lundi 25 mars 2019

Europe : des mouvements océaniques étonnants induits par le champ magnétique de Jupiter


C'est la sonde Galileo qui a l'orée des années 2000 avait permis de conclure à la présence d'un océan liquide sous la croûte glacée d'Europe, satellite de Jupiter. Deux chercheurs français viennent aujourd'hui de montrer que cet océan devait avoir des mouvements très particuliers, induits par le champ magnétique de Jupiter. Ces mouvements océaniques pourraient contribuer à l'apparition des structures très singulières qui sont visibles à la surface du satellite Galiléen.  




C'est à partir des données recueillies par la sonde Galileo en 1997 et en appliquant des simulations avancées de magnétohydrodynamique de l'intérieur de Europe que Christophe Gissinger (Laboratoire de Physique de l'Ecole Normale Supérieure)  et Ludovic Petitdemange (Laboratoire d'Etudes du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique et Atmosphères, Observatoire de Paris) sont arrivés à leur conclusion. Dans l'étude qu'ils publient dans Nature Astronomy, ils montrent que le champ magnétique de Jupiter est encore très intense au niveau de l'orbite de Europe. Il s'étend au moins jusqu'à 5 millions de km de la géante gazeuse, enveloppant ses principaux satellites, avec un axe dipolaire qui est incliné de 10° par rapport à l'axe de rotation des satellites. 
Au niveau d'Europe, le champ magnétique et encore si fort que les ions présents dans l'océan liquide (salé) sous la croûte de glace (donc chargés électriquement), se mettent en mouvement par la force de Lorentz induite par la variation du champ magnétique (variation au cours de l'orbite dûe à l'inclinaison du dipôle). Il se crée alors une sorte de "jet stream" océanique au niveau de l'équateur d'Europe. Et chose surprenante, ce jet océanique aurait un mouvement rétrograde, c'est à dire avec une direction opposée à celle du mouvement de rotation du satellite jovien sur lui-même.
La vitesse de l'écoulement océanique produit par cet effet magnétique serait de quelques centimètres par seconde.
D'après les chercheurs français, ce jet océanique peut non seulement influencer la dynamique globale de l'océan, mais il pourrait aussi expliquer la formation des grandes craquelures qui couvrent la surface d'Europe. Ces mouvements antagonistes entre rotation de la planète et circulation du liquide sous la croûte de glace produiraient en effet un phénomène de torsion unidirectionnel sur la croûte de glace. En revanche, le mouvement océanique calculé ne pourrait jamais ralentir la rotation du satellite, qui reste dominée par les forces de marées considérables produites par Jupiter.

Gissinger et Petitdemange notent également que toute l'énergie magnétique ne serait pas transférée à l'océan d'Europe mais une partie serait dissipée sous forme de chaleur au niveau des pôles, pouvant produire un amincissement de la couche de glace au niveau des pôles. Cela faciliterait l'apparition de fissures dans la glace et la libération d'eau dans l'espace sous la forme de panaches, ce qui été effectivement aperçu par Galileo et par des télescopes terrestres, à l'image de ce qu'avait pu imager la sonde Cassini autour d'Encelade (satellite de Saturne), un satellite très semblable à Europe quant à sa structure interne...
Les autres sources de dissipation d'énergie connues qui peuvent expliquer la fonte de la croûte de glace de surface sont des sources radiogéniques (la radioactivité naturelle du noyau rocheux) ou les effets de marée, qui seraient associés à de puissants mouvements de convection dans la couche liquide décuplés par des phénomènes de production hydrothermale sur le plancher océanique. Mais ces phénomènes thermiques à eux seuls, ne peuvent pas expliquer l'existence des craquelures si particulières qui couvrent toute la surface d'Europe. Alors que le jet océanique rétrograde trouvé par Christophe Gissinger et Ludovic Petitdemange les explique très bien.
La force de torsion induite peut en effet avoir une influence directe sur la réorientation de la croûte glacée d'Europe à long terme, qui se traduit par une rotation dite "non-synchrone", typiquement invoquée pour expliquer l'apparition des grandes structures de fissures et craquelures d'Europe.
Les spécialistes misent maintenant beaucoup sur les futures missions à destination d'Europe, JUICE (JUpiter ICy moons Explorer) (avec une arrivée sur place en 2030) et Europa Clipper (quelques années plus tard)qui devraient permettre d'améliorer grandement les modèles avec des mesures de champ magnétique in situ


Source

A magnetically driven equatorial jet in Europa's ocean,
Christophe Gissinger et Ludovic Petitdemange
Nature Astronomy (11 march 2019)


Illustration

1) Europe imagé par Galileo (NASA/JPL-Caltech)

2) Cartographies de vitesse et de courant électrique calculées par simulation (Christophe Gissinger et al.)

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