mardi 30 avril 2024

Une éruption géante de magnétar détectée dans la galaxie proche M82


Une puissante éruption gamma a été détectée dans la la galaxie proche M82, elle proviendrait d'un magnétar, ce que laisse penser l'absence totale de rayons X rémanents et d'ondes gravitationnelles. L'étude est publiée dans Nature.

Le 15 novembre 2023, le télescope gamma INTEGRAL de l’ESA a repéré un sursaut de rayons gamma très court provenant de la galaxie voisine M82 située à 12 millions d'années-lumière. Il a été nommée classiquement  GRB 231115A. Les données du satellite ont été reçues par le centre de données scientifiques d’INTEGRAL basé sur le site du Département d’astronomie de l'université de Genève, d’où une alerte a été envoyée aux astronomes du monde entier, seulement 13 secondes après la détection. Deux heures et demi plus tard, le télescope X Swift était pointé vers M82 et treize heures plus tard, c'est le télescope spatial à rayons X XMM-Newton qui était positionné pour chercher une rémanence de cette explosion. Mais ni l'un ni l'autre n’ont trouvé une rémanence de rayons X. 

Sandro Mereghetti (INAF - Istituto di Astrofisica Spaziale e Fisica Cosmica di Milano) et ses collaborateurs en concluent qu’il devait s’agir d’une éruption extragalactique provenant d’un magnétar, une jeune étoile à neutrons dotée d’un champ magnétique extrêmement puissant. S’il s’était agi d’un sursaut gamma causé par la collision de deux étoiles à neutrons, l'événement aurait créé des ondes gravitationnelles et une lueur rémanente observable dans les rayons X et la lumière visible. 

À l’aide de télescopes optiques terrestres, dont le télescope le télescope de l’Observatoire de Haute-Provence, l’équipe a également cherché un signal lumineux dans le visible, quelques heures seulement après l’explosion, mais là encore, rien n’a été détecté. En l’absence de signal en rayons X et en lumière visible, et en l’absence d’ondes gravitationnelles mesurées par les détecteurs sur Terre (LIGO/VIRGO/KAGRA), l’explication la plus probable est que le signal provenait d’un magnétar. A cette distance de 3,6 Mpc, une fusion d'étoiles à neutrons aurait produit un signal d'ondes gravitationnelles très fort dans les interféromètres laser...

Les éruptions géantes de magnétars sont des événements explosifs rares libérant jusqu'à 1047  erg de rayons gamma en moins d'une seconde, provenant de jeunes étoiles à neutrons avec des champs magnétiques allant jusqu'à 1016  G. Seules trois éruptions de ce type ont été observées depuis des magnétars dans notre galaxie et dans le Grand Nuage de Magellan en environ 50 ans. En une fraction de seconde, les éruptions géantes atteignent des luminosités supérieures à 1046  erg s-1 , ce qui les rend potentiellement visibles jusqu'à quelques dizaines de mégaparsecs. Mais à ces distances, ils sont difficiles à distinguer des sursauts gamma (GRB) courts, des événements beaucoup plus lointains et énergétiques (jusqu'à 1053  erg) qui proviennent de fusions d'étoiles à neutrons binaires.

Ces éruptions de magnétar peuvent être très puissantes: l’une d’entre elles, SGR 1806-20, qui avait été détectée en décembre 2004 dans notre galaxie, s’était produite à seulement 30 000 années-lumière de la Terre, elle était suffisamment puissante pour affecter les couches supérieures de l’atmosphère terrestre, comme le font les éruptions solaires.

Mereghetti et ses collaborateurs comparent les flux en fonction du temps des deux magnétars comme si ils étaient à la même distance et montrent que GRB 231115A est un peu plus faible que SGR 1806-20 mais ça se joue à pas grand chose (en échelle logarithmique).

L’éruption détectée par INTEGRAL est la première confirmation ferme d’une éruption de magnétar en dehors de la Voie lactée. Il faut se rappeler que M82 est une galaxie brillante qui est riche en pouponnières stellaires. Dans ces régions, des étoiles massives naissent, vivent une courte vie turbulente et laissent derrière elles une étoile à neutrons. La découverte d’un magnétar dans cette région confirme, si on en doutait encore, que les magnétars sont de jeunes étoiles à neutrons.

Mereghetti et ses collaborateurs, sachant que la galaxie M82 arbore un taux de formation d'étoiles de 7,1 masses solaires par an, calculent quel serait le taux d'occurrence de ce type d'éruptions de magnétars, dont le nombre est directement lié au nombre de nouvelles étoiles massives formées. Ils trouve le chiffre de 0,19 par an (pour ceux qui ont une énergie supérieure à 1045 erg).

Des calculs récents basés sur des simulations hydrodynamiques relativistes montrent que les éjectas qui sont associés à ces éruptions géantes de magnétars sont des sources efficaces pour la nucléosynthèse d'éléments lourds par le processus r. Ainsi, les chercheurs indiquent que les éruptions géantes avec une énergie E supérieure à 1046  erg (chacune produisant jusqu'à 1026  g d'éjecta) peuvent donner via ce canal un rendement d'environ 2 10-9 M par an d'éléments lourds du processus r dans M82.

Il existe un autre sursaut gamma très court apparu dans la zone de M82 et qui avait été proposé comme étant potentiellement une éruption de magnétar, c'est GRB 051103. M82 est l'hôte la plus probable de GRB 051103, bien qu'il soit légèrement en dehors de sa région de localisation. Le taux d’occurrence des éruptions géantes que Mereghetti et ses collaborateurs ont calculé se trouve tout à fait cohérent avec la détection de deux événements dans M82 en 20 ans. Par conséquent, les galaxies à forte formation d'étoiles telles que M82, qui produisent donc une population importante de jeunes magnétars, semblent des cibles prometteuses pour contraindre les caractéristiques des éruptions géantes au moyen de longues observations dédiées avec de futurs instruments à haute sensibilité.

Les éruptions d’une durée aussi brève (de l'ordre d'un dixième de seconde) ne peuvent être captées que par hasard, lorsqu’un instrument d’observation est déjà orienté dans la bonne direction. C’est pourquoi INTEGRAL, avec son champ de vision plus large que 3 000 fois la surface couverte par la Lune, est si important pour ces détections. De plus, son système de traitement automatique des données est très fiable et permet d’alerter immédiatement la communauté. Dans le cas présent, si les observations avaient été effectuées ne serait-ce qu’un jour plus tard, il n’y aurait pas eu de preuves aussi solides qu’il s’agissait bien d’un magnétar et non d’un sursaut gamma ordinaire. Il faudrait pointer la région de M82 en continu, si c'était possible...


Source

A magnetar giant flare in the nearby starburst galaxy M82
Sandro Mereghetti et al.
Nature (24 april 2024)

Illustrations

1. M82 imagée par le télescope Hubble (ESA/NASA)
2. Courbes de lumière X de GRB 231115A obtenues avec INTEGRAL et XMM-Newton (Sandro Mereghetti et al.)
3. Sandro Mereghetti

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