mercredi 15 mai 2024

Une planète détectée dans la binaire GJ65 par astrométrie interférométrique depuis le sol


La collaboration GRAVITY, qui exploite l'interférométrie optique avec le Very Large Telescope vient de découvrir indirectement la présence d'une planète de la taille de Neptune en orbite au sein de la binaire naine rouge la plus proche du Soleil : GJ 65, située à 2,67 pc (8,7 années-lumière). Ils publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.

Les étoiles naines rouge (de type M) sont des cibles favorables dans la recherche de signatures de planètes grâce à leurs faibles masses (0,1 − 0,25  M⊙ ), parce que la présence de planètes induit un mouvement réflexe significativement plus important sur l'étoile que pour les étoiles semblables au Soleil. Cela en fait des cibles idéales à la fois lorsqu'on cherche à mesurer une vitesse radiale ou bien lorsqu'on cherche à mesurer précisément les mouvements stellaires par astrométrie. Dans notre proche voisinage, les étoiles naines M représentent 80 % de la population stellaire. La vitesse radiale et l’astrométrie sondent des espaces de paramètres complémentaires. Les mesures de vitesse radiale sont plus sensibles aux planètes proches, mais sont finalement limitées en précision, tandis que les mesures astrométriques sondent la présence de planètes à des distances plus grandes (généralement de 0,1 à quelques unités astronomiques) et sont moins sensibles à l'activité des éruptions de l'étoile. De plus, dans le cas des étoiles de type M, la contribution au flux des éruptions diminue de deux ordres de grandeur dans la bande K (2,0 μm − 2,4 μm, IR) par rapport à l'UV et à l'optique, ce qui privilégie le domaine infrarouge pour l'astrométrie de précision sur ces objets. La signature astrométrique typique d'une planète avec quelques masses terrestres sur une orbite de 0,1 UA autour d'une naine M située à 1 pc est de l'ordre de 1 à 10 μs d'arc, qui est en dessous de la limite actuelle de l'instrumentation astrométrique spatiale et terrestre.

Mais l'astrométrie avec interférométrie propose une technique puissante pour surveiller les orbites stellaires avec une très haute précision. Le plein potentiel de l'interférométrie à double champ a été atteint avec GRAVITY, atteignant régulièrement une précision de quelques 10 μs d'arc sur des télescopes de classe 8 m, pour des objets aussi faibles qu'une magnitude 19,5 (Collaboration GRAVITY 2018, 2022).

GJ65 AB est  l'une des plus proches voisines du Soleil et est le prototype des étoiles UV de type Ceti. La séparation des deux composantes de la binaire est de 5,4 UA, qui est suffisamment large pour négliger les interactions magnétiques et de marée entre les étoiles, mais sa période orbitale P  = 26,38 ans est suffisamment courte pour permettre une détermination extrêmement précise des paramètres orbitaux. Cela fait de GJ65 une cible privilégiée pour déterminer les masses des deux composantes stellaires. Les propriétés des étoiles sont très similaires à celles de Proxima Centauri. Les composantes A et B dans GJ65 ont des masses presque identiques (≃0,12  M⊙). Les mesures de vitesse radiale n'ont pas permis de détecter une éventuelle planète, en raison de la rotation rapide des deux étoiles et de leur forte variabilité lors d'événements d'éruptions, qui limitent la précision des mesures spectroscopiques de vitesse radiale. En astrométrie, des indications de la présence d'un troisième corps provenant de l'anomalie du mouvement propre avaient été trouvées à partir des données Gaia DR2 et EDR3, mais sans signature planétaire claire (Kervella et al.. 2019, 2022 ). 


Comprendre la formation des planètes dans des systèmes binaires proches reste un défi et les modèles montrent qu'elle doit être entravée par l'excitation dynamique et l'instabilité gravitationnelle. Pour les astrophysiciens, il est impératif d’obtenir des mesures précises de l’orbite stellaire et de déterminer la présence de planètes potentielles pour tester ces modèles.

Les astrophysiciens de la grande collaboration GRAVITY se sont donc intéressés à cette binaire de type M proche, GJ65 AB, pour la surveiller sur une longue durée (entre 2016 et 2023) afin de reconstruire ses paramètres orbitaux et déceler une éventuelle anomalie qui signerait la présence d'un troisième corps. Les résidus de l’ajustement orbital à deux corps permettent de rechercher la présence de compagnes en orbite autour de l’une des deux étoiles grâce au mouvement réflexe qu’elles doivent imprimer sur l’astrométrie différentielle du système A – B.

Et la pêche a été bonne puisque dans les mouvements du couple d'étoiles, les astrophysiciens de GRAVITY détectent une planète candidate de la masse de Neptune avec une période orbitale de 156 ± 1 jours, et une masse de 36 ± 7  M⊕ . L'orbite la mieux adaptée se situe dans la région de stabilité dynamique de la paire d'étoiles. Elle a une faible excentricité, (comprise entre 0,1 et 0,3), et le plan de l'orbite planétaire a une inclinaison modérée à élevée (i  > 30°) par rapport à la paire d'étoiles. Les chercheurs précisent que des observations supplémentaires sont nécessaires pour confirmer ces valeurs.

L'exoplanète candidate dans GJ65 est aujourd'hui la deuxième plus proche après le système d'exoplanètes de Proxima Centauri. Elle offre ainsi des opportunités uniques pour une caractérisation plus approfondie. Les paramètres orbitaux de GJ65AB permettent de dériver un demi-grand axe critique de 0,46 UA. L'orbite de l'exoplanète candidate se situe dans cette région, avec un demi-grand axe a  ≃ 0,283 UA pour la plus grande valeur déterminée. Selon les astrophysiciens, Cette candidate aurait ainsi pu se former et évoluer dans la zone de stabilité du système binaire.
Il faut se rappeler que la formation de planètes dans des binaires de séparation relativement courte (<10 UA) est un défi en raison des interactions dynamiques qui existent dans ces systèmes et de la troncature de marée des disques protoplanétaires dans les premières phases de formation, car une troncature de disque sous la ligne de glace empêche la formation de planètes géantes. Dans GJ65, la ligne de glace est située bien à l'intérieur de la région de stabilité du système binaire (à 0,04 UA, comme l'avaient montré Ida et Lin en 2005). C'est donc a priori compatible avec la formation d'une planète de type Neptune dans cette région.

Cette détection indirecte fournit donc un exemple important pour étudier le mécanisme de formation de ces systèmes. Fait intéressant, GJ65AB partage de fortes similitudes avec Alpha Centauri AB du point de vue de la stabilité, puisque ces deux systèmes partagent un rapport de masse et une excentricité presque identiques. En revanche, GJ65 a  a un demi grand-axe de 5,45 UA) qui est est plus faible d'un facteur 4,2 par rapport à celui de Alpha Cen AB (23,52 UA), ce qui pourrait servir de base à des études théoriques de stabilité à long terme de ces deux objets.

D'autre part, l'inclinaison de l'orbite de la planète peut être comparée à l'inclinaison des axes de rotation de chacune des étoiles du système et à celle de l'orbite des étoiles binaires. Les inclinaisons des axes de rotation de GJ65A et GJ65B ont été mesurées par observations spectro-polarimétriques par Barnes et al. en 2017, qui ont dérivé des inclinaisons de 60 ± 6° pour l'étoile A et 64 ± 7° pour l'étoile B (modulo 180°). Ils peuvent donc être soit i  = 60°, soit i  = 180 − 60 = 120°. Le premier scénario ( i  = 60°) indiquerait un désalignement de ≈180° entre le spin et le plan orbital du système binaire, c'est-à-dire une configuration orbitale rétrograde. C'est particulièrement improbable dans GJ65AB, étant donné que les deux étoiles sont en rotation rapide avec des inclinaisons d'axe de rotation constantes. Les astrophysiciens privilégient donc une inclinaison de 120° pour les axes de rotation stellaire, car elle correspond à un alignement spin-orbite de chaque étoile et du système binaire. Dans cette configuration, l'inclinaison du plan orbital de la planète (90°) par rapport au plan équatorial de l'étoile binaire et des deux étoiles est Δi  ≈ 30 ± 10°. Une inclinaison relative aussi élevée est connue dans plusieurs systèmes multi-planétaires comme, par exemple, π Men (De Rosa et coll. 2020 ;Hatzes et coll. 2022 ), ν Et (McArthur et coll. 2010 ) ou Kepler-108 (Mills & Fabrycky 2017). Bien que la configuration soit différente dans GJ65, avec deux étoiles A et B au lieu de plusieurs planètes, la forte excentricité de leur orbite (e  ≈ 0,62 ), selon les chercheurs, pourrait induire l'effet Kozai-Lidov, augmentant ainsi l'inclinaison de la planète.


L'âge du système a été estimé à environ 1 Gigannée à partir des isochrones masse-luminosité par Kervella et al. en 2016, basées sur les modèles évolutifs des étoiles de faible masse. Étant donné que ce système est relativement ancien, les émissions intrinsèques de la planète devraient être extrêmement faibles. Les astrophysiciens calculent la luminosité de la planète pour savoir si elle pourrait être visible directement. La luminosité est donnée par le contraste de la lumière réfléchie par l'étoile A, dépendant donc de l'albedo (estimé à 0,4), de la phase orbitale, de la séparation projetée (90 ms d'arc) et du rayon estimé de la planète (7  R⊕). Ils trouvent une valeur de contraste de 10-6.3, une valeur très faible qui est à la limite des capacités d'observation actuelles, mais pourrait être une cible de choix pour les observations directes à contraste élevé avec VLTI/GRAVITY+ et son optique adaptative extrême prévue dans un futur proche, ainsi que les prochains instruments de l'ELT.

Les données astrométrique Gaia DR4 seront bien sûr utiles pour contraindre davantage ce système et potentiellement fournir une astrométrie absolue pour savoir laquelle des deux étoiles héberge la planète candidate. Mais Gaia fonctionne dans le visible et les performances astrométriques peuvent être plus affectées par les éruptions dans le visible que les observations infrarouges. 

Ces observations démontrent la capacité de l'astrométrie interférométrique à atteindre une précision de l'ordre de la microseconde d'arc dans le régime à angle étroit pour la détection des planètes par mouvement réflexe depuis le sol. Cette capacité inégalée offre de nouvelles perspectives et des synergies potentielles avec le télescope spatial Gaia dans la recherche d'exoplanètes de faible masse, jusqu'à une masse de Neptune, dans le voisinage solaire, jusqu'à 25 parsecs.

Source

Astrometric detection of a Neptune-mass candidate planet in the nearest M-dwarf binary system GJ65 with VLTI/GRAVITY
Illustrations

1. Vue d'artiste d'une planète dans un système binaire de naines rouges (NASA)
2. Orbite stellaire déterminée par les auteurs (Collaboration GRAVITY)
3. Paramètres orbitaux déduits pour la planète (Collaboration GRAVITY)
4. Architecture du système binaire, la planète se trouvant autour de l'une ou l'autre des étoiles (Collaboration GRAVITY)

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