23/04/25

FCC 224, l’autre galaxie sans matière noire


Une équipe de chercheurs vient de montrer l’existence d’une nouvelle galaxie très déficiente en matière noire qui possède des caractéristiques très similaires à d’autres galaxies pauvres en matière noire déjà identifiées (DF2 et DF4). Ces caractéristiques communes signalent l'existence d'une classe de galaxies déficientes en matière noire jusqu'à présent non reconnue. L’étude est publiée dans Astronomy&Astrophysics

La découverte de galaxies ultra-diffuses (UDG) quiescentes et déficientes en matière noire avec des amas globulaires (GC) surlumineux a remis en question les modèles de formation des galaxies dans le cadre du paradigme cosmologique ΛCDM. Auparavant, de telles galaxies n'avaient été identifiées que dans le groupe de NGC 1052, ce qui soulève la possibilité qu'elles soient le résultat de processus uniques et spécifiques au groupe, et limite leur signification plus large. En effet, les galaxies naines DF2 et DF4 possèdent de nombreuses caractéristiques inhabituelles, la plus significative étant leur absence totale apparente de matière noire dans leurs régions internes. Ces caractéristiques ont suscité de nombreuses théories sur leurs origines depuis 2018. Parmi ces scénarios, on trouve celui de la « naine à balles » proposé par Silk (2019) et van Dokkum et al. (2022), dans lequel des interactions à grande vitesse séparent la matière noire et la matière baryonique tout en générant la pression intense nécessaire à la formation d'amas globulaires exceptionnellement brillants.

Car DF2 et DF4 abritent des amas globulaires étonnamment surlumineux, avec une fonction de luminosité de l'amas globulaire (GCLF) qui les distingue des galaxies naines normales. La prédiction de ce scénario est que huit interactions de type « bullet dwarf » produisant des UDGs déficientes en matière noire devraient se produire dans un volume de 20 Mpc de côté. Les galaxies formées par ce processus constitueraient probablement une nouvelle classe de galaxies naines. Cependant, jusqu'à présent, de telles galaxies n'ont pas été identifiées. Jusqu’à aujourd’hui. Maria Luisa Buzzo (Swinburne University) et ses collaborateurs ont cherché à étudier le contenu en matière noire de FCC 224 et à explorer ses similarités avec les naines du groupe NGC 1052: DF2 et DF4, afin de déterminer si elle appartient ou non à la même classe de galaxies UDG déficientes en matière noire.

La première indication d'un lien entre FCC 224 et les galaxies déficientes en matière noire du groupe de NGC 1052 est venue de sa population d’amas globulaires inhabituellement brillants, une caractéristique qui a suscité un regain d'intérêt et des observations de suivi avec le télescope spatial Hubble en 2024 et 2025. Ces études ont mis en évidence des similitudes frappantes entre FCC 224 et les galaxies du groupe de NGC 1052, suggérant des éléments d'une origine commune. FCC 224 répond à la définition d'une UDG dans les limites des incertitudes, avec un rayon effectif de Re = 1,89 ± 0,01 kpc, et une luminosité de surface centrale de 23,97 ± 0,03 mag arcsec-2. Sa masse stellaire est de log(M⋆/M⊙) = 8,24 ± 0,04 et on estime qu'elle héberge 13 ± 1 amas globulaires (Tang et al. 2025). 

Compte tenu de ces caractéristiques particulières, FCC 224 pourrait être un nouvel exemple de galaxie naine sans matière noire. Buzzo et al. ont utilisé la spectroscopie à haute résolution du Keck Cosmic Web Imager (KCWI) pour déterminer directement le contenu en matière noire de FCC 224 et étudier ses similarités avec DF2 et DF4. En analysant leur cinématique, leurs populations stellaires et leur système d’amas, ils ont exploré la possibilité que ces galaxies forment une nouvelle classe de galaxies. Et Buzzo et ses collaborateurs trouvent que FCC 224 présente un ensemble distinct de caractéristiques partagées avec DF2 et DF4, notamment une rotation lente et prolate, une quiescence dans des environnements à faible densité, ainsi qu’une formation simultanée d'étoiles et d’amas globulaires, des gradients de population stellaire plats, une fonction de luminosité de d’amas globulaires lourde au sommet, et des amas globulaires qui apparaissent monochromatiques. Pour les chercheurs, ce cadre de diagnostic devrait permettre d'identifier d'autres exemples et soulève en tous cas de nouvelles questions pour les modèles de formation des galaxies dans le cadre de la cosmologie ΛCDM. 

FCC 224 est bien une galaxie déficiente en matière noire, avec une dispersion de vitesse stellaire de σ=7.82 (-4.36 , +6.74) km s-1, significativement plus bas que les 25 km s-1 prédits pour une galaxie naine typique de sa masse stellaire. La masse dynamique dans un rayon effectif, estimée à log(Mdyn/M⊙) = 7.9 ± 0.4, est cohérente avec sa masse stellaire dans le même rayon, et qui vaut log(M⋆/M⊙) = 7.94 ± 0.04, ce qui implique une fraction de matière noire négligeable dans cette région. La population stellaire de FCC 224 est uniformément vieille et pauvre en métaux (c'est-à-dire des profils d'âge et de métallicité plats), avec un âge pondéré par la masse qui est de 10,2 ± 0,5 Gigannées et une métallicité [M/H] = -1,3 ± 0,3 dex, correspondant étroitement (et curieusement) à ceux de ses amas globulaires.
De plus, la galaxie héberge un système d’amas globulaires inhabituel, incluant une fonction de luminosité lourde au sommet et des amas monochromatiques, similaires à ceux de DF2 et DF4. FCC 224 tourne lentement (7,5 ± 3.0 km s-1) et présente une rotation prolate. Elle réside dans un environnement de faible densité, comme le confirme l'absence de gaz et de raies d'émission. 


Ces résultats alignent FCC 224 avec DF2 et DF4 et signalent l'existence d'une nouvelle classe de galaxies naines déficientes en matière noire, suggérant une pertinence cosmologique plus large qui remet en question les modèles de formation des galaxies avec le paradigme ΛCDM et fournissant un cadre pour identifier d'autres galaxies sans matière noire. 

Source

A new class of dark matter-free dwarf galaxies ?
Maria Luisa Buzzo et al.
A&A, 695, A124 (12 march 2025)


Illustrations

1.Image et modèle de FCC 224 ( Buzzo et al.)
2. Maria Luisa Buzzo

17/04/25

Le système de galaxies satellites d'Andromède très fortement asymétrique


Une équipe d'astrophysiciens a caractérisé l'asymétrie du système d'Andromède et a testé sa concordance avec les prévisions du modèle standard. Toutes les 37 galaxies satellites d'Andromède, sauf une, sont situées à moins de 107° de notre Galaxie vu depuis le centre d'Andromède. Or, dans les simulations cosmologiques fondées sur le modèle standard, moins de 0,3 % des systèmes similaires à Andromède présentent une asymétrie comparable. Conjointement avec son plan de galaxies satellites, cela montre que le système d'Andromède paraît aberrant dans le paradigme cosmologique standard, et ça remet encore plus en question notre compréhension de la formation des structures à petite échelle. L'étude est parue dans Nature Astronomy.

La distribution spatiale des galaxies fournit des informations cruciales en cosmologie et en physique de la matière noire. Selon le modèle cosmologique standard, les petites galaxies fusionnent au fil du temps selon un processus chaotique pour former des galaxies plus grandes, laissant derrière elles des essaims de galaxies naines peu lumineuses qui orbitent autour de galaxies hôtes massives selon un arrangement quasi aléatoire. Mais ce que montrent Kosuke Jamie Kanehisa de l'Institut Leibniz d'astrophysique de Potsdam et ses collaborateurs, c'est que les galaxies satellites de la galaxie d'Andromède (M31) ont des propriétés surprenantes et jusqu'à présent inexpliquées. 

Au lieu d'être réparties aléatoirement autour de leur galaxie hôte, comme le prédit le modèle cosmologique standard, plus de 80 % de ces galaxies naines sont concentrées d'un côté de la galaxie d'Andromède. Plus précisément, tous les satellites d'Andromède, sauf un, se situent à moins de 107 degrés de la ligne pointant vers la Voie lactée, une région qui ne couvre pourtant que 64 % des environs de la galaxie hôte. Jusqu'à présent, on ignorait si cette configuration particulière remettait en cause de manière significative le modèle cosmologique actuel ou si elle s'inscrivait dans la fourchette de la variance cosmique. Mais cette asymétrie a persisté et s'est même accentuée à mesure que des galaxies moins lumineuses ont été découvertes et que leurs distances ont été affinées.
Les simulations cosmologiques modernes, qui suivent l’évolution des galaxies au cours du temps cosmique, fournissent un outil précieux pour prédire et comparer les systèmes de galaxies dans le cadre cosmologique standard. Kanehisa et ses collaborateurs ont utilisé des simulations pour rechercher des galaxies hôtes de type Andromède et analyser la distribution spatiale de leurs galaxies naines satellites à l'aide de mesures pour quantifier l'asymétrie.
La comparaison de la configuration observée d'Andromède avec ces analogues simulées révèle que la distribution de ses satellites est extrêmement rare. Il faut examiner plus de trois cents systèmes simulés pour en trouver un seul dont l'asymétrie soit aussi extrême que celle observée. Et l'asymétrie d'Andromède devient encore plus déroutante lorsqu'elle est combinée à une autre caractéristique inhabituelle : le fait que la moitié de ses satellites co-orbitent dans une structure fine et plane.

Pour Kanehisa et ses collaborateurs, la formation de cette structure anisotrope autour de M31 pose un mystère qui, compte tenu de sa rareté parmi les analogues simulés, nécessite une histoire évolutive unique pour être expliquée. Et compte tenu de l'excellent alignement de l'asymétrie du système d'Andromède avec notre Galaxie, ils posent la question de savoir si la Voie lactée pourrait potentiellement jouer un rôle dans le maintien du déséquilibre observé. Si tel était le cas, en supposant que les deux galaxies hôtes du Groupe local aient une masse similaire, les satellites de la Voie lactée devraient également subir un effet comparable dû au potentiel de M31. Mais, bien que difficile à déterminer de manière fiable en raison de la couverture inégale du ciel et à l'obscurcissement dû au disque galactique, aucun degré notable d'asymétrie n'a été signalé pour l'instant dans la distribution des satellites de la Voie lactée. Il est également peu probable selon les chercheurs que les effets de marée soient suffisamment puissants pour reproduire l'asymétrie qui est observée. Néanmoins, comme l'alignement de 6° entre le cône d'asymétrie maximale le plus significatif de M31 et la direction de la Voie lactée se produit avec une probabilité de seulement 0,27 % si l'orientation de l'asymétrie observée est aléatoire, les astrophysiciens estiment que notre Galaxie joue un rôle important dans la formation ou l'évolution du système déséquilibré d'Andromède.

Il faut savoir qu'une autre équipe a exploré en 2020 la possibilité d'une accrétion unique d'une association bien peuplée de satellites formant le système actuel d'Andromède. Mais, compte tenu de la large distribution radiale observée et de la gamme d'énergies orbitales, ils ont constaté que la structure asymétrique résultante se dissoudrait probablement dès 500 millions d'années plus tard. Dans ce scénario, l'asymétrie importante observée dans le système d'Andromède doit être dominée par une population dynamique de satellites jeunes. Un excès similaire de satellites récemment accrétés pourrait également exister autour de la Voie lactée comme l'ont montré Hammer et al. et Taibi et al. il y a quelques années.
Kanehisa et ses coauteurs notent que bien que le faible signal asymétrique dans les hôtes appariés simulés soit effectivement dû à des satellites récemment accrétés à partir de filaments proches, de tels processus sont déjà inclus de manière auto-cohérente dans les simulations cosmologiques utilisées. De plus, si l'asymétrie observée était due à des satellites récemment tombés, la nature bien peuplée de la distribution asymétrique des satellites de M31 impliquerait une pénurie catastrophique de satellites avec un temps de chute plus ancien que l'échelle de temps de dispersion de l'asymétrie.

Contrairement à l'omniprésence apparente des plans corrélés de satellites dans notre voisinage cosmique, les échantillons statistiques d'associations de naines dans l'Univers local montrent généralement un degré de déséquilibre cohérent avec les simulations. Pour Kanehisa et al., cela renforce la nécessité d'une histoire évolutive unique pour M31 dans un contexte ΛCDM. Néanmoins, ils soulignent que les populations limitées de satellites dans ces échantillons peuvent masquer des systèmes individuels qui sont comparables à l'asymétrie du groupe d'Andromède. Des relevés de nouvelle génération avec des limites de luminosité de surface plus basses seront nécessaires pour déterminer de manière concluante si l'incidence de systèmes de satellites individuels hautement asymétriques correspond également aux attentes cosmologiques.

À l'heure actuelle, aucun mécanisme de formation connu ne peut expliquer l'asymétrie collective du système d'Andromède. En conjonction avec le plan des galaxies satellites de M31, qui présente un degré de tension similaire avec les simulations, ces nouveau résultats présentent le système de galaxies satellites d'Andromède comme une valeur aberrante frappante par rapport aux attentes du modèle cosmologique ΛCDM.
Cela soulève évidemment des questions quant à savoir si l’histoire évolutive d’Andromède est particulièrement anormale ou bien si notre compréhension de la formation des galaxies à petite échelle est incomplète.

En conclusion, on rappellera que bien que ces résultats remettent en question les théories cosmologiques actuelles, ils dépendent fortement de la précision des simulations sous-jacentes, qui sont limitées par la qualité de leur modélisation de la physique stellaire et de l’évolution des galaxies. Les prochaines étapes vont donc consister à déterminer si la configuration d’Andromède est vraiment une valeur aberrante unique ou bien si des systèmes de galaxies anisotropes similaires existent ailleurs. Le télescope Euclid devrait permettre d'avancer dans cette recherche. 


Source

Andromeda’s asymmetric satellite system as a challenge to cold dark matter cosmology
Kanehisa, K.J., Pawlowski, M.S. et N. Libeskind.  
Nature Astronomy (11 april 2025).


Illustration

Vue latérale de la distribution asymétrique des satellites d'Andromède.

12/04/25

L'étoile à neutrons la plus légère connue peut avoir été produite par une supernova de type II


Le pulsar PSR J0453+1559 a été découvert en 2015, il est remarquable car il s'agit d'un système binaire rare composé de deux étoiles à neutrons. Ce qui a rendu PSR J0453+1559 encore plus surprenant, ce sont les masses des étoiles à neutrons. Alors que la première étoile a une masse de 1,559 masses solaires, la seconde atteint seulement 1,174 M☉, ce qui en fait l'étoile à neutrons la plus petite connue, une masse si faible qu'elle est difficile à expliquer. Une équipe d'astrophysiciens ont effectué des simulations et arrivent à produire une étoile à neutrons de 1,192 masses solaires... on y est presque. L'étude est parue dans Physical Review Letters.

Non seulement la petite étoile à neutrons du couple a la masse la plus faible de toutes les étoiles à neutrons observées à ce jour, mais en plus, la différence de masse entre les deux étoiles à neutrons est tout à fait inhabituelle, car les binaires d'étoiles à neutrons ont historiquement été observées avec des masses assez similaires. Bernhard Müller (Monash University, Australie) et ses collaborateurs ont adopté une approche computationnelle pour comprendre comment une supernova a pu former une étoile à neutrons d'aussi faible masse. 

C'est la masse initiale d'une étoile qui va déterminer son destin. La théorie générale pour les étoiles de masse comprise entre 8 M☉ et 20 M☉ est que, tout au long de leur vie, elles subissent de multiples cycles de combustion d'éléments de plus en plus lourds, commençant par leurs réserves initiales d'hydrogène et d'hélium, puis formant finalement un noyau de fer et une structure en oignon composée de différentes couches d'éléments de plus en plus légers quand on va vers l'extérieur de l'enveloppe. Une fois que le noyau atteint la masse limite de Chandrasekhar d'environ 1,4 M☉, il s'effondre et produit une supernova à effondrement de cœur (de type II). Les neutrinos emportent alors très rapidement une grande quantité d'énergie hors du noyau, amplifiant l'effondrement gravitationnel. L' étoile à neutrons résultante a généralement une masse qui ne dépasse pas environ 2 M☉, une valeur théorique obtenue via l'équation d'état de la matière nucléaire ultra-dense des étoiles à neutrons (une relation décrivant le comportement de la pression et de la densité dans des conditions extrêmes) et qui est confirmée observationnellement pour l'instant.

En revanche, l'estimation de la masse minimale d'une étoile à neutrons est complexe, car la formation des étoiles à neutrons est encore mal comprise. Par exemple, les détails de l'explosion d'une supernova, comme la quantité de masse éjectée et celle restante sont mal contraints. Le rôle des champs magnétiques dans leur formation est également un sujet d'étude actuel. 

Des simulations d'explosions de supernovas avec une physique précise, notamment la prise en compte de la physique des neutrinos qui entre en jeu ici peuvent ainsi aider les astrophysiciens à déterminer quel type de progénitrice et quel scénario d'explosion pourraient produire une étoile à neutrons aussi légère que celle de PSR J0453+1559. 

Müller et ses collaborateurs ont effectué des simulations tridimensionnelles de supernovas à effondrement de cœur sur une gamme de progénitrices potentielles dont les masses s'étendent de 9,45 M☉ à 9,95 M☉. Après des tests initiaux, ils ont sélectionné cinq candidates prometteuses parmi cette gamme. Après avoir reproduit une supernova avec chacune de ces progénitrices, ils ont déterminé la masse de l'étoile à neutrons résultante. Parmi leurs cinq modèles, celui de 9,9 M☉ semblait le plus prometteur, produisant une masse de 1,313 M☉ (masse baryonique : neutrons + protons). La conversion de cette valeur en masse gravitationnelle (c'est à dire la masse décrite par les observations de 2015, qui doit être plus faible en raison de l'énergie perdue par liaison lors de la formation de l'étoile à neutrons) donne une valeur de 1,192 M☉. On n'arrive pas à 1,174 M☉, mais c'est tout de même beaucoup plus proche que ce à quoi on pouvait s'attendre.
L'un des avantages des simulations 3D plutôt que 2D, c'est qu'une explosion peut présenter une asymétrie qui mieux décrite en trois dimensions. Lorsqu'une supernova à effondrement de cœur explose, l'étoile à neutrons produite par l'explosion est « éjectée » à grande vitesse. Avec une masse minimale de 1,192 M☉, Müller et al. ont obtenu une éjection à environ 100 km/s pour l'étoile à neutrons, ce qui correspond approximativement à l'échelle de l'éjection attendue pour une supernova de ce type. 
Les chercheurs ont donc établi un nouveau record pour la plus faible masse d'étoile à neutrons, obtenue grâce à des simulations 3D de supernovas intégrant une physique précise des neutrinos. 

Cette étude est importante car elle contribue à apaiser certaines tensions entre théorie et observation. Les supernovas à effondrement de coeur produisent probablement aussi des étoiles à neutrons de faible masse, soit à la place , soit en complément des supernovas à capture d'électrons, un type particulier de supernovas qui sont souvent produites par des systèmes binaires dont on pensait qu'ils produisaient des étoiles à neutrons de faible masse. Müller et ses collaborateurs rappellent qu'il existe toujours une tension de 2σ par rapport à la masse de 1,174 M⊙, et la nature d'étoile à neutrons de la petite composante du système binaire a été remise en question en 2019, par Tauris et al. (voir ici) qui montraient qu'il pouvait s'agir d'une naine blanche. Mais pour eux, la tension est si faible que des variations systématiques ou stochastiques mineures dans l'évolution de l'étoile progénitrice et la dynamique des supernovas pourraient étendre la gamme des masses des étoiles à neutrons d'environ 0,01M⊙ et résoudre cette divergence. En outre, les perturbations convectives de la graine dans l'étoile progénitrice pourraient entraîner un début légèrement plus précoce de l'explosion et réduire encore la masse de l'étoile à neutrons, selon les chercheurs.

L'interprétation de l'étoile à neutrons présente l'avantage que le kick émerge naturellement d'une simulation en 3D, alors que l'interprétation d'une naine blanche repose sur une estimation optimiste de l'anisotropie de la quantité de mouvement de l'éjecta pour expliquer le kick observé. Globalement, les
nouvelles simulations de Müller et al. apportent plusieurs informations importantes. Premièrement,
la nouvelle limite de masse atténue les tensions entre les modèles 3D et plusieurs étoiles à neutrons de faible masse qui ont été observées entre 1,21 et 1,22  M⊙. Deuxièmement, contrairement à ce que l'on pensait depuis longtemps, les masses les plus légères des étoiles à neutrons ne semblent pas forcément produites par des supernovas à capture d'électrons, mais peuvent l'être par des supernovas à effondrement de coeur. De plus, on constate que les étoiles à neutrons les plus légères peuvent provenir d'étoiles situées plusieurs dixièmes de M⊙ au-dessus du seuil de masse pour les supernovas à effondrement de coeur.
Et Müller et ses collègues montrent aussi qu' il n'y a pas de corrélation stricte entre la masse des étoiles à neutrons et les kicks (impulsions natales). Ils prévoient que les étoiles à neutrons les plus légères peuvent encore avoir kicks substantiels (bien qu'inférieurs à la moyenne). 

On le voit, combiner des prévisions de plus en plus détaillées et précises de la masse des étoiles à neutrons et de leur kick à l'extrémité de la distribution des faibles masses à partir des modèles d'explosion en 3D est très prometteur pour tester et valider notre compréhension de la physique des supernovas et de l'évolution stellaire. 

Source

Minimum Neutron Star Mass in Neutrino-Driven Supernova Explosions
Bernhard Müller et al.
Physical Review Letters vol 134 (21 february 2025)

Illustration

Simulation d'une supernova d'une étoile de 9,9 masses solaires (Müller et al.)

02/04/25

Un trou noir de 600 000 masses solaires dans le Grand Nuage de Magellan révélé par des étoiles hypervéloces


Une équipe d’astrophysiciens vient de mettre en évidence la présence d’un trou noir supermassif de 600 000 masses solaires dans la Grand Nuage de Magellan (LMC), grâce à l’analyse de la trajectoire de 10 étoiles hypervéloces qui en sont issues. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

Les étoiles hypervéloces (HVS) sont principalement produites par le mécanisme de Hills. Le mécanisme de Hills nous dit que lorsqu'une binaire stellaire s'égare près d'un trou noir supermassif, une étoile du couple peut être capturée, tandis que l'autre est éjectée à des vitesses pouvant atteindre plus de 1000 km s-1. L'étoile capturée peut ensuite produire un événement de rupture de marée observable ou une variété de classes apparentées de transitoires. L'étoile éjectée, elle, est projetée dans le halo galactique, où elle peut être observée pendant des centaines de mégannées avant de sortir de la galaxie à jamais. Le relevé HVS Survey a permis de détecter 21 étoiles de type B de la séquence principale qui se trouvent dans le halo extérieur de la Voie Lactée et qui sont compatibles avec une éjection par le mécanisme de Hills.

Jiwon Jesse Han (Smithonian Center for Astrophysics, Harvard) et ses collaborateurs ont revisité les trajectoires de ces étoiles à la lumière des mouvements propres du relevé astrométrique de précision de Gaia ainsi que des contraintes modernes sur l'orbite du LMC autour de la Voie Lactée. Ils ont constaté que la moitié des HVS découvertes par le HVS Survey remontent non pas vers le Centre Galactique mais vers le LMC.

La recherche observationnelle de HVS la plus fructueuse à ce jour a été le HVS Survey (W. R. Brown et al. 2006). Suite à la découverte fortuite d'une étoile B non liée dans le halo externe par W. R. Brown et al. en 2005, le relevé HVS a effectué une recherche systématique d'étoiles B non liées dans le halo via un suivi spectroscopique de candidates sélectionnées par photométrie. Comme il n'y a pas eu de formation récente d'étoiles dans le halo, toutes les jeunes étoiles trouvées dans le halo doivent y avoir voyagé d'ailleurs. L'étude HVS a ciblé les étoiles B parce qu'elles sont principalement jeunes et qu'elles peuvent être efficacement sélectionnées par photométrie. Pendant près d'une décennie, l'étude a permis d'obtenir les spectres de plus de 1400 sources du halo, conduisant finalement à la découverte de 21 étoiles de type B suspectées d'être non liées (W. R. Brown et al. 2014). Ces étoiles se trouvent à des distances de 50 à 120 kpc et ont des masses de 2,5 à 4 M. Le relevé avait une fonction de sélection bien définie, ce qui rend l'échantillon bien adapté à la modélisation de la population.

Il existe d'autres processus, en plus du mécanisme de Hills, qui peuvent accélérer les étoiles à des vitesses élevées. Le plus important est le kick décrit par Blaauw  en 1961, où une étoile est éjectée d'une binaire lorsque sa compagne explose. Pour les étoiles compactes, telles que les naines blanches et les sous-naines chaudes, cela peut produire des vitesses d'éjection comparables au mécanisme de Hills. En effet, la deuxième candidate HVS découverte a été US 708 (également connue sous le nom de HVS 2 ; H. A. Hirsch et al. 2005), qui est une naine chaude brûlant de l'hélium, qui a presque certainement été éjectée d'une supernova. Cependant, les étoiles B de la séquence principale ne peuvent pas être éjectées de supernovas avec des vitesses aussi élevées : leur vitesse maximale d'éjection de supernova est d’environ 500 km s-1, et la grande majorité d'entre elles sont éjectées à des vitesses beaucoup plus lentes de seulement quelques dizaines de kilomètres par seconde. Les interactions à trois et quatre corps dans les amas d'étoiles ont également été proposées comme un autre mécanisme de production d'étoiles à grande vitesse, mais elles produisent généralement des vitesses plus lentes que le mécanisme de Hills, et le taux d'éjection prédit des étoiles avec des vitesses supérieures à 500 km s-1 est beaucoup plus faible que le taux de naissance des HVS observés (W. R. Brown 2015).

Une caractéristique de l'échantillon de HVS découvert par l'étude HVS qui s'est avérée difficile à expliquer, c’est la distribution anisotrope des étoiles sur le ciel : environ la moitié des HVS non liées se trouvent dans la direction de la constellation du Lion, avec 52% (11 sur 21) des étoiles regroupées dans seulement 5% de la zone couverte par l'étude HVS. Les chercheurs appellent ce regroupement la « surdensité de Leo ». Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer la surdensité de Leo, comme par exemple un potentiel gravitationnel galactique anisotrope ou l'éjection d'étoiles d'une galaxie naine perturbée par la marée. Mais une idée particulièrement convaincante a été avancée par D. Boubert & N. W. Evans en 2016, ils ont étudié la distribution des HVS provenant d'un hypothétique trou noir de 170 000 M dans le Grand Nuage de Magellan et ils ont trouvé que la distribution résultante est dipolaire sur le ciel, en raison du mouvement orbital du LMC.

Han et son équipe ont repris la même idée, mais cette fois en bénéficiant des données astrométriques de Gaia. Etant donné leur distance typique de ∼70 kpc, les HVS ont de petits mouvements propres de l'ordre de 1 mas par an. Il est donc difficile de retracer les HVS jusqu'à leur site de lancement. Les mesures de Gaia ont permis à plusieurs auteurs de réexaminer les trajectoires des HVS et de monter que plusieurs HVS ne remontent pas jusqu'au centre galactique.

Parmi ces étoiles hypervéloces, l'étoile HE 0437-5439, également connue sous le nom de HVS 3 (H. Edelmann et al. 2005), fournit un indice très intéressant. Cette étoile de 9 M⊙ se trouve à ∼60 kpc du centre galactique mais à seulement ∼15 kpc du LMC. Il est peu probable qu'elle provienne de la Voie Lactée, car cela nécessiterait un temps de vol beaucoup plus long que la durée de vie d'une étoile de 9 M. Les mouvements propres de Gaia permettent maintenant de déterminer définitivement que l'étoile est tracée jusqu'au LMC (D. Erkal et al. 2019).

Han et ses collaborateurs ont donc construit un modèle prospectif pour des HVSs éjectées par un trou noir supermassif dans le LMC par le mécanisme de Hills et qui seraient observées par la fonction de sélection de l'étude HVS. Les distributions spatiales et cinématiques des HVSs prédites par la simulation sont remarquablement similaires aux distributions observées. En particulier, les chercheurs reproduisent le regroupement évident d’HVS autour de la constellation du Lion. Ils expliquent que ce regroupement se produit parce que les HVSs du LMC voient leur vitesse boostée de 300 km s-1 par le mouvement orbital du LMC, et que les étoiles lancées parallèlement à ce mouvement sont préférentiellement sélectionnées comme candidates HVS.

Les astrophysiciens ont construit un test selon lequel chaque étoile provient soit du centre galactique, soit du centre du LMC. Parmi les 16 étoiles qu’ils peuvent classer avec confiance, sept sont cohérentes avec une origine du Centre Galactique, tandis que les neuf autres étoiles sont cohérentes avec une origine du centre du LMC.

Les HVS originaires du LMC sont regroupées sur le ciel et montrent des vitesses d'éjection systématiquement plus faibles, ce qui est cohérent avec le fait qu'elles ont été produites par un trou noir supermassif moins massif que Sgr A*. Han et ses coauteurs en concluent qu’un trou noir supermassif dans le centre du LMC, qu’ils nomment LMC*, peut produire de façon auto-consistante des étoiles hypervéloces qui correspondent aux distributions observées des positions et des vitesses du relevé HVS. Et ce modèle prédit une surdensité de HVSs à l'endroit précis de la surdensité de Leo.

Han et ses collaborateurs ont appliqué également le cadre de leur modèle prospectif aux étoiles fugueuses provenant du disque du LMC et du disque galactique, éjectées à des vitesses mesurées pour les HVS provenant du LMC. Ils constatent que si de telles sorties de disque rapides existent, elles devraient être facilement détectables avec le relevé HVS ; et d'autre part, ils observent que la distribution de ces étoiles à l'heure actuelle est significativement plus dispersée sur le ciel par rapport aux observations, en raison d'un étalement des vitesses tangentielles induites par la rotation du disque du LMC. Ils en concluent donc que les HVS observées, originaires du LMC, doivent être principalement produites par un trou noir supermassif dans le LMC. Ils montrent des preuves supplémentaires de l'existence de LMC*, comme ils l'ont baptisé, en se basant sur l'étoile HE 0437-5439, qui a été éjecteé à une vitesse trop élevée pour être expliqué par autre chose que le mécanisme de Hills. Enfin, les chercheurs ont produit une série de simulations pour différentes masses de LMC* et différentes propriétés binaires afin d'effectuer une recherche de paramètres, et notamment la masse de ce trou noir supermassif. Les observables clés des simulations sont les vitesses moyennes d'éjection induites par Sgr A* et LMC*, et le rapport de comptage entre les deux populations de HVS. 

La masse la plus probable que Han et son équipe trouvent est d'environ 600 000 masses solaires. Ils précisent que cette masse de LMC* est significativement plus grande que ce qui a été précédemment supposé dans la littérature (par exemple, D. Erkal et al. 2019 supposaient une masse de LMC* de 10 000 M⊙ minimum, et A. Gualandris & S. Portegies Zwart en 2007 concluaient à une masse supérieure à 1000 M). 

Ils précisent qu'alors qu'un trou noir plus léger - comme considéré dans des travaux précédents - peut produire une HVS comme HE 0437-5439, en revanche, seul un trou noir supermassif peut produire un nombre comparable de HVS à ce que produit Sgr A*. Par ailleurs, les limites supérieures d'observation directe de la masse de LMC* sont bien plus élevées que n'importe laquelle de ces valeurs, à environ 10 millions  M ⊙ minimum (H. Boyce et al. 2017).

Un autre élément très intéressant, c'est que l'on sait que la dispersion de vitesse stellaire et la masse du trou noir supermassif  d'une galaxie sont fortement corrélées. Bien que le LMC n'ait pas de bulbe classique, on peut utiliser la dispersion de vitesse de sa barre et de son halo stellaire interne (∼50 km s -) pour estimer où se situerait le LMC* sur la relation M − σ. Han et ses collaborateurs montrent deux versions de la relation M − σ : l'une déduite d'un large échantillon de galaxies et l'autre adaptée aux trous noir supermassifs de faible masse. Pour les deux relations, 600 000 M⊙ tombe presque exactement sur la ligne σ  = 50 km s-1. Bien que ces relations aient une incertitude typique d'environ 0,5 dex (un facteur 3 dans en linéaire), il est clair qu'une masse de LMC* de 600 000 M⊙ est bien dans la plage attendue.

Un autre test de cohérence est proposé par Han et ses coauteurs : il consiste simplement à mettre à l'échelle la masse de Sgr A*, 4 millions M⊙, au rapport de masse stellaire du LMC à la Voie Lactée, ce qui donne une valeur de 200 000 M⊙ . En rappelant que Sgr A* tombe sous la relation M − σ par un facteur d'environ 2, on peut alors naïvement s'attendre à une masse de LMC* d'environ 400 000 M⊙, ce qui est dans la plage de masse dérivée par Han et al.. Les chercheurs en concluent que la masse de LMC* dérivée de cette étude est entièrement compatible avec la relation M − σ .

Han et ses collaborateurs rappellent en conclusion qu'il existe une incertitude majeure concernant l'orbite du LMC, qui provient des incertitudes observationnelles sur les positions, les vitesses et les masses des Nuages ​​de Magellan. Par exemple, une variation de 50 % de la masse totale du LMC peut entraîner une différence actuelle allant jusqu'à environ 40 km s-1 dans les vitesses des HVS. Bien que ces variations aient un impact mineur sur la population globale des HVS, elles peuvent altérer les orbites inférées des étoiles individuelles tracées jusqu'au centre du LMC. Mais compte tenu de ces incertitudes, ils soulignent que la prédiction de la surdensité de Leo est indépendante des orbites précises : seul un trou noir supermassif dans le LMC peut produire une surdensité de HVS étroite telle qu'observée dans les données.



Du coup, ils peuvent même utiliser les HVS observées originaires du LMC pour contraindre l'orbite réelle du LMC. L'historique orbital correct du système LMC–Voie Lactée devrait maximiser le chevauchement des HVS d'origine LMC avec les positions passées du centre du LMC. Han et son équipe gardent cette idée pour une future étude... 


Source

Hypervelocity Stars Trace a Supermassive Black Hole in the Large Magellanic Cloud

Jiwon Jesse Han et al.

The Astrophysical Journal, Volume 982, Number 2 (28 march 2025)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/adb967


Illustrations

1. Cartographie des positions des étoiles hypervéloces éjectées du LMC par le mécanisme de Hills (Han et al.). 

2Jiwon Jesse Han et al.