samedi 14 mai 2022

Cartographie globale de l'eau sur Mars

En novembre 2021, je vous relatais la découverte d'une zone particulièrement riche en eau au fond de Valles Marineris, proche de l'équateur Martien (voir épisode 1254). Aujourd'hui, la même équipe de chercheurs russes publie une cartographie globale de l'abondance en eau couvrant 1 m de profondeur du régolithe martien. On y découvre de nombreuses zones riches en eau à de faibles latitudes. L'étude est publiée dans Journal of Geophysical Research:Planets

C'est avec la sonde ExoMars TGO et son "télescope" à neutrons FREND (Fine Resolution Epithermal Neutron Detector) que Alexey Malakhov (Institut de recherches spatiales de Moscou) et ses collaborateurs ont produit une carte globale des zones hydrogénées dans le premier mètre du régolithe martien. Grâce à son collimateur neutrophage, le détecteur FREND est capable d'une bien meilleure résolution spatiale que les détecteurs du même type antérieurs qui ont été déployés pour cartographier l'émission neutronique en orbite de Mars (le HEND sur Mars Odyssey) ou de la Lune (le LEND de LRO). Son champ de vue est de 28°, ce qui permet, à l'altitude de 400 km qui est celle de la sonde, une résolution spatiale de 200 km.
Le sol de Mars émet continuellement des neutrons qui sont des produits secondaires de réactions des rayons cosmiques galactiques (GCR) avec le régolithe jusqu'à quelques mètres de profondeur. En l'absence de source absorbant et ralentissant les neutrons, on s'attend donc à détecter un flux neutronique à peu près constant depuis une sonde qui observe la surface. Mais l'hydrogène étant un très bon modérateur neutronique (il réduit l'énergie des neutrons par diffusions successives puis les absorbe), dès qu'une quantité d'hydrogène assez importante est présente sur le trajet de ces neutrons, donc à la surface ou sur le premier mètre de régolithe, le flux neutronique devient moins énergétique et est réduit, et ce d'autant plus que la quantité d'hydrogène est importante. En observant une diminution du flux de neutrons, FREND permet de déterminer la teneur en hydrogène, et donc en eau équivalente à la surface et subsurface de Mars (en considérant que tous les atomes d'hydrogène détectés sont issus de molécules H2O). Par exemple, le flux de neutrons épithermiques (d'énergie comprise entre 0,5 eV et 100 keV) et réduit d'un facteur 4 quand l'abondance en eau passe de 1% à 10%. La variation du flux de neutrons épithermiques donne directement l'abondance en eau dans le premier mètre de régolithe martien.
La surface de Mars a ainsi été scannée sur toutes ces longitudes et à des latitudes dans la zone équatoriale, s'étendant entre -50° et +50° de latitude, après s'être calibré sur une zone de référence nommée Solis Planum pour laquelle l'abondance en eau est assez bien connue et vaut 2,78% (une région connue pour être l'une des plus sèches de Mars).
Malakhov et ses collaborateurs obtiennent donc une carte globale de l'abondance en eau (hydrogène-équivalent eau) dans le mètre supérieur de la subsurface martienne. Cette nouvelle carte très détaillée contient plus de caractéristiques locales et révèle plus de structures que les cartes analogues issues de mesures précédentes qui étaient omnidirectionnelles donc moins résolues. Certaines régions contiennent environ 20 % en masse d'eau, une quantité très inhabituelle pour les régions situées à des latitudes inférieures à 50°, où on estime généralement que l'eau libre et la glace d'eau doivent instables dans la subsurface peu profonde. Pour comparaison, aux latitudes élevées, près des pôles, au delà de + ou -60°, l'abondance en eau atteint facilement 40% en masse.
Les planétologues distinguent 4 grandes zones dans lesquelles l'abondance en eau est plus prononcées : 

La première, Arabia Terra, est visible dans la partie centrale de la carte. La découverte d'un enrichissement en eau sur la vaste zone équatoriale autour d'Arabia Terra avait été l'une des découvertes les plus surprenantes de Mars Odyssey en 2002. Et l'instrument FREND de TGO permet de voir beaucoup mieux certaines variations spatiales dans la région. Arabia Terra se situe entre les longitudes de -30° et 60°. Le profil en latitude de l'abondance en eau moyenne dans ces longitudes montre un pic autour des latitudes 10°-20°N à environ 7 %. 
La deuxième zone globale présentant une augmentation significative de l'eau est constituée par Memnonia et Planitia Elysium situés entre les longitudes -120° et 120°. Sa propriété particulière est la présence d'une région plutôt sèche aux latitudes 0°-20° juste au-dessus de l'équateur aux longitudes 150°-180°. Et il existe un contraste assez élevé de l'abondance en eau dans cette zone avec les terres environnantes : les valeurs dérivées sont d'environ 4,5 % et 5,5 %, respectivement.
La troisième zone, qui se situe entre les longitudes -120° et -30°, est le territoire le plus sec de Mars. Il comprend Solis Planium dans sa partie sud et le territoire à l'est de Tharsis Montes dans sa partie nord. On peut y voir quelques variations à plus petite échelle autour des volcans, qui n'avaient pas été remarquées jusque là. La tendance générale globale de l'abondance moyenne en eau est à augmenter du sud vers au nord.
Enfin, la quatrième grande zone se situe entre les longitudes 60° et 120°, elle contient Terra Sabaea pour la majeure partie, et présente des variations plutôt modérées. A l'exception de la partie la plus méridionale sous la latitude -40° qui présente une forte augmentation de l'abondance en eau, les valeurs moyennes y sont comprises entre 4 et 5%.


Les valeurs de l'abondance en eau varient sur la carte entre un minimum de 1,4 % à un maximum de 21,9 %. Ces variations sont liées à l'échelle de variation qui est de 600 km sur l'image, du fait du lissage utilisé. Les variations à plus petite échelle sont moyennées par le lissage. La carte est construite à partir des valeurs moyennes de suppression de flux neutronique lissées dans chaque pixel. En tenant compte des incertitudes, les chercheurs russes dérivent deux cartes représentant dans chaque pixel l'abondance en eau maximale (dérivée de la valeur de suppression de flux lissée moins son incertitude) et l'abondance en eau minimale (dérivée de la  valeur de suppression de flux lissée plus son incertitude). Dans ces deux cartes, les valeurs d'abondance en eau s'étendent entre 1,2 et 16,4 % dans le cas de la carte des minimums et entre 1,6 et 31,3 % dans le cas de la carte des maximums. Deux cartes sont nécessaires car la conversion de la suppression de flux neutronique en abondance en eau est non linéaire. 
Et comme en novembre 2021 et le cas de Valles Marineris, l'équipe de Malakhov a également cherché la présence de petites zones particulièrement riches en eau, qu'ils appellent des LWRR (Local Water-Rich Regions). Pour mettre en évidence de telles régions qui ont une taille caractéristique inférieure à 600 km, ils ont appliqué le filtre de 24° à la carte initiale pour construire une carte de suppression de référence avec une variation spatiale très modérée (une échelle de 1200 km), puis ils ont construit la nouvelle carte en appliquant le filtre de lissage de 6° (une échelle de variation de 300 km). La comparaison pixel par pixel entre ces deux cartes permet de révéler la présence de certaines zones locales (de plusieurs pixels), avec un contraste détectable.
Ils trouvent ainsi 23 LWRR avec cette approche de détection. 8 d'entre elles chevauchent des régions détectées auparavant, dont celle de Valles Marineris (LLWR1), qui montre une valeur d'abondance en eau de 6,4%, sur une très grande étendue de 871 000 km², et la plus riche en eau (LLWR23) atteint 20,4% sur une superficie de 113 000 km². Cette zone très riche en eau, contrairement à Valles Marineris, se trouve très au nord, à 50° de latitude, et est expliquée par une extension du permafrost polaire.
Les chercheurs remarquent enfin un petit détail qui peut avoir son intérêt : il existe plusieurs zones locales riches en eau qui se trouve à proximité immédiate de volcans et qui coïncident avec le relief, dont notamment deux au Sud-Ouest du célèbre Olympus Mons (LLWR3 et LLWR4 : entre 9% et 13% d'eau). Cela pourrait ne pas être un hasard selon eux, et donc un nouveau sujet d'études en perspective... 

Source

High Resolution Map of Water in the Martian Regolith Observed by FREND Neutron Telescope Onboard ExoMars TGO
Alexey Malakhov et al.
Journal of Geophysical Research: Planets (06 May 2022)


Illustrations

1. Cartographie globale de l'abondance en eau dans le premier mètre du régolithe martien (valeurs minimales en haut et maximales en bas)  (Malakhov et al.)
2. Zones à plus de 5% (en haut) et localisation des 23 régions locales riches en eau avec le relief superposé (en bas)  (Malakhov et al.)

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