dimanche 1 mai 2022

Les amas globulaires de Cen A qui ont un trop gros trou noir


Les régions centrales denses des galaxies fortement perturbées par des effets de marée peuvent survivre sous forme de galaxies naines ultracompactes (UCD) qui peuvent alors se cacher parmi les amas globulaires lumineux dans le halo des galaxies massives. Une nouvelle étude se penche sur 321 candidats amas globulaires de la galaxie Centaurus A. Sur les 57 amas globulaires les plus lumineux, 20 ont un rapport masse/luminosité très anormal, indiquant qu'ils n'en sont pas... L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

Un grand nombre de noyaux de galaxies dépouillées est attendu autour des galaxies massives et dans les amas de galaxies en raison de la nature hiérarchique de la fusion des galaxies. Des simulations effectuées en 2016, 2019 et 2021 concluent que la plupart des amas globulaires de plus grande masse  (≳10 millions M⊙) sont en fait des noyaux de galaxie dépouillées. Elles suggèrent aussi que les galaxies de plus petite masse contiennent des noyaux dépouillés de masse plus petite aussi, et que la Voie Lactée pourrait contenir 2 à 6 noyaux galactiques dépouillés, comme l'ont montré Pfeffer et al. en 2014 et Kruijssen et al. en 2019. Au sein de la Voie Lactée, en effet, des preuves d'une grande différence de métallicité et d'âge sont observées dans plusieurs amas globulaires, comme ω Centauri qui semble être le noyau d'un élément constitutif important de la Voie Lactée, et M54, qui est en fait le noyau de la galaxie naine Sagittarius.
Les noyaux galactiques dépouillés peuvent être distingués des amas globulaires normaux, car ils se situent particulièrement au centre des galaxies, ce qui peut entraîner une formation d'étoiles et la croissance de trous noirs massifs. Provenant de galaxies assez massives (plus de 1 milliards de masses solaires), on s'attend logiquement à trouver des trous noirs supermassifs dans ces noyaux galactiques dépouillés. Des trous noirs supermassifs ont d'ailleurs déjà été détectés dynamiquement dans 5 galaxies ultracompactes massives (>10 millions M⊙) grâce aux données spectroscopiques à haute résolution spatiale et à champ intégral. Les trous noirs de ces UCD représentent typiquement 10 % de leur masse stellaire totale, ce qui est tout à fait similaire à la fraction de masse du trou noir supermassif Sgr A* par rapport à l'amas d'étoiles nucléaire de la Voie Lactée. 
Il existe aussi beaucoup de revendications de détections de trous noirs de moins de 10000 masses solaires au centre des amas globulaires de la Voie Lactée, mais aucune de ces affirmations n'est considérée comme robuste et aucune preuve d'accrétion par des trous noirs de masse intermédiaire dans les amas globulaire de la Voie Lactée n'a été trouvée jusqu'à aujourd'hui. Les détections revendiquées et les limites supérieures pour ces trous noirs correspondent à une fraction de masse de 0,1 % à 1 % de la masse totale de l'amas. Théoriquement, il existe des processus susceptibles de former des trous noirs de masse intermédiaire pendant la formation et l'évolution des AG, notamment la fusion d'étoiles massives au début de la vie de l'amas ou la fusion de trous noirs de masse stellaire au fil du temps. Mais ces mécanismes produisent de trous noirs qui représentent moins de 1% de la masse totale de l'amas. Ainsi, les trous noirs trouvés dans les UCDs apparaissent pour la plupart trop massifs pour résulter de ces processus sans une accrétion ultérieure significative qui est peu probable en dehors d'un environnement d'amas d'étoiles nucléaire. Donc la détection de trous noirs à fraction de masse élevée dans des AG lumineux peut fournir une preuve solide qu'il s'agit en fait de noyaux galactiques dépouillés et non d'amas globulaires. 
Antoine Dumont (Université de l'Utah) et ses collaborateurs ont effectué des observations spectroscopiques à haute résolution qui leur permettent de déterminer les dispersions de vitesse au sein des amas globulaires les plus lumineux et donc leur ratio Masse/Luminosité parmi le gros échantillon qui est disponible dans Centaurus A. Grâce à ces données, les chercheurs peuvent confirmer 27 nouveaux amas globulaires lumineux, et ils mesurent les dispersions de vitesse de 57 amas globulaires lumineux (avec des luminosités entre 250 000 et 25 millions  L⊙), dont 48 sont de nouvelles mesures. En combinant ces données avec les mesures de taille obtenues avec Gaia, Dumont et ses collaborateurs déterminent ensuite le ratio M/L pour les 57 amas globulaires. Et c'est là qu'ils observent quelque chose de très intéressant : il existe une bimodalité claire dans la distribution M/L : une partie apparaît comme une population d'amas globulaires normaux avec une moyenne du ratio M/L égale à 1,51 ± 0,31, mais une autre partie, représentant 20 amas globulaires sur les 57, possède une moyenne bien plus élevée du ratio M/L : 2,68 ± 0,22. 
Les astrophysiciens montrent que pour expliquer une telle différence du ratio M/L, la présence d'un trou noir massif au centre de l'amas globulaire, correspondant à une fraction comprise entre 4% et 18% de la masse de l'amas est nécessaire. Pour eux, il ne s'agirait donc pas d'amas globulaires lumineux mais bien de noyaux de galaxies naines ultracompactes qui ont été dépouillées de la plupart de leurs étoiles. 

Dumont et son équipe s'arrêtent en particulier sur un cas extrême : l'"amas globulaire" nommé VHH81-01, qui est l'un des plus grands et plus massifs amas de Centaurus A. Ses caractéristiques font de cet objet certainement pas un amas globulaire mais bien un noyau de galaxie dépouillée par des effets de torsion. Il a un ratio M/L vraiment très élevé de 7,16 (+1.16 -1.0) pour une masse de 12,7 millions de masses solaires. Sa vitesse de dispersion mesurée est de 17,6 ± 0,8 km s−1, ce qui est plus élevée que les précédentes mesures du même type. Les chercheurs peuvent en déduire la masse du trou noir qui doit exister au centre de VHH81-01, elle vaut 0,861 (+1,03 / -0,01) millions de masses solaires, ce qui fait une fraction de 6,8% de la masse totale.
En conclusion, l'explication préférée de Antoine Dumont et ses collaborateurs pour expliquer le M/L élevé des 20 amas anormaux est la présence de trous noirs centraux à fraction de masse élevée. A l'aide de modèles dynamiques basés sur la dispersion de vitesses, les chercheurs trouvent que des masses de trous noirs entre 4% et 18% de la masse lumineuse de l'amas globulaire peuvent expliquer les observations. Selon eux, la présence de trous noirs à haute fraction de masse soutient l'idée que certains (ou même tous) des 20 AG avec M/L élevé ne sont rien d'autre que les amas d'étoiles nucléaires restants de galaxies dépouillées. 

Source

A Population of Luminous Globular Clusters and Stripped Nuclei with Elevated Mass to Light Ratios around NGC 5128
Antoine Dumont et al.
The Astrophysical Journal, Volume 929, Number 2 (21 April 2022)

Illustrations

1. Centaurus A et ses étranges amas globulaires (en vert) (ESO/Digitized Sky Survey. Davide de Martin)
2. L'amas globulaire/noyau de galaxie VHH81-01, imagé par le télescope Magellan (Dumont et al.) 

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