samedi 6 mai 2023

L'excentricité de l'orbite terrestre mesurée grâce aux neutrinos solaires


C'est une mesure de précision assez dingue qu'ont réussie les physiciens de la collaboration BOREXINO : ils ont mesuré l'excentricité de l'orbite de la Terre grâce aux neutrinos du Soleil détectés durant plus de 10 ans... Ils publient leur étude dans Astroparticle Physics.

Depuis début 2012, la collaboration BOREXINO rapporte des mesures de précision des flux de neutrinos solaires émis par le coeur du Soleil par les réactions de fusion de la chaîne proton-proton et du cycle Carbone-Azote-Oxygène. La sensibilité expérimentale atteinte dans les dernières phases d'exploitation du détecteur de neutrinos installé au laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie a permis de détecter une modulation annuelle du taux d'interaction des neutrinos solaires, et cette faible modulation est due à l'excentricité de l'orbite terrestre. L'orbite de la Terre est une ellipse, donc pas tout a fait circulaire. Il en résulte que notre distance du Soleil varie au cours d'une année et passe d'un minimum à un maximum. Le flux de neutrinos qui est produit par le Soleil et qui est reçu à la surface de la Terre dépend directement de la distance entre les deux (comme l'inverse de la distance au carré). Mesurer une modulation annuelle du flux de neutrinos provenant du Soleil offre donc la possibilité de calculer la forme de l'orbite de la Terre, son excentricité ε. 
L'excentricité d'une orbite est définie comme le rapport entre la différence et la somme de l'aphélie et du périhélie de la planète. Isaac Newton en donne la valeur pour la Terre dans ces Philosophiae Naturalis Principia Mathematica publiés en 1687 : ε = 0,0169, alors que la valeur moderne mesurée astronomiquement vaut 0,0167. 
Comme les neutrinos peuvent traverser la Terre et être détectés 24 heures sur 24, la variation du flux ne dépend que de l'inverse du carré de la distance Terre-Soleil. En utilisant les coordonnées polaires, cette distance peut s'écrire :  r(θ)=r̄(1ϵ²)/(1+ϵ.cos(θ)) où r̄ est la moyenne des apsides et θ est l'angle polaire par rapport au périhélie. Puisque ε <<1, le flux de neutrinos solaires, produit par le Soleil Φet atteignant la Terre à l'instant t peut être approximé avec la seconde loi de Kepler par Φ(t)Φ0/r̄² [1+2ϵ.cos(ω(tt0))], où ω est la vitesse angulaire moyenne de la Terre sur une année et test la phase qui peut être choisie au périhélie (le point le plus proche du Soleil, qui tombe généralement les premiers jours de janvier). La variation attendue de l'amplitude en pourcentage est de l'ordre de 2ϵ, soit 3,34%, et la phase t0 attendue est de 23 jours.
Les chercheurs de la collaboration BOREXINO détectent l'existence d'une modulation du flux de neutrinos solaires avec une signification statistique supérieure à 5σ, qui a une amplitude de (3,68 ± 0,65)%, et une phase t0 de 30 ± 20 jours. Ils calculent donc une excentricité de l'orbite qui vaut 𝜖 = 0,0184 ± 0,0032, à comparer avec la valeur connue astronomiquement qui vaut 0,0167. La barre d'erreur obtenue, qui est la plus faible de toutes les mesures de ce genre effectuées dans le passé avec des détecteurs de neutrinos (comme GALLEX, SuperKamiokande ou SNO) englobe bien la valeur de l'excentricité mesurée par des méthodes astronomiques (et la valeur de sir Newton).


Le résultat de BOREXINO est important pour deux raisons : premièrement, parce qu'il fournit une preuve indépendante de la première loi de Kepler, et deuxièmement, parce qu'il prouve le niveau sans précédent de précision et de stabilité de la détection des neutrinos solaires qui est atteint par le détecteur BOREXINO. Et puis, grâce aux mesures très stables obtenues pendant 14 ans, les chercheurs produisent le périodogramme complet des neutrinos solaires, en explorant des fréquences allant jusqu'à un cycle/jour. Cette analyse détaillée permet de tester des modèles solaires et de neutrinos alternatifs, comme par exemple un effet possible dû à la rotation asymétrique du Soleil ou à une potentielle asymétrie jour-nuit non standard. Le périodogramme ne montre aucune autre fréquence de modulation significative hormis la fréquence annuelle liée à l'excentricité, ce qui permet de fixer des limites sur l'amplitude de modulation pour ces deux effets potentiels à 1,8% et 1,3% respectivement.

Vu d'un autre côté, la mesure de la modulation annuelle du flux de neutrinos détecté par BOREXINO, qui est donc conforme avec l'excentricité de l'orbite de la Terre, démontre qu'il s'agit bien de neutrinos qui proviennent du Soleil et pas d'ailleurs. Cela pouvait paraître évident, mais c'est toujours utile de le confirmer... Et cela démontre que l'expérience est bien capable de mesurer, avec une grande précision, tous les flux de neutrinos solaires émis dans les processus de combustion de l'hydrogène (chaîne pp et cycle CNO), une mesure qui a été rendue possible grâce à la très grande stabilité de la réponse du détecteur et de sa résolution en énergie durant plus de 10 ans, mais aussi par la compréhension fine du bruit de fond du détecteur, un bruit de fond dû à la contamination radioactive naturelle de ses constituants (210Po, 210Bi, 11C, ...). BOREXINO a été démonté en octobre 2021, après 14 ans de fonctionnement au laboratoire souterrain du Gran Sasso.

Source

Independent determination of the Earth’s orbital parameters with solar neutrinos in Borexino
The Borexino Collaboration
Astroparticle Physics (march 2023)

Illustrations

1. Schéma de l'orbite excentrique de la Terre (The Borexino Collaboration)
2. Evolution du flux de neutrinos mesuré sur une période de 10 ans par BOREXINO (The Borexino Collaboration)


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