Lorsque les premières étoiles de la Voie Lactée se sont formées, il y a environ 13 milliards d'années, elles étaient principalement constituées d'hydrogène et d'hélium. Mais d'autres éléments chimiques (le plus lourd étant le calcium) ont été détectés dans l'atmosphère de l'une des plus anciennes étoiles connues dans notre galaxie nommée SMSS0313-6708. Une expérience en laboratoire souterrain vient de démontrer comment on peut produire ces abondances chimiques par des réactions nucléaires très peu probables. L'étude est parue dans Nature.
Chaque étoile, quelle que soit sa masse, passe la majeure partie de sa vie à fusionner de l'hydrogène en hélium dans son cœur par le biais de deux mécanismes principaux : les chaînes p-p et les cycles catalytiques carbone-azote-oxygène (CNO). Le mécanisme qui domine la combustion de l'hydrogène est déterminé par la température qui règne au cœur d'une étoile. Dans les étoiles dont la masse initiale est inférieure à environ 1,2 M⊙ et dont le cœur est relativement froid (T ≤ 0,02 GK), les chaînes p-p dominent la fusion de l'hydrogène, tandis que dans les étoiles dont la masse initiale est plus élevée et le cœur plus chaud, les cycles CNO prennent le dessus. En tant que réaction catalytique, le nombre total de noyaux CNO doit rester constant, à moins qu'une réaction de rupture ne provoque une fuite vers la région de masse néon et au-delà, ou si la température et la densité sont suffisamment élevées pour produire du nouveau carbone par le processus triple-alpha (3α). Ces deux derniers cas peuvent se produire dans les étoiles massives primordiales. La seule réaction qui peut potentiellement retirer la matière catalytique du cycle à des températures plus basses est la fusion de 19F avec un proton pour former du 20Ne.
Liyong Zhang (université de Beijing) et ses collaborateurs chinois, américains et australiens ont réussi à produire la réaction de fusion entre des protons et des noyaux de fluor, qui donne des noyaux de néon-20, la réaction-clé qui ouvre la voie vers des noyaux plus lourds. La fusion des protons avec les noyaux de fluor peut en fait entraîner deux réactions possibles : soit la production de l'isotope néon-20 et d'un photon γ, soit la production de l'isotope oxygène-16 et d'une particule α (un noyau d'hélium). Lorsque l'oxygène-16 est produit, les réactions ultérieures ne donnent pas lieu à la production d'éléments plus lourds que le fluor-19. La production de néon-20, en revanche, est connue comme étant une réaction de "rupture" (ou d'échappement), car elle rompt le cycle des captures de protons qui ne produisent que des éléments légers.
Pour mesurer la probabilité de cette réaction, Zhang et ses collaborateurs ont réalisé des expériences avec l'accélérateur JUNA au laboratoire souterrain de Jinping (Chine), en bombardant une cible de fluor avec des protons. Et ils ont fait une mesure directe du taux de production de la réaction d'échappement 19F(p, γ)20Ne en détectant le photon gamma émis dans la réaction, et ça jusqu'à une énergie de proton très basse de 186 keV, et signalent d'ailleurs l'existence d'une résonance clé à 225 keV. Sur la base d'évaluations précédentes, on s'attendait à ce que le taux de cette réaction soit environ 4 000 fois plus faible que celui générant l'oxygène-16. Mais Zhang et son équipe mesurent une valeur plus élevée, le taux de la réaction de production du néon-20 qu'ils trouvent a une valeur 7,4 fois plus élevée que ce que l'on pensait auparavant, ce qui implique que le 19F produit par le cycle CNO n'est pas forcément recyclé en 16O comme on le pensait, mais qu'il peut exister un changement substantiel de l'abondance chimique par la production de noyaux plus lourds.
Pour les chercheurs, cette réaction nucléaire qui forme du néon-20 est une candidate très probable pour expliquer l'abondance d'éléments aussi lourds que le calcium dans une étoile comme SMSS0313-6708. Il faut savoir que SMSS0313-6708 est une étoile ultra-pauvre en métaux qui est estimée être une descendante directe de la première génération d'étoiles de l'Univers qui s'est formée après le Big Bang. C'est l'une des étoiles les plus vieilles de notre galaxie, si ce n'est la plus vieille connue. La composition observable d'une étoile ultrapauvre en métaux de ce type est une véritable capsule temporelle de l'environnement qui a précédé la formation des premières galaxies. Les étoiles les plus pauvres en métaux qui sont observées aujourd'hui dans le halo de la Voie Lactée présentent en effet les signatures nucléosynthétiques diluées résultant des étoiles Pop III qui les ont précédées. Les étoiles de Population III ont commencé leur très courte vie avec la composition primordiale du Big Bang et se sont contractées jusqu'à ce que la température centrale soit suffisamment élevée (environ 0,1 GK) pour allumer le processus 3α, créant une petite abondance de carbone16 pour servir de catalyseur et initier les cycles CNO.
Le taux de réaction rapporté par Liyong Zhang et son équipe dans leur étude fournit ainsi un ingrédient clé pour la prochaine génération de simulations stellaires, qui visera à comprendre la nature des étoiles qui ont explosé en supernova immédiatement après la formation de la Voie Lactée et dont les résidus se sont répandus dans le gaz qui a formé SMSS0313-6708 peu après cette explosion.
Source
Measurement of 19F(p, γ)20Ne reaction suggests CNO breakout in first stars
Liyong Zhang et al.
Nature volume 610 (26 october 2022)
Illustration
Schéma des deux réactions concurrentes de fusion du fluor-19 avec un proton produisant soit des éléments légers soit des éléments lourds (Nature)
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