température de la poussière (jusqu'à 1200 °C) causés par le rayonnement intense du disque d'accrétion du trou noir avec les cartes d'absorption, l'équipe a pu dresser une image détaillée de la poussière et a ainsi localisé l'emplacement exact du trou noir. La poussière se répartit sous la forme d'un anneau interne épais et d'un disque plus étendu, avec le trou noir positionné en son centre. L'équipe a également utilisé les données de ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), et du Very Long Baseline Array (VLBA) pour construire son image.
La distribution de la température de la poussière, combinée avec les données radio, permettent donc de localiser le moteur central (le trou noir supermassif) qui se trouve sous l'anneau précédemment identifié en 2020 et il apparaît obscurci par un disque épais, presque vu par la tranche, comme le prédit le modèle unifié. La position proposée du trou noir et les températures concordent en effet mieux avec l'interprétation des données de 2020 comme étant de la poussière froide (720 K) plutôt qu'un disque chaud. Les astrophysiciens trouvent que la structure poussiéreuse joue le rôle d'un tore avec un anneau optiquement épais obscurcissant le trou noir supermassif à l'échelle du parsec et un disque moins épais qui s'étend jusqu'à au moins 10 pc. La distribution de la poussière chaude et tiède révèle par ailleurs deux axes principaux, le premier le long de la structure d'obscurcissement la plus dense, à l'angle -45°, et le second axe qui lui est perpendiculaire et qui est parallèle aux flux de gaz moléculaire. Mais les structures détaillées apparaissent asymétriques dans toutes les bandes de longueurs d'ondes observées, ce qui suggère qu'elles ne sont pas en parfait équilibre thermique et dynamique.
Gamez Rosas et ses collaborateurs montrent aussi que les propriétés des grains de poussière froide semblent assez différentes de la poussière rencontrée dans le milieu interstellaire de la Voie Lactée. Les grains sont ici des olivines submicroniques riches en magnésium avec un peu de carbone. Quant aux propriétés de la poussière chaude observée, elles restent des questions ouvertes. Des futures observations d'autres AGNs montreront si M77 est atypique ou prototypique. Ces images à haute résolution et à large bande de MATISSE ouvrent en tous cas de nouvelles voies pour l'étude des interactions poussière-rayonnement dans les AGN, comme par exemple l'étude détaillée du transfert de rayonnement dans les nuages de poussière ou bien l'étude de l'évolution de la minéralogie des grains de carbone et de silicate dans les AGN. Plus globalement, elles offrent un superbe exemple de synthèse d'observations en radio, en ondes millimétriques et en infrarouge permettant de relier la physique des nuages de poussière à des échelles de quelques dixièmes à quelques dizaines de parsecs.
Aujourd'hui on peut dire qu'une étape majeure dans la compréhension du fonctionnement des AGN a été franchie avec la confirmation du rôle des disques de poussière épais à la fois dans l'alimentation des trous noirs et dans la détermination de l'aspect des noyaux actifs de galaxie vus de la Terre.
Source
Thermal imaging of dust hiding the black hole in NGC 1068
Violeta Gámez Rosas et al.
Nature volume 602 (16 february 2022)
Illustration
M77 et zoom sur sa partie centrale en infrarouge (ESO/Jaffe, Gámez-Rosas et al.)
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