jeudi 11 avril 2024

Trop de galaxies naines autour de la galaxie M83, le modèle standard en défaut


On connaissait le problème des "galaxies satellites manquantes", qui était apparu quand les simulations fondées sur le modèle standard  ΛCDM donnaient trop de galaxies naines par rapport à ce qui est observé. Ce problème avait été résolu en intégrant la physique baryonique dans les simulations, mais aujourd'hui, c'est l'inverse : on observe beaucoup trop de galaxies naines dans le groupe de la grande galaxie M83. L'étude est publiée dans Astronomy&Astrophysics.
  
Le développement et l'amélioration des instruments et des installations a permis d'améliorer grandement le recensement des galaxies naines dans l'Univers proche. L’abondance des galaxies naines donne notamment des informations précieuses sur les modèles de formation des structures. Les écarts apparents entre le nombre de sous-halos (les galaxies naines), qui sont vus entre les simulations cosmologiques utilisant uniquement la matière noire, et les satellites réellement observés de la Voie lactée, ce qu'on a appelé le "problème des satellites manquants", a poussé les astrophysiciens à améliorer notre compréhension du rôle des baryons au sein des galaxies. Aujourd'hui, le nombre observé des satellites de la Voie lactée et d'Andromède peut être reproduit par des simulations cosmologiques lorsque les effets baryoniques sont inclus, comme la rétroaction des supernovas. Mais la question demeure de savoir si ces résultats sont valables en dehors du Groupe Local, parce que c'est le Groupe Local qui a été utilisé pour calibrer les effets baryoniques dans les simulations, ce qui introduit une certaine dépendance  avec les observations locales.

Pour voir à quel point le Groupe Local est typique ou pas, des galaxies naines appartenant à d'autres groupes de galaxies doivent être découvertes et leurs appartenances aux galaxies hôtes doivent être établies avec précision. La détermination de cette appartenance nécessite l'identification de petites galaxies à faible luminosité de surface et des mesures précises de leurs distances. Et obtenir ces informations sur la distance est coûteux en termes d'observation , en particulier lorsqu'il y a un grand nombre de galaxies naines candidates à suivre. En utilisant les étoiles de la pointe de la branche des géantes rouges (TRGB) en tant que chandelles standards, ces observations prennent la durée d'une orbite de Hubble par cible pour les galaxies distantes jusqu'à 10 Mpc, ou plusieurs heures d'observation avec des télescopes au sol de classe des 8 mètres, comme le Very Large Telescope.


En termes de prédictions cosmologiques, l'abondance des galaxies naines dans les groupes proches a été abordée dans quelques études récentes. Autour de M 94 – une galaxie spirale géante  – un manque apparent de galaxies satellites a été constaté (Smercina et coll. 2018). En utilisant une campagne d'imagerie profonde avec l'Hyper Suprime Cam, Smercina et al. (2018) ont étudié le voisinage de 150 kpc autour de M 94 et n'ont trouvé que deux satellites. Leur adhésion a été établie via la méthode TRGB. Cela contraste fortement avec le nombre attendu de cinq à dix satellites, ce qui a ravivé le problème des satellites manquants. En revanche, pour Cen A – une galaxie elliptique géante  – le nombre de galaxies satellites à moins de 200 kpc de Cen A est compatible à moins de 2 σ avec les simulations cosmologiques qui incluent la physique baryonique.

Carlsten et coll. (2021) ont utilisé la relation liant masse stellaire et masse de halo pour prédire le nombre de satellites pour 12 galaxies géantes dans l'univers proche (dont Cen A et M 94) et l'ont comparé aux observations. Ils ont trouvé une grande dispersion dans la fonction de luminosité, ce qui est en accord avec la cosmologie, mais ont souligné que sur les extrémités hautes et basses, il y avait plus de galaxies naines observées que prévu. Crosby et coll. (2023) ont étudié NGC 2683 et d’autres galaxies géantes proches en ce qui concerne les galaxies naines les plus brillantes. En étudiant l'écart de magnitude entre la galaxie hôte et la satellite la plus brillante, ils ont constaté que trois systèmes sur six ont un écart de magnitude plus grand que celui attendu par les simulations cosmologiques Illustris TNG100, ce qui signifie que les satellites les plus brillantes pourraient manquer.

On a donc des résultats ambigus qui démontrent le besoin urgent d’échantillons complets de galaxies naines au sein de groupes de galaxies proches pour étudier l’abondance des satellites. C'est ce à quoi se sont attelés Oliver Müller (Observatoire de Strasbourg) et ses collaborateurs européens. Ils ont effectué un recensement de la galaxie spirale M 83 ( alias NGC 5236), qui est l'une des plus proches voisines de notre groupe local. Cette galaxie spirale se trouve à une distance de 4,9 Mpc et avec Cen A (à 3,8 Mpc) elle forme le groupe Centaurus, un peu similaire au Groupe local. Plusieurs galaxies satellites de Cen A se trouvent en projection plus près de M83, il existe donc un risque de confusion qui nécessite des mesures de distance avec précision. Récemment, la vitesse de la partie plate de la courbe de rotation de M83 (traçant sa masse) a été mise à jour, passant de 150 km s-1 (Kamphuis et coll. 2015 ) à 190 km s-1 (Dykes et coll. 2021) une vitesse de rotation semblable à celle de la Voie Lactée, indiquant que les deux systèmes ont des masses similaires et devraient donc suivre les mêmes relations d'échelle en ce qui concerne le nombre de galaxies naines satellites attendues.


Müller et ses collaborateurs ont cherché à déterminer si le nombre galaxies naines entourant M83 était compatible avec le modèle ΛCDM en utilisant deux méthodes : d'une part en comparant les observations avec des simulations cosmologiques incluant les baryons et d'autre part en comparant avec des prédictions théoriques de la fonction de masse des sous-halos. 
Les astrophysiciens ont établi une liste de galaxies naines du groupe de M83 jusqu'à un rayon de 330 kpc de la galaxie, et ils constatent que la simulation cosmologique hydrodynamique Illustris-TNG50 ainsi que les prévisions théoriques concordent avec les 13 satellites qu'ils ont observées autour de M83 qui sont les plus brillantes (à l'extrémité haute de la fonction de luminosité) (ce qui correspond à des masses supérieures à 100 millions de masses solaires), mais les sous-estiment pour les plus faiblement lumineuses (jusqu'à 1 million de masses solaires). Dit autrement : il y a le bon nombre de galaxies naines brillantes par rapport à ce que donne la simulation, mais il y a beaucoup plus de galaxies naines faiblement lumineuses que ce que prédisent les simulations.

Pour Müller et ses collaborateurs, il y aurait donc un nouveau problème vis à vis du modèle cosmologique standard (qui sous tend les simulations) et ce serait maintenant un problème d'un trop grand nombre de satellites pour M83. Et les astrophysiciens ajoutent qu'en plus, le degré réel de tension avec le modèle cosmologique est même sous-estimé parce que le nombre de galaxies satellites observées est incomplet en raison de la forte contamination des étoiles parasites d'avant-plan.

Les observations de Müller et ses collaborateurs impliquent que le modèle ΛCDM ne semble pas prédire correctement les abondances (ou les propriétés physiques) des galaxies naines pour l’ensemble des galaxies hôtes observées dans l’univers proche. Ca marche pour le Groupe Local mais pas pour le Groupe de Cen A. Ils notent également qu'une autre équipe, Kanehisa et coll. arrivait à une conclusion tout à fait similaire dans une étude parue en 2023, et à un niveau de signification statistique plus élevé. Pour eux, ces résultats doivent servir d'avertissement, soulignant la nécessité de rester vigilant et de continuer à tester et à améliorer les modèles, même lorsqu'ils peuvent expliquer correctement les observations des galaxies de notre Groupe Local.

Source

A too-many-dwarf-galaxy-satellites problem in the M 83 group
Oliver Müller et al.
Astronomy&Astrophysics Volume 684 (8 April 2024)


Illustrations

1. M83 imagé par le télescope de l'ESO de La Silla (ESO)
2. Localisation des 13 galaxies naines détectées autour de M83 (Müller et al.)
3. Nombre de galaxies naines prédites par le modèle comparé aux observations (Müller et al.)
4.Oliver Müller (Christian Grund)

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