dimanche 2 octobre 2022

Détection de la trace potentielle d'une étoile de population III dans le quasar le plus lointain


Les toutes premières étoiles qui se sont formées dans l'univers sont ce qu'on appelle des étoiles de population III, elles sont apparues quand l'univers n'avait que 100 à 200 millions d'années et ont vécu très peu de temps. Ces premières étoiles étaient si titanesques que lorsqu'elles explosaient en supernovas particulières, elles ensemençaient leur environnement d'un mélange particulier d'éléments lourds sans laisser d'astre compact (trou noir ou étoile à neutrons). Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens pense avoir observé la trace d'un tel mélange d'éléments lourds dans le quasar le plus lointain connu. Leur étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

La recherche d'étoiles de population III échappe aux astrophysiciens depuis des décennies. Un endroit prometteur pour capturer des preuves de leur présence doit être les objets les plus lointains, c'est à dire à haut décalage vers le rouge (redshift). C'est donc vers le quasar ULAS J1342+0928 que Yuzuru Yoshii (université de Tokyo) et son équipe se sont tournés. Ce quasar est celui qui est le plus distant connu, situé à un redshift de z = 7,54, ce qui signifie qu'il se trouve 700 millions d'années après le Big Bang.
Comme la meilleure signature de la présence passée (déjà à cette époque reculée) d'étoiles de population III se trouve dans les abondances chimiques caractéristiques, Yoshii et son équipe ont exploré les quantités relatives du fer et du magnésium. Ils ont pour cela mesuré des raies d'émission du fer ionisé et du magnésium ionisé (Fe II et Mg II), qui sont produites dans l'ultra-violet, mais qui sont observées ici dans l'infra-rouge à cause du décalage spectral. Ils utilisent une nouvelle méthode de conversion du flux en abondance qu'ils ont développée pour les quasars jusqu'à z ∼ 3. Les chercheurs constatent que ce quasar est extrêmement enrichi en fer par un facteur 20 par rapport à l'abondance de Fe solaire : [Fe/H] = +1,36 ± 0,19, et surtout, qu'il y a un très faible rapport d'abondance Mg/Fe, il est 13 fois plus faible que la valeur solaire : [Mg/Fe] =-1,11 ± 0,12. Selon Yoshii et ses collaborateurs, une telle caractéristique d'enrichissement en fer aussi inhabituelle seulement 700 millions d'années après le Big Bang ne peut pas être expliquée par la vision standard de l'évolution chimique, qui ne prend en compte que les contributions des supernovas canoniques.
Les astrophysiciens proposent pour expliquer cette anomalie chimique que la plus grande quantité de fer dans ULAS J1342+0928 a été fournie par une supernova à instabilité de paire (PISN) causée par l'explosion d'une étoile massive de population III dans l'extrémité de masse élevée de la gamme possible de 150 à 300 M⊙. Les chercheurs montrent que les modèles d'évolution chimique basés sur l'enrichissement initial des PISN expliquent bien la tendance de [Mg/Fe] en fonction du redshift z tout au long de la période allant de z < 3 à z = 7,54. 


Les supernovas dites à "instabilité de paire" sont des versions remarquablement puissantes d'explosions qui n'ont jamais été observées directement, mais on pense qu'elles constituent la fin de vie des étoiles les plus massives dont la masse est supérieure à150 masses solaires. Les explosions de supernova à instabilité de paire se produisent lorsque la température est si élevée au coeur de l'étoile que le rayonnement qu'il produit est un rayonnement dont l'énergie dépasse 1,022 MeV (rayonnement gamma). Ce seuil en énergie n'est pas une valeur au hasard, elle correspond à deux fois la masse d'un électron (511 keV). Elle est donc égale aussi à la masse d'une paire électron-positron (ou antiélectron). Un photon de plus 1,022 MeV peut donc spontanément se transformer en une paire e-/e+. Et ce sera d'autant plus facile que l'énergie du photon est supérieure à 1,022 MeV.  
Mais lorsque dans le coeur d'une étoile de nombreux photons se transforment en une paire de leptons (qui pourront produire à leur tour d'autres photons un peu plus tard), la pression de radiation chute brutalement, ce qui entraîne une contraction du coeur de l'étoile, et qui dit contraction, dit échauffement et donc énergie plus élevée des photons gamma, donc facilité de conversion en paires électrons/positrons, et nouvelle chute de la pression de radiation. C'est l'emballement et l'effondrement gravitationnel immédiat. Contrairement aux autres supernovas à effondrement de coeur (type II), ces PISN (supernovas à instabilité de paire) ne laissent aucun vestige compact derrière elles, mais en revanche, elles éjectent toute leur matière dans leur environnement. 

Pour leur recherche, Yuzuru Yoshii et son équipe ont étudié les données observations effectuées par le télescope Gemini Nord de 8,1 mètres à l'aide du spectrographe proche infrarouge GNIRS. Gemini est l'un des rares télescopes de sa taille à disposer de l'équipement adéquat pour effectuer de telles observations. Déduire les quantités de chaque élément présent est une entreprise délicate, car la luminosité d'une raie dans un spectre dépend de nombreux facteurs autres que l'abondance de l'élément en question. 
Des recherches de preuves chimiques de l'existence d'une génération d'étoiles de population III de masse élevée ont été effectuées dans le passé parmi les étoiles du halo de la Voie lactée et au moins une identification provisoire avait été présentée en 2014. Yoshii et ses collègues pensent toutefois que leur nouveau résultat fournit la signature la plus claire d'une supernova à instabilité de paires, sur la base du rapport d'abondance magnésium/fer extrêmement faible présent dans ce quasar. 
Pour tester cette interprétation de manière plus approfondie, de nombreuses autres observations sont nécessaires pour voir si d'autres objets présentent des caractéristiques similaires. Mais on pourrait aussi  trouver des signatures chimiques plus près de chez nous. Bien que les étoiles de population III de forte masse aient toutes disparues il y a longtemps, les empreintes chimiques qu'elles laissent derrière elles dans leur matière éjectée peuvent perdurer beaucoup plus longtemps et sont peut-être encore présentes aujourd'hui dans notre galaxie.

Source

Potential Signature of Population III Pair-instability Supernova Ejecta in the BLR Gas of the Most Distant Quasar at z = 7.54
Yuzuru Yoshii et al.
The Astrophysical Journal, Volume 937, Number 2 (2022 September 28)


Illustration

1. Vue d'artiste d'une étoile de population III (NOIRLab/NSF/AURA/J. da Silva/Spaceengine)
2. Le télescope Gemini North au Maunakea à Hawaï, qui a permis cette observation (NOIRLab)

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