vendredi 6 novembre 2015

Mars : De bonnes pistes sur la disparition de l'atmosphère

On en sait maintenant beaucoup plus sur l’atmosphère de Mars ou ce qu’il en reste,  grâce aux observations de la sonde MAVEN dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue américaine Science ainsi que dans Geophysical Research Letters.



Ces résultats très riches font la couverture de Science du 6 novembre, qui propose un cahier spécial de quatre articles consacrés respectivement à l'observation de la réponse de la planète rouge à une éjection de masse coronale solaire, à la découverte d’une aurore diffuse martienne,  à la découverte de fortes variabilités de la thermosphère et de l’ionosphère et enfin à l’observation de poussières aux hautes altitudes de la planète rouge.
Vue d'artiste de la dépletion atmosphérique de Mars par
une éjection de masse coronale (NASA)
La sonde de la NASA MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile Evolution) a été lancée le 18 novembre 2013 pour explorer en détails la haute atmosphère de Mars . Elle est arrivée en orbite autour de Mars en septembre 2014 et mise en opération deux mois plus tard. Elle se déplace à des altitudes très variables au-dessus de la surface martienne, entre 125 km et 6200 km.
La question lancinante que se posent les planétologues spécialistes de Mars est : « où est passé le CO2 qui a dû être nécessaire pour permettre une température suffisante pour que des vastes étendues d’eau liquide aient pu exister à la surface de la planète ? », ainsi que « où est passée l’eau une fois évaporée ou sublimée ? ». MAVEN vient apporter quelques éclairages très instructifs qui permettent d’entrevoir une réponse à ces questions.

Bruce Jakosky (du Laboratory for Atmospheric and Space Physics (LASP) de l’université du  Colorado) et ses collaborateurs ont exploité des mesures effectuées par MAVEN lors d’une éjection de masse coronale qui a atteint Mars entre le 6 et le 8 mars 2015, produisant une forte intensité de vent solaire (des protons et des électrons  énergétiques) associée à de puissants champs magnétiques. Ils montrent que lorsque la bouffée est passée sur Mars, une augmentation importante d’ions accélérés est apparue et avec elle une forte augmentation d’échappements gazeux vers l’espace, du côté opposé au flux de particules solaires. Le taux d’échappement atmosphérique a été multiplié par 10 au cours de cette éruption. Ces observations tendent à indiquer que si les éruptions solaires ont été plus fréquentes et plus intenses  dans l’histoire ancienne du système solaire, elles pourraient avoir eu un effet direct sur la disparition de l’atmosphère martienne. L’ interaction intense du vent solaire, et à fortiori des éjections de masse coronale, sur Mars est rendue possible par l’absence de champ magnétique global sur Mars, a contrario de ce que nous connaissons sur la Terre.


Nick Schneider (également du LASP) et son équipe comprenant des astronomes français, publient eux la découverte d’une aurore très particulière, une aurore diffuse, produite par l’interaction d’une éruption solaire. A l’inverse d’autres types d’aurores qui sont plutôt localisées, celle observée par Schneider et al. se trouve être très étendue géographiquement, couvrant presque la totalité de l’hémisphère nord de Mars.
L’aurore a été observée grâce à l’instrument Imaging Ultraviolet Spectrograph de MAVEN jusqu’à une altitude de 60 km seulement et sur toutes les longitudes, pendant cinq jours d’affilée. Les particules énergétiques responsables de l’apparition en profondeur de cette aurore ont été évaluées à 200 keV d’énergie. Des électrons avec une telle énergie sont les seuls capables de pénétrer aussi loin. Les aurores, par leur phénomène de production d’ionisation et de dissociation des molécules, peuvent participer à l’augmentation de l’échappement atmosphérique. Et les chercheurs estiment que cette aurore très étendue est rendue possible là encore par l’absence de champ magnétique global, qui empêche de canaliser les électrons vers les régions polaires, mais au contraire permet de les répartir sur une grande partie du globe martien.
Vue d'artiste de l'observation de l'aurore diffuse par MAVEN
(LASP/University of Colorado)

Stephen Bougher (de l’Université du Michigan) et ses collègues ont quant à eux étudié de près la thermosphère et l’ionosphère de Mars. Ils ont exploré leur composition, leur structure et leur variabilité temporelle, jusqu’à une altitude d’environ 130 km. Ils montrent l’existence d’une grande variabilité à cette altitude qui se trouve être à la limite de la basse atmosphère, l’atmosphère « mélangée » et de la haute atmosphère, l’atmosphère « séparée », cette limite étant appelée l’homopause. La structure de ces régions est si variable qu’elle apparaît différente d’une orbite à l’autre. Les chercheurs y ont par ailleurs mesuré une population inattendue de particules neutres et de particules chargées. Cette zone de l’atmosphère martienne est d’autant plus intéressante qu’elle représente le réservoir primaire pour un échappement atmosphérique vers l’espace. Par leurs observations, Bougher et al. permettent ainsi d’apporter des contraintes supplémentaires sur les processus d’échappement des gaz volatiles qui sont contrôlés par la structure de la thermosphère et de l’ionosphère.

Laila Andersson (toujours du LASP) et ses collaborateurs, ont quant à eux découvert que de la poussière se trouvait en orbite autour de Mars. Ils ont pu détecter des impacts de grains de poussière sur la sonde, et ce depuis les plus basses altitudes (125 km) et jusque 1000 km d’altitude. La distribution spatiale de ces grains de poussière indique qu’il s’agirait non pas de matière martienne mais plutôt de résidus de débris du système solaire. Aucun processus physique connu ne permet en effet de propulser des poussières à des altitudes supérieures à 150 km… Ces poussières formeraient des couches discrètes dans l’ionosphère de Mars et pourraient modifier les processus chimiques qui s’y déroulent avant d’ensemencer la surface. Les chercheurs sont parvenus par comparaison avec des mesures en laboratoire et en faisant une hypothèse sur leur vitesse (18 km/s), à déterminer la taille de ces grains de poussière : entre 1 et 12 microns. Ces observations permettent de mieux cerner comment la poussière interplanétaire se déplace dans le système solaire interne et comment elle interagit avec l’atmosphère de Mars.
La sonde MAVEN avant son lancement (Reuters/Joe Skipper)
Enfin, Bruce Jakosky et d’autres collaborateurs publient un article compagnon à ceux de Science dans Geophysical Research Letters, dans lequel ils retracent les autres éléments clés mesurés jusqu’ici par MAVEN, notamment ce qui concerne la composition chimique de l’atmosphère en fonction de l’altitude, ainsi que la structure de l’ionosphère et de la « magnétosphère », qui se forme quand le vent solaire rencontre l’obstacle constitué par la haute atmosphère, l’ionosphère et les faibles champs magnétiques locaux de la croûte martienne.
On y découvre (ou redécouvre) notamment que le CO2 est l’espèce gazeuse dominante dans la très basse atmosphère (95%) mais aussi dans la partie basse de la haute atmosphère. A plus haute altitude, les abondances de O, O2, N et N2 augmentent rapidement dû à leur faible masse atomique (16, 32, 14 et 28 respectivement) par rapport au CO2 plus lourd (masse atomique de 44). L’argon de masse atomique 40 augmente aussi moins vite et finalement, au-dessus de 300 km d’altitude, le gaz dominant est l’oxygène atomique, O, suivi par le dioxygène et le diazote. Les gaz comme le O, N, CO, O2 et NO sont des produits de photodissociation de la molécule H2O et sont donc d’excellents traceurs des processus photochimiques qui ont lieu à la fois dans la basse atmosphère et dans la haute atmosphère de Mars.

La haute atmosphère de Mars a probablement joué un grand rôle dans l’évolution climatique de la planète rouge et notamment sur la stabilité de l’eau liquide. Les résultats publiés aujourd’hui ne sont que les premiers engrangés par MAVEN, et donnent déjà des indices très utiles aux chercheurs. MAVEN devrait poursuivre ses investigations au moins pour couvrir une année martienne entière, et certainement encore au-delà.


Sources :

MAVEN observations of the response of Mars to an interplanetary coronal mass ejection
B. Jakosky et al.
Science, Vol 350 Issue 6261 (6 November 2015)

Discovery of diffuse aurora on Mars
N. Schneider et al.
Science, Vol 350 Issue 6261 (6 November 2015)

Early MAVEN Deep Dip campaign reveals thermosphere and ionosphere variability
S. Bougher et al.
Science, Vol 350 Issue 6261 (6 November 2015)

Dust observations at orbital altitudes surrounding Mars
L. Andersson et al.
Science, Vol 350 Issue 6261 (6 November 2015)

Initial results from the MAVEN mission to Mars
B. Jakosky et al.
Geophys. Res. Lett., 42 (2015)

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