L'excès de photons gamma du centre galactique (GCE) est l'un des sujets les plus chauds du moment en astrophysique. Deux interprétations s'affrontent et aucune des deux ne rend les armes. Il y a deux semaines, je vous relatais une étude montrant la plausibilité d'une origine par une grande population de pulsars millisecondes, mais aujourd'hui, une autre étude vient rebattre les cartes en mettant en évidence une distribution énergétique de ces photons gamma que des pulsars sont incapables de produire, penchant donc pour une origine par l'annihilation de particules de matière noire... L'étude est publiée dans Physical Review D.
Ilias Cholis (Oackland University), qui a notamment travaillé dans le passé avec Lisa Goodenough et Dan Hooper, les découvreurs du GCE en 2009, revisite avec ses nouveaux collaborateurs les caractéristiques du GCE en produisant un nouvel ensemble de modèles d'émission gamma diffuse galactique à haute résolution. Cette émission diffuse, qui représente la majeure partie des rayons gamma observés, est due aux interactions de rayons cosmiques avec le milieu interstellaire, ces rayons cosmiques pouvant avoir de multiples origines et notamment des pulsars ou bien des annihilations de paires de particules de matière noire.
Les chercheurs ont commencé par utiliser les nouvelles mesures locales de rayons cosmiques effectuées par AMS-02 qui informent sur les conditions de la Voie Lactée à quelques kpc de nous, puis ont ensuite introduit des degrés de liberté supplémentaires pour prendre en compte le fait que les conditions du milieu intragalactique dans la région interne de la galaxie peuvent être différentes. Les modèles générés fournissent d'excellents ajustements aux spectres de rayons cosmiques locaux. Mais de nombreuses distributions globales différentes des rayons cosmiques sont compatibles avec les observations locales.
Comme chacune de ces distributions de rayons cosmiques conduit à une carte unique de rayons gamma, les observations de rayons cosmiques seules ne suffisent pas à prédire les observations de rayons gamma avec une grande précision. Cholis et son équipe ajoutent donc un large éventail d'hypothèses de modèles de diffusion galactique. Celles-ci tiennent compte de la distribution spatiale possible des sources de rayons cosmiques et des hypothèses spectrales d'injection de rayons cosmiques dans la galaxie interne. Leurs modèles tiennent également compte d'un large éventail d'hypothèses sur la façon dont ces rayons cosmiques se propagent loin de leurs sources. Les chercheurs considèrent notamment comment les rayons cosmiques à faibles énergies peuvent être réaccélérés et comment les électrons à
à des énergies initialement élevées peuvent perdre leur énergie au profit de photons en raison des interactions avec le champ magnétique galactique et avec le gaz du milieu. Enfin, ils testent différents profils pour la distribution spatiale du champ magnétique galactique.
Toutes ces hypothèses variables conduisent à des morphologies différentes pour les modèles de diffusion et d'émission gamma (π0, Bremsstrahlung et Compton inverse). En tout, c'est 80 modèles différents pour les conditions de la région interne de la galaxie que les chercheurs américains ont construit, et qu'ils peuvent confronter aux observations de l'excès gamma du centre galactique qui été observé par Fermi-LAT pour explorer la vraisemblance de ces modèles.
En utilisant des récentes observations de haute précision des rayons cosmiques, en plus des observations gamma continues de Fermi-LAT et des observations de photons de plus basse énergie, les chercheurs contraignent ainsi les propriétés de l'émission gamma diffuse galactique. Leur large ensemble de 80 modèles d'émission gamma diffuse tient compte d'une très large gamme d'hypothèses initiales sur les conditions physiques qui existent dans la région la plus interne de la galaxie, qui couvre 40°x40° centrée sur le centre galactique, là où est observé le GCE.
Les propriétés générales de l'excès gamma que Cholis et al. trouvent dans cette étude lorsqu'ils comparent les observations de Fermi-LAT et les modèles sont qualitativement inchangées malgré l'introduction de ce nouvel ensemble de modèles. Mais il montre des caractéristiques quantitatives qui semblent légèrement différentes de celles obtenues dans les analyses précédentes. Le point le plus notable est l'existence d'une queue à haute énergie, qui est plus importante que celle rapportée précédemment. Cette queue dans le spectre en énergie, qu'ils ont découpé en 14 bins d'énergie pour leurs analyses, est très proéminente dans l'hémisphère nord galactique, et un peu moins dans l'hémisphère sud. Pour Cholis et son équipe, ce petit détail du spectre affecte fortement l'une des principales interprétations de l'excès puisque les pulsars millisecondes connus sont incapables de produire une telle émission à haute énergie qui va jusqu'à 35 GeV, même dans l'hémisphère sud relativement plus doux. D'autre part, les chercheurs mettent en avant la morphologie à symétrie sphérique de ce GCE au centre de la galaxie. Or, si l'excès avait pour origine des pulsars, on s'attendrait à une morphologie non sphérique, les pulsars étant distribués comme les étoiles dans le bulbe galactique, donc avec une distribution spatiale légèrement dissymétrique par rapport au centre de la galaxie. Mais pour tester leurs modèles de spectres, les chercheurs ont tout de même considéré une distribution sphérique de pulsars, et ça ne fonctionne pas mieux...
Cholis et ses collaborateurs défavorisent donc les pulsars millisecondes comme seule explication de l'excès gamma du centre galactique. Reste alors l'autre hypothèse, celle de l'annihilation de particules inconnues. Les chercheurs calculent pour cette solution quelle devrait être la masse de ces particules et leur probabilité d'annihilation (leur section efficace) si elles produisaient des paires quark-antiquark, qui est la voie d'annihilation qui serait attendue pour des particules de plusieurs GeV. Ils font le calcul pour que ces deux paramètres fournissent le meilleur ajustement avec le spectre du GCE qui est modélisé et qui correspond aux observations. Ils convergent vers une particule ayant une masse de 40 GeV (+10
-7) avec une section efficace (x vitesse) ⟨σ.v⟩
=
1,4 (+0,6
-0,3) 10-26 cm3.s-1.
Les auteurs de cette étude font des analyses en découpant le centre galactique en une région nord, et une région sud et comparent les résultats obtenus sur le GCE dans ces deux régions ainsi qu'avec la région totale de 40°x40°. Ils obtiennent une concordance entre la région Sud et la région complète, convergeant vers la même valeur de masse et de section efficace d'annihilation mais un écart significatif de la région nord qui favoriserait une masse et une section efficace plus élevées.
Les chercheurs notent aussi que des particules de matière noire de la même gamme de masse mais une section efficace plus faible pourraient se combiner avec une population de pulsars millisecondes pour fournir un bon ajustement à l'émission de l'hémisphère sud galactique. Ce serait aussi le cas avec des particules de matière noire de masse un peu plus élevée qui produiraient alors des bosons du modèle standard plus massifs.
La grande bataille entre pulsars et matière noire se poursuit donc plus ardente que jamais pour tenter d'expliquer l'étrange excès de rayons gamma qui est observé en provenance du centre de notre galaxie depuis 2009, mais également dans le centre de la galaxie d'Andromède depuis 2017, dans la même gamme d'énergie...
Source
Return of the templates: Revisiting the Galactic Center excess with multimessenger observations
Ilias Cholis et al.
Phys. Rev. D 105, 103023 (20 May 2022)
Illustration
1. Carte gamma de Fermi-LAT montrant l'excès entourant le centre galactique (NASA/T. Linden, U.Chicago)
2. Spectre en énergie de l'excès gamma par rapport aux 80 modèles d'émission gamma diffuse construits les auteurs (Cholis et al.)
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