25/05/23

Les galaxies "trop massives" découvertes par Webb seraient en fait encore plus massives


Les premiers résultats du télescope spatial Webb ont révélé des galaxies si précoces et si massives qu'elles sont en tension avec notre compréhension de la formation des structures dans l'Univers. Mais une nouvelle étude suggère aujourd'hui que ces galaxies pourraient être encore plus massives, via l'observation d'un effet qui n'a jamais été étudié auparavant à des époques aussi précoces. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

Cette dans l'image de l'amas de galaxies SMACS 0723, la première image publiée par le télescope spatial James Webb en juillet 2022, que ça se passe. Dans cette fabuleuse image, il y a notamment 5 galaxies très lointaines, vues il y a environ 13 milliards d'années. Clara Giménez-Arteaga (Cosmic Dawn Center à Copenhague) et ses collaborateurs ont fait une analyse minutieuse de ces galaxies et ils montrent que la résolution avec laquelle on produit des spectres peut modifier drastiquement la quantité d'étoiles que l'on déduit. 
La masse stellaire d'une galaxie est généralement estimée en mesurant la quantité de lumière émise par la galaxie et en calculant le nombre d'étoiles nécessaires pour émettre cette quantité. L'approche habituelle consiste à considérer la lumière combinée de toute la galaxie d'un coup. Mais, en examinant de plus près l'échantillon de cinq galaxies, Giménez Arteaga et son équipe ont découvert que si la galaxie n'est pas considérée comme une grosse masse d'étoiles, mais comme une entité constituée de plusieurs amas, une image toute différente émerge. Les chercheurs ont utilisé une procédure pixel par pixel plutôt que de regarder toute la galaxie d'un coup. Cela leur permet d'observer des paramètres physiques à l'échelle de 200 pc environ sur ces galaxies (la dimension d'un pixel de l'instrument NIRCam du Webb à cette distance). On pourrait s'attendre à ce que les résultats soient les mêmes entre ajouter la lumière de tous les pixels pour trouver la masse stellaire totale, et le calcul de la masse dans chaque pixel et additionner toutes les masses stellaires individuelles. Mais ce n'est pas ce que trouvent Giménez Arteaga et ses collaborateurs européens, américains et japonais. En sommant la masse pixel par pixel, la masse totale d'étoiles qu'ils déduisent est systématiquement plus grande que lorsqu'on utilise la galaxie entière, et elle peut être jusqu'à dix fois plus grande! 
Pour comprendre ce qu'il se passe, les chercheurs expliquent que les populations stellaires sont un mélange d'étoiles petites et faiblement lumineuses d'une part, et d'étoiles massives et très brillantes d'autre part. Si nous regardons simplement la lumière combinée de toute une galaxie, les étoiles brillantes auront tendance à dominer complètement les étoiles faibles, les laissant inaperçues. Mais quand on scrute une galaxie pixel par pixel dans l'image, l'analyse montre clairement que des amas brillants formant des étoiles peuvent dominer la lumière totale, mais que la majeure partie de la masse se trouve en fait dans des étoiles plus petites.

Cet effet a été étudié auparavant, mais seulement à des époques beaucoup plus récentes de l'histoire de l'Univers (pas plus loin qu'un redshift de 3). Il s'agit ici de la première analyse spatialement résolue de galaxies ayant un redshift compris entre 5 et 9 confirmées par spectroscopie. Les multiples amas de formation d'étoiles ont été observés par les forts gradients de couleurs qui sont visibles en infrarouge. Cela indique une formation d'étoiles très éclatée se produisant à petite échelle (<1 kpc), et non à l'échelle de la galaxie, selon les chercheurs.
Ils montrent également comment les régions d'émission de raies intenses dominent complètement la lumière intégrée d'une galaxie, ce qui a pour effet de biaiser les ajustements vers les très jeunes âges de la population stellaire (moins de 10 Mégannées). Et seule une analyse résolue au niveau de chaque pixel démontre la présence de populations stellaires plus anciennes, moins lumineuses. L'analyse résolue pixel par pixel, non seulement multiplie la masse stellaire totale des galaxies par un facteur allant de 3 à 10 selon les cas, mais elle vieillit aussi ces populations stellaires, pour certaines de beaucoup plus d'un facteur 10...
La galaxie de l'échantillon qui subit la plus forte correction est aussi la plus lointaine des 5 (mais il n'y a pas de tendance observée en fonction du redshift). Il s'agit de la galaxie ID4590, située à un redshift  z=8.498 (donc 600 millions d'années après le BigBang). Lorsque sa masse est estimée par la méthode intégrée, on trouve 10,9 millions de masses solaires (et un âge moyen des étoiles de seulement 1,9 mégannées), mais lorsque la masse est calculée par la méthode résolue, pixel par pixel, on trouve 122 millions de masses solaires... (pour un âge moyen de 111 mégannées). 
La masse stellaire est l'une des principales propriétés utilisées pour caractériser une galaxie, et le résultat de Giménez-Arteaga et al. souligne l'importance de pouvoir résoudre les galaxies, surtout les plus lointaines, qui semblaient déjà trop massives évaluées par la méthode intégrée... L'erreur systématique des estimations de masse stellaire trouvée par Giménez Arteaga et ses collaborateurs devrait avoir de fortes implications dans la forme et l'évolution de la fonction de masse stellaire à redshift élevé (la distribution du nombre de galaxies en fonction de leur masse stellaire), en particulier lorsque les échantillons sont limités à un petit nombre de candidats les plus brillants. 
Si le phénomène se confirme, il indiquerait que le processus de formation des galaxies pourrait être beaucoup plus étendu et plus précoce qu'on ne le pensait auparavant (comme l'impliquerait d'ailleurs la présence de populations stellaires plus âgées, qui paraissent éclipsées par les étoiles les plus jeunes). Le modèle cosmologique standard était déjà mis sous forte tension par l'existence de galaxies jeunes trop massives, mais là, ça serait encore bien pire.

Source

Spatially Resolved Properties of Galaxies at 5 < z < 9 in the SMACS 0723 JWST ERO Field
Clara Giménez-Arteaga et al.
The Astrophysical Journal, Volume 948, Number 2 (16 may 2023)

Illustrations

1. Les 5 galaxies étudiées dans le champ de SMACS 0723 (NASA, ESA, CSA, STScI / Giménez-Arteaga et al., Peter Laursen (Cosmic Dawn Center))
2. Masses stellaires déduites de mesures résolues en fonction des masses stellaires déduites de mesures intégrées (en échelle logarithmique sans correction du facteur de grandissement µ) ESA, CSA, STScI / Giménez-Arteaga et al.

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