14/03/22

La glace de Mercure toujours mieux caractérisée


Des données radar depuis la Terre puis des mesures en orbite par la sonde MESSENGER avaient révélé il y a près de 10 ans que les cratères des pôles de Mercure abritaient de la glace d'eau quasi pure. Aujourd'hui, des chercheurs ont analysé de près plusieurs cratères de Mercure qui offrent des régions ombragées en permanence, avec le radiotélescope d'Arecibo peu de temps avant qu'il ne s'effondre. Il y a bien de la glace d'eau dans plusieurs cratères de Mercure et on peut même mesurer sa pureté. Leur étude est publiée dans The Planetary Science Journal.

Ce sont tout d'abord des observations radar effectuées depuis la Terre qui ont décelé des dépôts de glace d'eau dans certaines régions ombragées en permanence au niveau des pôles de Mercure (dans le fond de cratères). Ça remonte à 1992. 
Slade et ses collaborateurs avaient observé un albédo radar élevé et un rapport de polarisation circulaire similaire à celui observé sur les lunes glacées des planètes géantes. Et ces caractéristiques anormales brillantes au radar semblaient être confinées à l'intérieur de cratères d'impact, suggérant un réservoir potentiel d'eau dans les zones dans l'ombre de la lumière directe du soleil du fait de la topographie locale (des régions qui sont ombragées en permanence), ce qui avait été déterminé en 1994. Les modèles thermiques des cratères polaires de Mercure avaient par la suite, en 1999, prédit la présence de glace d'eau stable dans de telles régions ombragées à moins de 10° du pôle et à des latitudes même plus basses si elles sont isolées par une couche mince. Puis la sonde MESSENGER confirma en 2012 que les caractéristiques vues au radar étaient bien associées aux emplacements des zones ombragées en permanence, puis en 2013 que la région polaire nord de Mercure était en moyenne plus riche en hydrogène que les latitudes inférieures.

Par la suite, l'analyse des données de MESSENGER a révélé entre 2017 et 2019, sur la base de la cratérisation et de la topographie locales, que les dépôts de glace putatifs pourraient avoir une épaisseur de quelques mètres. Les chercheurs estimaient alors que cette glace devait avoir été mise en place au cours des 300 derniers millions d'années. 
Les modèles thermiques déterminés à partir des données de MESSENGER prédisent en outre que les températures maximales de surface à l'intérieur des cinq grands cratères polaires nord que sont Prokofiev, Kandinsky, Tolkien, Tryggvadóttir et Chesterton, seraient suffisamment basses (inférieures à 110 K), pour permettre la présence de glace d'eau stable en surface. Cette prédiction a d'ailleurs été soutenue par les images de la caméra grand angle de MESSENGER ainsi que par les mesures de réflectance de l'instrument Mercury Laser Altimeter (MLA) qui suggèrent une glace de surface exposée à l'intérieur de ces cratères. 
Mais les mesures effectuées à l'aide du Dual Imaging System (MDIS) et du MLA de MESSENGER ont aussi montré que la majorité des zones brillantes au radar dans les régions ombragées en permanence, en dehors des cinq grands cratères polaires nord, étaient optiquement plus sombres que le terrain environnant, ce qui indiquerait que ces dépôts de glace sont enfouis sous un matériau à faible réflectance.
Et il existe également certaines zones ombragées en permanence dans les zones polaires de Mercure, qui ne montrent pas d'écho radar significatif de la présence de glace... Cela suggère que tous les pièges froids ne sont pas forcément occupés par de la glace d'eau, apportant des contraintes sur le moment et la quantité de volatiles délivrés aux pôles mercuriens. Mais il se peut aussi que de minces dépôts de glace d'eau ou des dépôts profondément enfouis au-delà de la profondeur de pénétration du radar, soient tout de même présents sans produire de fort écho.  Les données du spectromètre neutronique de MESSENGER ont cependant suggéré en 2013 qu'en moyenne, la glace d'eau du pôle nord de Mercure n'est enfouie que sous une couche pauvre en hydrogène de 10 à 20 cm d'épaisseur, ce qui est très peu profond par rapport à la profondeur de pénétration de la bande S du radar d'Arecibo. A moins que l'angle d'incidence empêchait tout simplement le radar de pouvoir scruter le fond de certains cratères... 


Les observations radar planétaires depuis la Terre fournissent des contraintes sur les propriétés du régolithe à proximité de la surface, à l'échelle du centimètre ou du mètre. Mais la diffusion du signal radar est influencée simultanément par les propriétés physiques des matériaux diffuseurs (leur géométrie, leur taille et leur forme) et leurs propriétés diélectriques. Les observations à haute résolution en orbite comme celles de MESSENGER fournissent donc une aide importante pour estimer les propriétés physiques liées à la diffusion radar, et peuvent permettre une meilleure caractérisation des surfaces planétaires jusqu'à la profondeur de pénétration du radar.
Edgar Rivera-Valentin (Lunar and Planetary Institute: Houston) et ses collaborateurs ont analysé de cette manière les observations radar de Mercure qu'ils ont effectuées avec le radiotélescope d'Arecibo durant 6 jours à l'été 2019, alors qu'il était déjà endommagé et finalement peu de temps avant sa destruction. Ils se sont aidés des données de la sonde MESSENGER qui venait de clore sa mission 4 ans plus tôt :  à partir des cartes topographiques à haute résolution du pôle nord de Mercure produites par MESSENGER, les chercheurs ont simulé l'angle d'incidence du radar à la même résolution que les images radar. Cela leur a permis d'utiliser des modèles de diffusion radar pour étudier les différences de propriétés entre les éléments brillants et le terrain de fond au niveau du pôle nord de Mercure. De là, les chercheurs obtiennent de nouvelles informations sur les dépôts de glace polaires, jusquà leur pureté en eau. De plus, ils ont pu étudier les variations de la rétrodiffusion radar au sein des zones ombragées pour améliorer l'interprétation des différences observées entre les différents cratères.
Rivera-Valentin et ses collaborateurs montrent que certains dépôts de glace à l'intérieur des cratères ombragés en permanence de Mercure ont une graduation dans la pureté de la glace. Les zones centrales sont peuplées par une glace possédant au moins 3% d'impuretés et elles sont entourées par de la glace qui possède au moins 20% d'impuretés. Cette glace "sale" pourrait être constituée de régolithe riche en glace d'eau, résultat de l'activité d'impact ou de l'environnement thermique du cratère. Mais les chercheurs montrent que de tels dépôts ne sont pas toujours situés dans les grands cratères polaires où la glace devrait être la plus stable. Ils constatent qu'il n'y a pas de différence significative entre les propriétés de rétrodiffusion radar des dépôts supposés avoir de la glace en surface et ceux avec de la glace enfouie, ou entre les grands cratères et les petits. Comme la glace sur Mercure y est arrivée par le biais d'impacts de comètes, la pureté de la glace qui est mesurée peut donner une indication sur l'époque à laquelle ont pu avoir lieu ces impacts. Mais des études supplémentaires seront encore nécessaires. 
La sonde européenne BepiColombo qui entrera en orbite de Mercure en 2025 fera heureusement une caractérisation fine de la composition de sa surface. Elle devrait fournir des informations précieuses sur la teneur en eau des dépôts, leur distribution et leur source potentielle. Ces mesures approfondiront les observations radar au sol, qui détectent la glace sur de plus grandes profondeurs, et contribueront certainement à résoudre certaines des questions en suspens.
L'étude d'aujourd'hui montre en tous cas que l'utilisation de la rétrodiffusion radar, et pas seulement du signal de polarisation des ondes, permet d'identifier de manière robuste la glace d'eau souterraine. Et ces résultats permettent d'envisager l'amélioration de l'identification de réservoirs de glace ailleurs que sur Mercure, comme sur la Lune par exemple, à l'aide du signal radar, qui fournit des informations fiables dès lors que l'on bénéficie par ailleurs d'une information topographique de bonne qualité. 

Source

Arecibo S-band Radar Characterization of Local-scale Heterogeneities within Mercury's North Polar Deposits
Edgard G. Rivera-Valentín et al.
The Planetary Science Journal, Volume 3, Number 3 (14 March 2022)

Illustration

1. Image de rétrodiffusion radar de la région du pôle nord de Mercure (latitudes > 75°) (Rivera-Valentín et al.)
2. Vue d'artiste de Messenger orbitant la planète Mercure. (NASA/JHU APL/Carnegie Institution of Washington)

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