lundi 31 octobre 2022

Le sursaut gamma le plus brillant de tous les temps, GRB 221009A, a ionisé notre atmosphère


Le 9 octobre dernier, les télescopes Swift/Burst Alert Telescope (BAT) et Fermi/Gamma-ray Burst Monitor ont tous les deux détecté simultanément un sursaut gamma exceptionnel par l'énergie qu'il a dégagée. Baptisé officiellement GRB 221009A, il a été surnommé le BOAT (Brightest of All Time), le sursaut gamma le plus brillant de tous les temps. Depuis l'annonce de sa détection, de nombreux papiers ont été publiés sur le site de preprints ArXiv, mais il est encore trop tôt pour voir paraître les premiers articles après une revue en bonne et due forme. Enfin... pas tout à fait, car il existe un journal qui publie des très courts articles, et rapidement, il s'appelle Research Notes of the American Astronomical Society, et il vient de publier officiellement le tout premier article revu par les pairs consacré à GRB 221009A... 

Les sursauts gamma sont des explosions énergétiques qui se produisent lorsqu'une étoile massive meurt et laisse derrière elle un trou noir. L'effondrement déclenche des jets de photons gamma qui s'éloignent des pôles de l'ancienne étoile. Si ces jets sont dirigés vers la Terre, nous pouvons les voir sous la forme d'un sursaut gamma qui peut durer plusieurs minutes. GRB 221009A a probablement été déclenché par une supernova donnant naissance à un trou noir dans une galaxie située à 1,9 milliards d'années-lumière de la Terre. 
Comme ce sursaut est situé dans le plan de la Voie Lactée, ses découvreurs avec Swift ont d'abord pensé qu'il s'agissait d'un événement galactique. Mais comme le télescope Fermi avait lui aussi détecté le signal extrêmement intense avec des photons jusqu'à une énergie de 18 TeV, il ne pouvait s'agir que d'un GRB, et pas n'importe lequel : le GRB le plus brillant jamais détecté depuis qu'on en détecte, avec une énergie  libérée de 3 × 1054 erg! (1000 fois l'énergie d'une supernova typique). Après la confirmation de la validité du sursaut, d'autres astronomes se sont empressés d'aller voir. En l'espace de quelques jours, les astrophysiciens du monde entier ont eu un aperçu de l'explosion avec des télescopes dans l'espace et au sol, dans presque toutes les longueurs d'onde, notamment en rayons X, qui nous ont fourni une magnifique image de la diffusion des rayons X de rémanence sur du gaz du voisinage.
Même certains radiotélescopes habituellement utilisés comme détecteurs d'éruptions solaires ont vu une perturbation soudaine associée à GRB 221009A, ce qui suggère que l'explosion a été si puissante qu'elle a ionisé une partie de l'atmosphère terrestre. C'est l'objet de ce premier petit article dédié au BOAT, que proposent Laura A. Hayes (ESA) et Peter T. Gallagher (Institute for Advanced Studies de Dublin). Avant de détailler ce qu'ils ont observé, il faut préciser que dans les heures et les jours qui ont suivi l'explosion initiale, le sursaut s'est atténué pour laisser place à une rémanence encore relativement brillante qui a pu être observée par des amateurs dans le visible.

La luminosité extrême de GRB 221009A est probablement due, au moins en partie, à sa proximité relative. 1,9 milliards d'années-lumière peuvent sembler lointaines, mais un sursaut gamma moyen se situe plutôt à 10 milliards d'années-lumière. Et il était probablement aussi intrinsèquement très brillant. L'étude de l'explosion au fur et à mesure de son évolution va probablement remettre en question certaines de nos hypothèses sur le fonctionnement des sursauts gamma. GRB 221009A va se retrouver derrière le Soleil du point de vue de la Terre à partir de la fin du mois de novembre, le rendant inobservable temporairement. Mais comme sa rémanence est encore très forte, les astronomes ont bon espoir de pouvoir l'observer à nouveau lorsqu'il redeviendra visible en février.
Venons en à ce papier des Research Notes of the AAS... Laura Hayes et Peter Gallagher rapportent la détection d'une importante perturbation ionosphérique soudaine dans la région D de l'ionosphère terrestre (une zone située entre 60 et 100 km d'altitude), qui est tout a fait coïncidente dans le temps avec le sursaut γ GRB 221009A. Ils ont identifié la perturbation au-dessus de l'Europe du Nord, produite par l'ionisation accrue induite par les émissions de rayons X et γ du GRB. Ils ont détecté cette perturbation ionosphérique en utilisant des ondes radio de très basse fréquence comme sonde de la région D (entre 3 et 30 kHz). 
Les mesures des ondes radio de très basse fréquence qui se propagent dans le guide d'ondes formé entre la surface de la Terre et la basse ionosphère constituent un outil unique pour détecter à distance les perturbations ionosphériques. Ces mesures sont souvent utilisées pour détecter et étudier les éruptions solaires. Dans de rares cas, des transitoires extra-solaires peuvent également être détectés dans les mesures à très basse fréquence, comme des éruptions de magnétar (Inan et al. 1999, Palit et al. 2018), et même les GRB (Fishman & Inan 1988). Mais ces derniers ont été identifiés dans l'ionosphère côté nuit. Ici, dans le cas de GRB 221009A, la perturbation ionosphérique soudaine est si importante qu'elle a produit une signature de la taille d'une éruption solaire de classe X visible dans l'ionosphère du côté jour.
Selon les chercheurs, c'est un point significatif que cela ait été observé dans les conditions diurnes. En effet, l'ionosphère nocturne est beaucoup plus sensible aux perturbations externes, lorsque le rayonnement solaire n'est pas dominant. En conséquence, le changement relatif de la densité électronique nécessaire pour produire un changement d'amplitude des ondes de basse fréquence doit être beaucoup plus important pendant la journée pour pouvoir le mesurer. 
Hayes et Gallagher ont également mesuré le délai entre le rayonnement ionisant impulsif des rayons X et γ du sursaut et la réponse radio à basse fréquence. Pour les éruptions solaires, il existe un délai entre le pic des rayons X et la réponse radio, typiquement autour de 2 à 3 minutes. Ici, dans le cas de GRB 221009A, les chercheurs observent un délai de ∼55 s. Et en termes de temps de récupération, il faut près de 30 minutes pour retrouver les niveaux antérieurs au sursaut gamma.
Ces observations montrent que GRB 221009A a produit des impacts significatifs sur l'ionisation de la basse ionosphère de notre planète, et selon Hayes et Gallagher, il s'agit de l'effet le plus fort jamais produit par un GRB, même si une petite poignée de cas avaient été signalés auparavant. 
Le fait que ce GRB ait été facilement détecté dans l'ionosphère diurne a également plusieurs implications scientifiques intéressantes, comme l'opportunité d'étudier la chimie ionosphérique sous un nouvel angle. La courte durée d'impulsion du GRB agit comme une entrée d'ionisation dans l'ionosphère par une fonction delta (un Dirac), et permet de réaliser de nouvelles études de l'ionisation sur de courtes échelles de temps et d'étudier la récupération par recombinaison. Des observations plus en détail associées à une modélisation de l'ionosphère, basée sur les données, devraient permettre de comprendre les profondeurs de pénétration des flux de GRB (qui peuvent atteindre une altitude aussi basse que 20 km). 
Bref, il est donc maintenant clair que les GRBs peuvent avoir des impacts significatifs sur les ionosphères et même les atmosphères des exoplanètes, ce qui pourrait également avoir des implications pour l'évolution et la stabilité de la vie sur les planètes habitables. Nous n'avons en tous cas pas fini de parler ici de GRB 221009A...

Source

A Significant Sudden Ionospheric Disturbance Associated with Gamma-Ray Burst GRB 221009A
Laura A. Hayes and Peter T. Gallagher
Research Notes of the AAS, Volume 6, Number 10 (october 2022)


Illustration

La rémanence en rayons X de GRB 221009A imagée par Swift une heure après le sursaut gamma (SWIFT/NASA, A. BEARDMORE/UNIV. OF LEICESTER)

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