samedi 10 septembre 2022

Des oscillations quasi-périodiques dans le rayonnement du blazar BL Lacertae


Une vaste collaboration d'astrophysiciens rapporte l'observation d'oscillations quasi-périodiques dans le flux de lumière visible et en rayons gamma du blazar archétype BL Lacertae. Ces cycles d'oscillations sont aussi courts que 13h, et elles seraient dues à la présence d'un choc de recollimation dans le jet relativiste, situé à 5 parsecs du trou noir supermassif qui le propulse. L'étude a été publiée cette semaine dans Nature.

Svetlana Jorstad (Université de Boston) et ses très nombreux collaborateurs (près de 80 co-auteurs!) se sont intéressés à la période éruptive intense qu'à connue le blazar BL Lac en 2020. Rappelons que les blazars sont des quasars, des noyaux galactiques actifs (AGN) avec des jets relativistes dont le rayonnement non-thermique est extrêmement variable sur diverses échelles de temps, et qui ont la spécificité de pointer dans notre direction. La variabilité des blazars semble principalement aléatoire, bien que certaines oscillations quasi périodiques (QPO), impliquant des processus systématiques, aient été signalées dans certains d'entre eux et dans d'autres quasars. Les QPOs avec des échelles de temps de l'ordre du jour ou de quelques heures sont particulièrement rares dans les AGN et leur nature est aujourd'hui fortement débattue. Elles peuvent être expliquées par le plasma émetteur se déplaçant hélicoïdalement à l'intérieur du jet, les instabilités du plasma, ou le mouvement orbital dans un disque d'accrétion. BL Lac est alimenté par un trou noir de 170 millions de masses solaires, et se trouve au coeur d'une galaxie elliptique à une distance de 313 mégaparsecs (environ 1 Gigannée-lumière). 

En 2020, le Whole Earth Blazar Telescope  a observé l'éruption de BL Lac la plus forte depuis 20 ans, il a acquis 16 497 mesures de densité de flux du 1er mars 2020 au 31 décembre 2020 dans la bande R  (λ = 635 nm, dans le visible), à l'aide de 37 télescopes. Cinq télescopes ont également effectué 1 285 mesures de la polarisation linéaire dans la même bande. C'est cet échantillonnage dense qui a conduit à la découverte d'oscillations quasi-périodiques en flux avec une durée inférieure à 1 jour. Le sursaut intense a commencé vers le 20 juillet 2020 et a atteint un pic le 21 août 2020 puis à nouveau le 5 octobre et s'est terminé le 17 octobre 2020. Pendant le plateau, la polarisation a subi des oscillations intra-journalières de grande amplitude, jusqu'à 20%, tandis que l'angle de la polarisation linéaire a tourné d'environ 200° sur 8 heures près du début de l'éruption (lorsque l'amplitude de polarisation était faible, ce qui implique une turbulence) et il a ensuite varié sur des échelles de temps journalières.
Selon Jorstad et ses collaborateurs, le haut degré de polarisation et la similarité des échelles de temps des QPO dans la polarisation et dans le flux impliquent que les QPO se produisent dans le jet plutôt que dans le disque d'accrétion, comme cela est couramment déduit dans les systèmes binaires à rayons X et les galaxies de Seyfert. 
BL Lac est aussi une source de rayons γ brillante, notamment avec des gamma de 0,1 à 300 GeV, détectés par le télescope Fermi LAT. Les chercheurs montrent qu'il existe une forte corrélation entre les courbes de lumière visible et γ, sans retard statistiquement significatif (-0,02 jours  +0,05/-0,44), ce qui implique une co-spatialité des régions d'émission dans le visible et en gamma.

La collaboration d'astrophysiciens a également imagé BL Lac en ondes radio (intensité et polarisation) dans un suivi mensuel à 43 GHz avec le VLBA à une résolution d'environ 0,1 milliarcseconde, ce qui correspond  à une résolution spatiale de 0,13 pc. Les images obtenues présentent un jet s'étendant vers le sud à partir d'un 'noyau' brillant. La modélisation des images montre trois composantes quasi-stationnaires situées à 0,12 ± 0,03, 0,29 ± 0,05 et 0,38 ± 0,09 millisecondes d'arc du noyau, respectivement. Svetlana Jorstad et ses collaborateurs interprètent ces caractéristiques, qui persistent depuis plus de 15 ans maintenant, comme une série de chocs de recollimation résultant de déséquilibres de pression entre le jet et son environnement.
Mais les chercheurs identifient également un "nœud" brillant, qu'ils dénomment K, qui se déplace à 3,32 ± 0,46 mas/an (avec une vitesse apparente supraluminique 15 fois plus rapide que c!), et qui est passé par le noyau le 11 juillet 2020, exactement lorsque le sursaut a commencé. Le temps de parcours moyen du noeud K d'un élément stationnaire à un autre est d'environ 14 jours. Selon les observations précédentes depuis 1998, le jet se déplace habituellement avec un facteur de Lorentz Γ d'environ 6 et un angle d'observation Θ0 d'environ 5° ; la vitesse supraluminique apparente  (βapp) de K qui vaut environ 15c (la plus élevée jamais observée) exige que le jet ait accéléré jusqu'à au moins une valeur Γ d'environ 15 à la mi-2020 et ait changé sa direction Θ0 pour arriver à un nouvel angle de 3,8°. K a traversé l'élément stationnaire nommé A2 pendant le premier pic de l'éruption et le début des QPOs. Si la distance du noyau A0 par rapport au sommet du jet est d'environ 0,5 pc, cela indique que A2 est situé à environ 5 pc du trou noir, où la pression du plasma est dominée par un champ magnétique hélicoïdal, qui est une condition favorable au développement d'"instabilités de coudes" induites par le courant dans un jet.
Jorstad et ses collaborateurs attribuent donc les oscillations quasi périodiques de 13h à une instabilité de coude entraînée par le courant, qui serait déclenchée lorsque le jet est perturbé par un déplacement latéral. Ce processus aléatoire s'est produit près de l'élément stationnaire A2, associé à un choc de recollimation. 
L'interaction d'un choc mobile hors axe dans le jet relativiste avec un choc de recollimation stationnaire déclenche une instabilité de coude, qui croît, provoque la formation d'une structure quasi périodique, qui conduit à l'émission de QPO et perturbe le champ magnétique, dont la structure passe d'hélicoïdale à turbulente.
La croissance du coude crée deux autres effets : premièrement le développement de régions contiguës dans lesquelles les lignes de champ magnétique deviennent opposées, puis se reconnectent pour accélérer les électrons, qui produisent alors un rayonnement électromagnétique (synchrotron) dont le flux et la polarisation oscillent ; et deuxièmement,  l'entraînement de la turbulence qui désordonne le champ magnétique et accélère les électrons qui génèrent un rayonnement avec une polarisation très faible et des fluctuations aléatoires. L'éruption à multi-longueurs d'onde résulte de la combinaison de multiples facteurs selon les chercheurs :  l'augmentation du facteur de Lorentz du flux, qui envoie une onde de choc le long du jet (le nœud K), d'une diminution de l'angle de vue, d'un coude dans le jet et son champ magnétique, et de la turbulence. Comme la taille d'un nœud augmente avec le temps, cela pourrait expliquer l'évolution des oscillations quasi périodiques durant la durée de l'éruption. 

Le blazar BL Lacertae, avec son éruption violente de l'été 2020, nous a offert une belle opportunité de plonger dans la physique qui règne au coeur d'un jet relativiste propulsé par un trou noir supermassif. Les astrophysiciens espèrent maintenant qu'il remettra le couvert avant les vingt prochaines années, car il y a encore plein de choses à étudier dans un tel environnement extrême.


Source

Rapid quasi-periodic oscillations in the relativistic jet of BL Lacertae
Svetlana  Jorstad et al.
Nature volume 609, pages265–268 (7 september 2022)

Illustrations

1. Suivi dans le temps de la luminosité en visible de BL Lac entre février et décembre 2020 et zoom sur la période du maximum de l'éruption en juillet août 2020 (Jorstad et al.)

2. Schéma du développement d'une oscillation quasi-périodique  : L'interaction d'un choc mobile hors axe avec un choc de recollimation stationnaire déclenche une instabilité de coude, qui croît, provoque la formation d'une structure quasi périodique, conduisant à l'émission de QPO et perturbe le champ magnétique, dont la structure passe d'hélicoïdale à turbulente. Le pic du sursaut se produit aux temps 5 et 6 (Jorstad et al.)

1 commentaire :

Claire a dit…

Encore un article qui m'apprend plein de choses! Je ne savais même pas qu'un trou noir pouvait propulser un jet!