jeudi 4 avril 2024

L'origine de la pollution des naines blanches


L'accrétion de matière issue de planètes détruites par les effets de marées est le modèle consensuel actuel pour expliquer la présence de métaux dans la photosphère des naines blanches. Mais ce processus serait-il favorisé par la présence d'une étoile compagne ? C'est à cette question qu'une équipe de chercheurs s'est intéressée, et à trouvé une réponse claire. Ils publient leur étude dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society

Les naines blanches offrent une opportunité unique d’étudier la composition et la dynamique exoplanétaires. Des études sur les spectres des naines blanches ont révélé qu'entre un quart et la moitié des naines blanches typiques et relativement froides présentent des métaux dans leur photosphère, qui normalement devraient couler en raison d'une sédimentation gravitationnelle efficace. Étant donné que les échelles de temps de diffusion atmosphérique sont toujours des ordres de grandeur plus courtes que leurs âges d'évolution (de refroidissement), la pollution des naines blanches doit donc avoir eu lieu récemment et est un processus continu.

Il a été démontré au début des années 2000 de manière décisive que la source des métaux photosphériques dans les naines blanches est cohérente avec l'accrétion de matière de corps planétaires détruits par les effets de marée. Ce scénario est par ailleurs conforté de manière convaincante par les observations de disques de débris circumstellaires autour de dizaines de naines blanches polluées (Farihi 2016). Dans la grande majorité des cas, le matériau accrété ressemble aux corps rocheux du système solaire interne, c'est-à-dire appauvri en substances volatiles et dominé par O, Si, Mg et Fe (les quatre éléments qui constituent 94 % de la masse terrestre). Certains objets riches en eau ont également été identifiés en 2013, y compris un cas d'analogue potentiel de la ceinture de Kuiper (Xu et al. 2017).

Bien qu’il soit clair que la pollution métallique chez les naines blanches est d’origine planétaire, le mécanisme sous-jacent qui permet de rapprocher les corps planétaires sur des orbites rasant les naines blanches reste incertain. L'apparition d'une instabilité dynamique suite à la perte de masse de l'étoile peut disperser les corps planétaires vers des orbites rasantes où ils peuvent être perturbés par les marées et accrétés ensuite par l'étoile devenue naine blanche. La présence d'au moins une planète majeure peut aussi faciliter ce processus par le biais de résonances, mais de tels mécanismes reposent généralement sur des instabilités à courte échelle de temps et ont du mal à expliquer la pollution des naines blanches qui ont des âges de refroidissement de plusieurs Gigannées.

L'influence de compagnes binaires est une autre piste qui a été imaginée pour contribuer de manière significative à la pollution observée chez les naines blanches. Avec l'influence des marées galactiques, pendant les périodes de passage rapproché du périastre, une étoile compagne pourrait être capable d'induire des instabilités dans le système planétaire de la naine blanche. Il a également été suggéré que les oscillations de Lidov-Kozai induites par une étoile compagne lointaine pourraient excitent des planétésimaux sur des orbites auparavant quasi-circulaires vers des excentricités beaucoup plus élevées, jusqu'à amener les planétésimaux à l'intérieur de la limite de Roche de la naine blanche et à être accrétés. La particularité qui distingue ces études de la plupart des autres modèles dynamiques est leur capacité à prendre en compte la pollution à des âges de refroidissement supérieurs à 1 Gigannée. Mais leur contribution à la pollution des naines blanches dépend fortement de la fréquence réelle des étoiles binaires en orbite autour des naines blanches.

Depuis une dizaines d'années, les résultats de deux recherches ont montré que la fréquence de la pollution atmosphérique chez les naines blanches uniques semble indistincte de celle des systèmes binaires, mais ces résultats doivent être pris avec prudence car les statistiques d'échantillon sont loin d'être robustes (12 et 38 binaires examinées respectivement). Les efforts antérieurs visant à identifier les compagnes binaires de naines blanches ont été extrêmement limités par des mouvements propres incomplets ou inhomogènes et des études seulement photométriques. Mais, désormais, avec le télescope Gaia, des données extrêmement riches sur la vaste population binaire de naines blanches polluées peuvent être obtenues.

Pour creuser la question, Hiba Tu Noor (College university, Londres) et ses collaborateurs ont examiné la prévalence des binaires parmi les naines blanches polluées à l'aide des données du catalogue Gaia Data Release 3. Dans le cas où les binaires larges seraient le principal moteur de la pollution observée, leur fréquence autour des naines blanches polluées devrait être nettement supérieure à leur occurrence autour d’un échantillon aléatoire de naines blanches. Les chercheurs ont ainsi testé cette hypothèse pour trois catalogues de naines blanches polluées, assemblés indépendamment. Ils ont mené leur recherche sur de larges séparations binaires. De plus, des probabilités de liaison sont attribuées à chaque binaire candidate, permettant de déterminer des fractions de binaires avec un niveau de confiance élevé pour chaque échantillon. Trois échantillons ont été sélectionnés : 71 étoiles de type DAZ avec des métaux détectés dans l'ultraviolet à l'aide du télescope spatial Hubble, et deux groupes d'étoiles de type DZ identifiées via la spectroscopie du Sloan Digital Sky :  116 étoiles chaudes pour le premier et 101 plus froides pour le second. Chaque échantillon a ensuite été exploré pour trouver des compagnes résolues spatialement puis comparé à la même analyse de milliers de naines blanches de champ (sans sélection).

Le type spectral DA désigne les naines blanches dont les caractéristiques spectrales les plus fortes sont les raies de Balmer, qui signifient généralement une atmosphère riche en hydrogène, et DAZ désigne la présence de raies de métaux plus faibles, tandis que la classe spectrale DZ est constituée d'étoiles présentant uniquement des caractéristiques d'absorption de métaux, où l'atmosphère est généralement dominée par l'hélium.
Tu Noor et ses collaborateurs observent que la fraction de binaires de l’échantillon DAZ est de 10,6%, ce qui est très similaire à celle qui est observée dans des étoiles de champ. Et la recherche donne des fractions binaires de moins de 1,8% pour les deux catalogues d'étoiles DZ indépendants, qui sont chacun distincts de leurs échantillon de référence aléatoire par plus de 3 sigmas.
Selon les chercheurs, les deux ensembles de résultats confirment donc clairement que la pollution chez les naines blanches n’est pas liée à la présence  d'interactions avec une étoile compagne, et que l’apport de métaux à la surface des naines blanches est plutôt causé par l'influence gravitationnelle de planètes majeures dans les systèmes.
Et l'écart qui est observé entre les fractions de binaires des étoiles DAZ et DZ ne peut pas être causé par l'évolution spectrale des naines blanches, ce qui suggère selon les auteurs que ces deux populations de naines blanches pourraient même en fait avoir des architectures planétaires distinctes.

Source

White dwarf pollution: one star or two? 
Hiba Tu Noor et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 529, Issue 3, April 2024, 


Illustrations

1. Vue d'artiste de débris planétaires tombant sur une naine blanche (NASA, ESA, Joseph Olmsted (STScI))
2. Tableau présentant les fractions de binaires dans les différents échantillons (Hiba Tu Noor et al.)
3. Hiba Tu Noor

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