mercredi 23 mars 2022

Les ORC sont plus complexes qu'on ne le pensait


Les ORC (Odd Radio Circles) sont des objets astrophysiques pleins de mystère. Le premier a été détecté en 2020 avec le radiotélescope australien ASKAP et depuis, 4 autres ont été identifiés. Aujourd'hui, leur découvreur, Ray Norris, et son équipe sont retournés observer le premier spécimen, nommé ORC1, mais avec le radiotélescope sud-africain MeerKAT qui offre une bien meilleure résolution. On découvre des détails qui n'avaient pas été vus auparavant... L'étude a été acceptée pour publication dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Les nouvelles images de ORC J2103-6200 (alias ORC1) fournissent des détails très intéressants sur ce cercle de 1,7 million d'années-lumière de diamètre (520 kpc) qui est situé à environ 5,5 milliards d'années-lumière : il existe plusieurs arcs à l'intérieur de ce qu'on croyait être un cercle unique. Ces différentes structures peuvent être vues comme étant deux cercles qui se chevauchent, vus sous un certain angle.
Les astrophysiciens se sont aussi arrêtés sur la galaxie qui semble se trouver au centre de ORC1 et l'ont un peu mieux caractérisée ainsi que son environnement proche. Il s'agit d'une galaxie elliptique qui montre des signes d'activité de son trou noir supermassif (un noyau actif), mais aussi des traces de forte formation d'étoiles dans les derniers milliards d'années. De plus, ils ont mieux analysé le lumière radio du ou des cercles, en termes de polarisation et de forme spectrale, ce qui fournit des contraintes importantes sur les origines potentielles de cet ORC. 
La structure un peu complexe de ORC1 en forme d'arcs peut être interprétée de façons différentes : 
1) un anneau externe ou "polaire" qui pourrait être une coquille sphérique éclairée par le bord, mais qui possèderait également un anneau équatorial formé par un autre mécanisme.
2) un anneau avant et un anneau arrière, qui pourraient être causés par un écoulement biconique proche de la ligne de visée.
En plus, on peut aussi noter l'existence d'autres structures au sein de l'ORC, comme un troisième anneau plus faible qui serait distinct des deux autres anneaux.


Les analyses morphologiques et physiques mènent les chercheurs à sélectionner trois modèles qui pourraient expliquer le phénomène ORC : 

Le premier modèle évoqué serait une coquille d'émission synchrotron causée par un choc sphérique provenant d'un événement cataclysmique (une collision de 2 trous noirs supermassifs dans la galaxie centrale typiquement). L'onde de choc qui en résulterait accélérerait les électrons dans le milieu intergalactique, ce qui produirait une bulle sphérique d'émission radio, qui serait visible comme un anneau éclairé par les bords. Cela impliquerait nécessairement que la galaxie centrale possède un trou noir supermassif. Or, l'émission radio de la galaxie centrale de ORC1 est compatible avec un noyau actif de galaxie, comme le sont aussi les galaxies associées aux ORC 4 et 5 (les ORC 2 et 3, eux, seraient a priori des cas différents formant une autre classe d'objets).

Le deuxième modèle fait intervenir des jets de noyau actif galactique vus quasi de face, produisant des lobes radio de grande dimension quasi superposés, avec la galaxie au centre. Mais ce modèle se heurte à plusieurs difficultés, comme le précisent Ray Norris (Université de Sydney, CSIRO) et ses collaborateurs. Dans un tel système, le jet serait dirigé près de notre ligne de vue, et on devrait donc voir la galaxie centrale comme un quasar ou un blazar, beaucoup plus brillante que les lobes radio diffus. Cet obstacle peut néanmoins être surmonté si l'AGN central s'est éteint pour une raison particulière, laissant juste les lobes radio qui ont un temps de décroissance beaucoup plus long. Une autre difficulté vient de la géométrie : si le jet est orienté avec un angle 𝜃 par rapport à la ligne de visée, le nombre de ces systèmes devrait être proportionnel à sin²𝜃, de sorte que beaucoup plus de sources devraient être vues avec des lobes avant et arrière légèrement décalés (produisant des doubles cercles) par rapport à des sources dont les lobes avant et arrière sont alignés produisant des quasi cercles uniques. Or aujourd'hui, on a découvert seulement un double ORC pour 3 ORC quasi circulaires. La dernière difficulté vient de la nature irrégulière des lobes radio diffus des AGN, ce qui n'est pas le cas des ORC, de sorte qu'un mécanisme supplémentaire serait nécessaire pour produire le remarquable anneau circulaire avec un bord étroit et bien défini qui est observé dans les ORCs. 
Le troisième modèle évoqué serait une coquille sphérique d'émission synchrotron, mais cette fois causée par un choc de terminaison provenant d'une flambée de formation d'étoiles dans la galaxie hôte qui aurait eu lieu dans le dernier milliard d'années, avec un taux de formation d'étoiles très soutenu durant cette période, de l'ordre de 300 masses solaires/an, et qui se serait éteint aujourd'hui. Les chercheurs ont modélisé le choc de terminaison d'une telle flambée de formation stellaire de façon assez détaillée, et le modèle obtenu est cohérent avec les observations, même s'il reste des hypothèses et quelques inconnues, notamment les effets du champ magnétique sur l'énergie et la taille des bulles produites.

Norris et ses collègues précisent que les nouvelles données sur ORC1 ne permettent pas de faire facilement la distinction entre les trois modèles évoqués. Aucun de ces modèles n'explique de manière satisfaisante la structure interne qui est maintenant observée dans ORC1. Les astrophysiciens remarquent pour finir que ORC1 est situé dans un groupe de galaxies qui est environ neuf fois plus dense que la densité des galaxies typique dans cette région, et que certaines de ces galaxies sont physiquement situées à l'intérieur de l'enveloppe de l'ORC. Ce petit détail laisse penser selon eux que la structure interne particulière de ORC1 pourrait en fait résulter des interactions de ces galaxies avec le vent issu de la possible flambée d'étoiles passée dans la galaxie centrale, qui semble tout de même l'origine la plus plausible selon eux. 

Source

MeerKAT uncovers the physics of an Odd Radio Circle
Ray P. Norris et al.
accepté pour publication dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society

Illustrations

1. ORC1 imagé en ondes radio par ASKAP en 2020 et MeerKAT en 2021 (Norris et al.)
2. Interprétation de la forme de ORC1 sous forme de 2 ellipses (Norris et al.)

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