mercredi 5 octobre 2022

Confirmation d'une bosse dans le spectre en énergie des protons des rayons cosmiques


Notre compréhension actuelle du spectre énergétique des rayons cosmiques galactiques suggère qu'il doit suivre une dépendance de type loi de puissance. Mais des observations récentes réalisées à l'aide de calorimètres en orbite comme CREAM III ou DAMPE ont laissé entrevoir une déviation de cette variation en loi de puissance, avec un flux de protons qui remonte à partir de 600 GeV jusqu'à 10 TeV. Aujourd'hui, l'expérience CALET (CALorimetric Electron Telescope), un détecteur installé sur la station spatiale internationale, confirme l'existence de cette bosse dans le spectre en mesurant la baisse du flux après 10 TeV, jusque 60 TeV. Reste à comprendre son origine... L'étude est parue dans Physical Review Letters. 

CALET est en opération sur la station spatiale internationale depuis 2015, c'est un instrument calorimétrique optimisé pour la mesure du spectre des électrons mais il possède une profondeur, une gamme dynamique et une résolution en énergie suffisantes pour mesurer les protons, l'hélium, et les noyaux plus lourds (jusqu'au fer et plus) rencontrés dans les rayons cosmiques, à des énergies atteignant l'échelle du PeV.
CALET a mesuré le spectre des protons des rayons cosmiques dans l'intervalle d'énergie de 50 GeV à 60 TeV. L'analyse est basée sur les données collectées pendant 6,2 années. Elle multiplie par 2,2 le nombre de protons détectés par rapport à la précédente mesure. Oscar Adriani (université de Florence) et ses collaborateurs peuvent maintenant confirmer qu'au-dessus de quelques centaines de GeV, un durcissement spectral progressif apparaît (le flux réaugmente en fonction de l'énergie) et qu'un adoucissement autour de 10 TeV est bien visible avec un changement d'indice spectral de -2.6 à -2.9. Cette évolution apparaît être cohérente, à l'intérieur des erreurs, avec la forme du spectre rapporté par DAMPE (Dark Matter Particle Explorer). 
Ces nouvelles observations confirment donc que le spectre d'énergie des protons ne correspond pas à une seule variation de loi de puissance pour toute la gamme d'énergie. Les chercheurs notent un détail qui a son intérêt : la transition par adoucissement spectral est plus nette que celle par durcissement spectral : la "chute" après le pic à 10 TeV est plus brutale que la montée qui se trouve avant. Les variations et l'incertitude des nouvelles données de CALET ont été contrôlées par les chercheurs italiens, japonais et états-uniens à l'aide de simulations Monte Carlo. Ce résultat devrait maintenant contribuer de manière significative à notre compréhension de l'accélération des rayons cosmiques par les supernovas et du mécanisme de propagation des rayons cosmiques en général. 
Par exemple, selon les chercheurs, la chute dans le spectre à partir de 10 TeV pourrait être dûe à l'épuisement de la contribution d'une population de rayons cosmiques donnée. Une source locale de rayons cosmiques, produisant un flux au-dessus d'un fond en loi de puissance ou différents types de sources pourraient aussi être compatibles avec les observations. Mais une chose est sûre : l'adoucissement spectral observé ne peut pas correspondre au "genou" du spectre des protons, sinon, la distribution spectrale attendue de toutes les particules devrait être inférieure à ce qui est observé. Par conséquent, la mesure de CALET du spectre des protons, ainsi que d'autres mesures provenant d'expériences similaires (AMS, DAMPE, CREAM, PAMELA), imposent une contrainte sévère aux modèles de rayons cosmiques galactiques actuels. En d'autres termes, la bosse autour de 10 TeV est confirmée par au moins trois expériences différentes, elle est donc bien réelle et il va vraiment falloir comprendre quelle peut bien être son origine. 

En attendant les propositions des théoriciens, la prochaine étape expérimentale consistera à étendre la mesure des spectres de protons à des énergies encore plus élevées avec des incertitudes systématiques réduites. Les opérations de CALET ont justement été étendues par la JAXA, l'Agence spatiale italienne et la NASA jusqu'à la fin de 2024 (au moins). Cela devrait améliorer les statistiques, réduire les incertitudes systématiques et permettre d'affiner l'analyse, avec toujours plus de données enregistrées...


Source

Observation of Spectral Structures in the Flux of Cosmic-Ray Protons from 50 GeV
to 60 TeV with the Calorimetric Electron Telescope on the International Space Station
Oscar Adriani et al.
Phys. Rev. Lett. 129, 101102 (1 September 2022)

Illustration 

Spectre en énergie des protons du rayonnement cosmique (Adriani et al.)

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