Deux équipes concurrentes publient à quelques jours d'intervalle des résultats de l'analyse de la composition isotopique du monoxyde de carbone de la haute atmosphère martienne. Leur conclusion respective est exactement la même : la photolyse du CO2 a produit plus de CO sur Mars que ce qu'on pensait, ce qui peut expliquer la quantité de molécules organiques observée au sol, qui ne seraient donc pas d'origine biotique. Les deux études sont publiées dans Nature Astronomy (le 11 mai) et dans The Planetary Science Journal (le 26 mai).
Cela ressemble à une course contre la montre entre deux équipes qui étudient la même chose, pour savoir qui parviendrait à publier avant l'autre une explication de la mesure anormale du rover Curiosity sur du méthane, publiée l'année dernière par Christopher House et al.. A ce petit jeu, c'est Juan Alday (Open University) et ses collaborateurs qui ont gagné face à l'équipe de Shohei Aoki (université de Tokyo). Alday et ses coauteurs ont soumis leur article à Nature Astronomy le 12 décembre 2022, article qui a finalement été accepté pour publication, après révision, le 14 avril 2023. Aoki et ses collaborateurs avaient quant à eux soumis leur article à The Planetary Science Journal 10 jours après Alday, le 22 décembre, et il a été accepté, après révision, le 4 mai (avec donc 20 jours de retard sur Alday) et finalement, Aoki et al. n'ont pu regagner que 5 jours sur la date de publication effective puisque leur article est publié finalement 15 jours après celui de Alday et al.
Les deux équipes de planétologues ont exploité les données de la sonde ExoMars Trace Gas Orbiter mais pas avec les mêmes instruments de la sonde, pour étudier comment l'atmosphère de Mars s'est enrichie ou non en isotopes lourds suite à la fuite de l'atmosphère vers l'espace pendant des milliards d'années. L'estimation de cet enrichissement nécessite une compréhension de tous les processus atmosphériques qui contribuent à l'évolution des rapports isotopiques entre la basse et la haute atmosphère, là où se produisent les processus d'échappement.
Alday et ses collaborateurs ont mesuré des profils verticaux du monoxyde de carbone (CO), obtenus par l'instrument ACS (Atmospheric Chemistry Suite) de la sonde ExoMars Trace Gas Orbiter, et les ont combiné avec les prédictions d'un modèle photochimique. Ils trouvent des preuves de l'existence d'un processus de fractionnement du CO2 induit par des réactions photochimiques, un processus qui épuise les isotopes lourds de C et O dans le CO sous l'action du rayonnement solaire. Ils mesurent en effet une déplétion en 13C par rapport au 12C : δ 13C = −160 ± 90‰, et pour l'oxygène (18O par rapport à 16O) un δ 18O = −20 ± 110‰). Pour les chercheurs, la prise en compte de ce processus de fractionnement dans la haute atmosphère a pour effet de réduire le facteur d'échappement d'environ 25%, ce qui suggère que moins de carbone s'est échappé de l'atmosphère de Mars qu'on ne le pensait auparavant. Ils en déduisent que dans la basse atmosphère, l'incorporation de cette fraction de CO appauvri en 13C dans la surface pourrait soutenir l'origine abiotique des matières organiques martiennes pauvres en 13C qui ont récemment été découvertes par le rover Curiosity en 2022 dans le cratère Gale. Ces mesures de Curiosity d'échantillons de méthane appauvris en 13C paraissaient anormales car les mesures isotopiques du rover sur le CO2 atmosphérique au niveau du sol montraient à l'inverse un enrichissement en 13C, ouvrant de vastes questions sur l'origine de ce méthane pauvre en 13C...
Ces résultats mettent en évidence le rôle important de la photochimie dans le fractionnement de la composition isotopique du carbone et de l'oxygène de l'atmosphère de Mars. Des futures mesures des rapports isotopiques de différentes espèces pourraient fournir d'autres informations clés sur les cycles photochimiques dans l'atmosphère martienne, et également donner des estimations précises du fractionnement qui existe entre la basse et la haute atmosphère, ce qui aura aussi des implications importantes pour notre compréhension de l'évolution à long terme du climat de Mars.
Sources
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