dimanche 12 janvier 2020

Découverte de 5 pulsars au coeur de Omega Centauri


En 2010, le télescope spatial Fermi-LAT a détecté une source de rayons gamma provenant du centre de l'amas globulaire Omega Centauri. Serait-ce le signe de l'annihilation de particules de matière noire, ou bien l'émission de pulsars, voire la trace d'un trou noir très massif ? La question est restée ouverte pendant de nombreuses années faute de trouver des pulsars dans cet énorme amas. Mais aujourd'hui, c'est chose faite : une équipe internationale publie la découverte de 5 pulsars millisecondes par leur signal radio, dans le cœur de Omega Centauri. Une étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters.



Parmi les 200 amas globulaires qui peuplent notre galaxie, Omega Centauri (𝛚 Cen) est particulier  : c'est le plus gros, le plus massif et le plus lumineux d'entre eux. De plus, il montre la plus forte densité d'étoiles avec 10 millions d'étoiles dont 1 million dans sa région centrale, des étoiles qui sont très diversifiées avec une plage de métallicité (la richesse en éléments lourds) beaucoup plus large que ce qu'on voit chez les autres amas globulaires. 
Son origine a été longtemps débattue et reste encore sujette à interprétation : il pourrait être différent des autres amas globulaires en étant en fait le résidu d'une galaxie naine qui aurait été fortement dépouillée de ses étoiles périphériques par interaction avec la Voie Lactée.
Ce cas serait doublement intéressant pour les astrophysiciens car cela signifierait que ce résidu, situé à seulement 5,2 kpc (17 000 années-lumière)  devrait contenir une quantité non négligeable de matière noire et pourquoi pas un trou noir de grande masse (masse dite "intermédiaire", entre 1000 et 100 000 masses solaires). La source gamma (identifiée par FL8Y J1326.7–4729) détectée en 2010 par Fermi-LAT 2 ans après son lancement a donc un peu enflammé les esprits. 
Après première analyse du flux gamma détecté il y a 10 ans, les astrophysiciens avaient montré que ces photons gamma ressemblaient très fortement à ce que peuvent émettre des pulsars millisecondes (des pulsars en rotation rapide dont la période est de quelques millisecondes). Ils en avaient même conclu qu'il devait exister entre 10 et 28 pulsars millisecondes dans la zone centrale de 𝛚 Cen. Parallèlement, d'autres chercheurs avaient démontré en 2010 et 2019, par des études de dynamique et de cinématique des étoiles du cœur de l'amas globulaire géant, qu'il ne pouvait pas abriter un trou noir massif de plus 12000 masses solaires.
Depuis le début des années 2000, des pulsars avaient été activement recherchés dans 𝛚 Cen par leurs pulsations radio, mais sans succès, laissant la communauté astrophysique un peu perplexe.

Mais Shi Dai (CSIRO Astronomy and Space Science) et ses collaborateurs ont enfin réussi à mettre en évidence, non pas un pulsar dans le coeur de Omega Centauri, mais 5 d'un coup! grâce à l'utilisation du fameux radiotélescope australien Parkes. Les cinq pulsars sont très semblables en terme de période de rotation : tous millisecondes avec des périodes de 4,1; 4,2; 4,6; 4,8 et 6,8 ms. Quatre d'entre eux sont des pulsars qui vivent seuls, isolés, et le cinquième vit en couple avec une étoile avec une courte période orbitale de 2,1 heure.
Les chercheurs ont également produit des images radio du centre de 𝛚 Cen avec le réseau ATCA (Australian Telescope Compact Array) et trouvent une petite population de sources radio compactes, qui leur fait dire qu'il y aurait là d'autres pulsars qui n'attendent qu'à être formellement découverts par leur pulsation...
Lorsqu'on superpose les positions des 5 pulsars découverts et la zone d'émission gamma de la source FL8Y J1326.7–4729, on voit qu'elles se superposent quasi parfaitement. Dai et ses collaborateurs concluent que les pulsars millisecondes sont très probablement à l'origine des photons gamma détectés par Fermi-LAT, qui ne seraient donc pas dûs à une annihilation de matière noire.
Dai et ses collaborateurs précisent que l'émission gamma pourrait très bien être dominée par un seul de ces pulsars, comme ce qui est vu dans d'autres cas comme dans les amas NGC 6624 et M28. Il faudrait alors pouvoir détecter des pulsations dans le flux gamma, ce qui n'est pas encore fait. Le meilleur candidat selon les auteurs serait le pulsar qui vit en couple avec une étoile de faible masse (0,016 masse solaire seulement, si le pulsar fait 1,4 masse solaire), qui est ce qu'on appelle une "veuve noire". L'alternative serait la somme de toute une population de pulsars comme ce qui existe dans l'amas 47 Tucanae, avec dans ce cas peu de chance de trouver un signal périodique.

Ces pulsars (et les prochains qui seront peut-être découverts au centre de 𝛚 Cen) sont très intéressants car le suivi dans le temps de leurs pulsations individuelles devrait permettre aux astrophysiciens d'explorer la dynamique qui est à l'oeuvre dans le milieu interstellaire très particulier de la région centrale de Omega Centauri, à la recherche notamment de la présence d'un très gros trou noir via ses perturbations gravitationnelles.


Source

Discovery of Millisecond Pulsars in the Globular Cluster Omega Centauri
Shi Dai et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 888, Number 2 (9 january 2020)


Illustration

Omega Centauri (ESO)

2 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

Le mécanisme généralement évoqué à l'origine des pulsars milliseconde (PMS) implique une binaire ; les statistiques vont dans ce sens ; L'émission gamma éventuelle conforte l'accrétion. N'est-il pas alors surprenant que 4 des 5 PMS soient isolés ?

Pour les pulsars "veuve noire", peut-on encore parler d'étoile pour désigner un compagnon de la masse d'une naine brune, voire presque planétaire (pour PSR J 1311-3430 il ne fait même que 12 Mj), à haute densité, inerte sur le plan nucléaire et dégénéré ?

Dr Eric Simon a dit…

C'est une naine brune, une "étoile naine" brune, qui n'est pas à proprement parler une étoile, on est d'accord. Concernant les pulsars millisecondes, de mémoire il en existe environ 20% qui ne sont pas dans des systèmes binaires. Il est vrai que le recyclage par accretion est le mode logique de réaccélération jusqu'au kiloHertz mais dans les milieux très densément peuplés (on pense avant tout aux amas globulaires, comme ici), les interactions entre étoiles sont très nombreuses et les systèmes multiples peuvent se disloquer. Des cas de pulsars millisecondes dans un environnement beaucoup moins dense ont parfois été expliqués aussi par l'évaporation de l’étoile compagne induite par l’intense vent de particules produit par le MSP...