jeudi 2 mai 2024

L'origine des planètes errantes en couple (les JuMBOs)


L'acronyme JuMBOs signifie Jupiter Mass Binary Objects (objets binaires de masse Jupiter). Il s'agit de couples de planètes errantes qui se tournent autour l'une de l'autre qui ont été détectées avec le télescope Webb. Ces systèmes laissent perplexe les astronomes qui se demandent quelle pourrait bien être leur voie de formation. Aujourd'hui, une équipe a produit une série de simulations à N corps et montrent que ces JuMBOs peuvent apparaître lorsque deux planètes géantes sont éjectées lors de la rencontre fortuite avec une étoile qui passait par là... L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

La découverte et l'étude de plus de 5 000 exoplanètes au-delà de notre système solaire ont dévoilé une remarquable variété d'exoplanètes et ont montré que notre propre système planétaire est loin d'être typique. En particulier, les planètes géantes qui ont été découvertes montrent une population très déroutante, remettant en question la théorie conventionnelle de la formation des planètes géantes.

Premièrement, les « Jupiters chauds », qui furent les premières exoplanètes découvertes autour des étoiles de la séquence principale, sont remarquablement proches de leur étoile hôte et bien à l'intérieur de la ligne de glace. Deuxièmement, beaucoup de ces Jupiters chauds évoluent sur des orbites très excentriques et affichent des inclinaisons relatives importantes, en contradiction avec les orbites coplanaires circulaires des planètes géantes de notre propre système solaire. Troisièmement, la détection récente de planètes géantes en orbite autour d’étoiles de faible masse suggère que la formation de planètes géantes est efficace, défiant ainsi la théorie de l’accrétion de noyau. Quatrièmement, cette théorie est encore remise en question par l'observation de naines brunes et de planètes sur des orbites extrêmement larges, supérieures à 100 UA, approchant même 1000 UA et peut-être les dépassant. Enfin, la présence de planètes flottantes (errantes) constitue également une autre énigme pour cette théorie de la formation des planètes géantes.
Et très récemment, le mystère s'est encore approfondi avec la découverte en 2023 par Pearson et al. avec le télescope spatial Webb qu'une fraction de ces planètes errantes (en grande partie des géantes de type Jupiter) se déplacent en couple, constituant ainsi une nouvelle population de planètes binaires dont l’existence ne s’intègre pas facilement dans la théorie actuelle de la formation des planètes géantes (l'accrétion du noyau). Ces couples errants ont été appelés des JuMBOs.



La théorie alternative de la formation des planètes géantes, le modèle d'instabilité gravitationnelle des disques, peut former efficacement des planètes géantes au-delà de 50 UA. Lorsque les jeunes disques protoplanétaires sont suffisamment massifs, ils sont sujets à une instabilité gravitationnelle et développent des bras spiraux. Si le refroidissement des disques est suffisamment rapide, ces spirales peuvent se fragmenter et s'effondrer directement pour former des planètes géantes. Avec des conditions typiques de disque protoplanétaire, ce refroidissement rapide peut être obtenu au-delà de 50 UA. Les amas s'effondrent rapidement et forment des planètes avec plusieurs masses de Jupiter. Bien que cette théorie ait ses propres défis, en particulier dans l'explication des planètes telluriques proches de l'étoile, elle peut former efficacement plusieurs planètes géantes au-delà de 50 UA aux premiers stades d'évolution du disque.

Mais il reste difficile de tester ces deux modèles de formation sur des exoplanètes matures vieilles de plusieurs milliards d’années. Une voie d'exploration prometteuse a émergé qui va au-delà des mécanismes intrinsèques : l'influence des perturbations externes sur les architectures planétaires. Les systèmes planétaires naissent probablement autour d'étoiles situées dans de jeunes amas d’étoiles. Les interactions gravitationnelles fréquentes entre les étoiles sont monnaie courante dans des environnements stellaires aussi denses, et elles peuvent potentiellement remodeler les systèmes planétaires au fil du temps. Cette interaction dynamique dans des amas surpeuplés offre une perspective alternative de la formation planétaire et des configurations orbitales des planètes aux premiers temps de formation, de quoi combler certaines des lacunes de notre compréhension.

C'est dans cette voie que Yihan Wang (université du Nevada) et ses collaborateurs ont travaillé avec leurs simulations dynamiques. Ils ont étudié, à l'aide de simulations dédiées à N corps, la possibilité qu'un survol rapproché d'une étoile puisse entraîner l'éjection de deux planètes sur des orbites extérieures, qui resteraient ensuite liées l'une à l'autre pour former un couple de type JuMBO.

Les chercheurs montrent dans leurs simulations que les JuMBOs pourraient résulter de l'éjection de deux planètes géantes si les deux planètes sont presque alignées lors de l'approche au plus près de l'étoile perturbatrice. Ces JuMBOs éjectés ont généralement un demi-grand axe moyen environ trois fois supérieur à la séparation orbitale au sein de leur système planétaire d'origine et une excentricité élevée qui les distingue de celles formées primordialement. Wang et ses collaborateurs estiment le taux de formation de JuMBO par système planétaire dans des amas typiques et densément peuplés, qui révèle une dépendance environnementale significative.

Selon les astrophysiciens, dans les amas denses, ce taux de formation peut atteindre quelques pour cent pour les systèmes planétaires étendus. Une analyse comparative des taux et des propriétés de JuMBO avec les observations actuelles et futures du JWST dans divers environnements promet d'offrir un aperçu des conditions dans lesquelles ces planètes géantes se sont formées en disques protoplanétaires, imposant ainsi des contraintes aux théories de la formation des planètes géantes.

Les rencontres dynamiques dans des environnements stellaires en interaction peuvent donner naissance à une variété d’architectures planétaires qui, collectivement, seraient difficiles à expliquer autrement avec les modèles conventionnels de formation planétaire. Les simulations dédiées à N corps montrent de manière robuste que les survols rapprochés d'étoiles dans des amas stellaires denses conduisent inévitablement à une fraction importante de planètes binaires errantes, en plus des planètes errantes uniques déjà connues.

Et les propriétés des JuMBOs peuvent fournir des informations sur leurs configurations initiales dans les disques protoplanétaires. Wang et ses collaborateurs quantifient l'apparition des JuMBOs en fonction du type d'environnement stellaire et de la configuration planétaire d'origine et ils arrivent à des prédictions sur leurs propriétés qui pourront être testées avec les futures observations du télescope Webb.

La formation de JuMBO à partir d'éjections de planètes pourrait ainsi largement expliquer les candidats rapportés en 2023 dans l'amas du Trapèze, à condition qu'il y existe un nombre suffisant de systèmes avec plusieurs planètes géantes en orbite à des distances supérieures à quelques dizaines d'unités astronomiques. Avec beaucoup plus de données attendues dans les années à venir, ces résultats permettront de tester davantage ce scénario de formation dynamique. Une caractérisation des propriétés orbitales des JuMBOs et de leur fraction relative par rapport à celle des planètes errantes (seules) de masse de Jupiter permettra aussi de sonder les architectures planétaires primordiales et, ainsi, d'aider à faire la distinction entre les théories concurrentes de la formation des planètes géantes de type Jupiter.


Source

Free-floating binary planets from ejections during close stellar encounters
Yihan Wang et al.
Nature Astronomy (19 april 2024)

Illustrations

1.Vue d'artiste de la création d'un JuMBO (Robert Lea)
2. Schéma du processus de formation d'un couple errant de type JuMBO (Wang et al.)
3.Yihan Wang 

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