SN 2006gy est l'une des supernovas les plus lumineuses jamais observées. Elle fait partie d'une classe de supernovas qu'on appelle des supernovas superlumineuses. Aujourd'hui, des astrophysiciens suédois et japonais viennent de découvrir que derrière cette explosion extrême se cache une simple supernova de type Ia, mais qui aurait explosé à l'intérieur de l'enveloppe d'une étoile géante... Une étude publiée dans Science.
Depuis son apparition il y a 14 ans, SN 2006gy a été beaucoup étudiée mais les astrophysiciens étaient toujours incertains de son origine. Anders Jerkstrand (Université de Stockholm) et ses collaborateurs l'ont étudiée sous l'angle de la spectroscopie à haute résolution. Personne avant eux n'avait eu l'idée de comparer certaines raies non-identifiées dans le spectre de SN 2006gy enregistré 394 jours après l'explosion avec des raies du fer neutre (non ionisé); en effet, le fer qui est observé dans la lumière des supernovas est généralement ionisé. Et pourtant, c'était bien ça. Non seulement il y a bien là du fer neutre, mais il doit se trouver en grandes quantités pour pouvoir produire l'intensité des raies observées aux environs de 0,8 µm.
A partir du spectre, Anders Jerkstrand et ses collaborateurs parviennent à calculer que la quantité de fer présente dans le résidu de la supernova superlumineuse doit atteindre au minimum 0,3 masse solaire. Mais une telle masse de fer est impossible dans plusieurs scénarios qui étaient pourtant envisagés pour expliquer cette supernova superlumineuse. Parmi ces différents scénarios, élaborés à partir de la connaissance de la quantité totale d'énergie rayonnée par SN 2006gy (1051 erg), on trouvait l'idée d'une supernova "à instabilité de paires" induite par une étoile de très grande masse ou encore celle, atypique, d'une supernova à effondrement de coeur venant collisionner une géante bleue.
Mais il n'y a pas que la quantité totale de fer qui étonne ici, il y a aussi le fait que les raies observées dans le spectre ne peuvent exister que si la vitesse de l'éjecta est relativement faible, car il s'agit de raies d'excitation atomique d'un niveau (2,4 eV au-dessus du niveau fondamental) qui est excité par des collisions thermiques d'électrons, à des températures typiques de quelques milliers de kelvins. Or les supernovas "classiques" font à la fois trop peu de fer neutre et produisent des vitesses d'expansion trop rapides pour former ces raies caractéristiques du fer neutre. La largeur des raies du spectre de SN 2006gy fournit une valeur de la vitesse d'expansion de l'éjecta : 1500 km/s. Une telle vitesse 394 jours après l'explosion est effectivement faible.
Par ailleurs, le spectre montre aussi d'autres raies d'éléments, ionisés cette fois, notamment le calcium ionisé une fois (la raie Ca II) mais aussi des raies du fer ionisé une fois (Fe II). La ratio Fe I/FeII a notamment été très utile pour Jerkstrand et ses collaborateurs pour déterminer la masse minimale de fer impliquée, ainsi que la densité du gaz, le niveau d'ionisation global et la température. Une masse de fer inférieure à 0,3 masse solaire aurait notamment conduit à une quantité relative de Fe II et même de Fe III beaucoup plus élevée.
Cette grande quantité totale de fer est expliquée par les chercheurs par une forte production de Nickel-56 juste avant l'explosion (qui se désintègre ensuite rapidement (avec une demie-vie de 6,1 jours) en Cobalt-56 qui donne ensuite du Fer-56 avec une demie-vie de 77,3 jours). Et ce nickel met sur la piste de l'origine de ce cataclysme, il est le signe de la fusion thermonucléaire du silicium... Les chercheurs calculent que la quantité de nickel-56 nécessaire pour reproduire la luminosité de la supernova 394 jours après l'explosion est de 0,5 masse solaire...
Là encore, les premiers scénarios qui avaient été envisagés pour expliquer SN 2006gy ne collent pas avec une telle quantité de nickel-56 : les supernovas à instabilité de paires n'en produisent pas et les supernovas à effondrement de coeur peuvent en produire mais guère plus que 0,1 masse solaire. Pour produire 0,5 masse solaire de nickel-56, une supernova à effondrement de coeur (une supernova de type II) devrait produire une énergie de 1052 erg, 10 fois plus que ce qu'a émis SN 2006gy...
Après avoir passé en revue dans leur étude toutes les possibilités d'explosions afin de trouver un nouveau scénario capable de reproduire les observations, Jerkstrand et ses collègues arrivent à une solution pouvant expliquer la production de 0,5 masse solaire de nickel-56 et en même temps une expansion à 1500 km/s environ 400 jours après l'explosion : une supernova à la base plutôt classique : une explosion de naine blanche (une supernova de type Ia) mais qui aurait eu lieu à l'intérieur d'une grosse quantité d'hydrogène, typiquement une quantité de gaz égale à l'enveloppe d'une étoile géante rouge! Selon les astrophysiciens, la naine blanche se serait retrouvée à l'intérieur de l'enveloppe de son étoile compagne lorsque celle-ci aurait gonflé. Puis elle aurait spiralé vers le centre avant de rencontrer le coeur de la géante. Le mouvement de spirale de la naine blanche dans l'enveloppe de la géante aurait eu pour effet d'en éjecter une grande partie vers l'extérieur.
Il n'aurait pas fallu beaucoup de temps pour que la masse de la naine blanche dépasse la limite de stabilité et qu'elle explose en supernova sans laisser d'objet compact derrière elle. Lorsque la supernova a explosé, la matière éjectée est entrée en collision avec les restes de l'enveloppe de la géante qui l'entourait à proximité immédiate et c'est cette collision massive qui a produit la luminosité exceptionnelle de SN 2006gy tout en ralentissant fortement les éjecta primaires.
Le modèle hydrodynamique que les astrophysiciens ont construit décrivant l'interaction d'une supernova de type Ia avec un milieu circumstellaire très dense permet de reproduire toutes les observables de SN 2006gy : la courbe de luminosité et le spectre d'émission.
Il faut pour cela une enveloppe gazeuse de 10 masses solaires. Et d'après l'extension spatiale des restes de l'enveloppe stellaire qui est déduite du modèle et la vitesse d'expansion observée via les raies spectrales, les chercheurs déterminent que l'éjection de l'enveloppe de gaz par l'effet de la naine blanche a dû se dérouler entre 10 et 200 ans avant l'explosion cataclysmique SN 2006gy. Cette durée colle très bien avec ce qui est trouvé par ailleurs par simulation de l'interaction entre une naine blanche et l'enveloppe d'une géante : 10 ans dans le cas d'une géante rouge et entre 2 et 200 ans dans le cas d'une supergéante rouge. En un mot, la solution que Anders Jerkstrand et ses collaborateurs ont trouvée pour expliquer SN 2006gy est "nickel", et à tous les niveaux.
D'autres supernovas superlumineuses, comme SN 2006tf, SN 2008fz et SN 2008am montrent des similarités avec SN 2006gy, à commencer par l'énergie totale libérée qui se trouve être identique. Les astrophysiciens infèrent déjà qu'elles pourraient elles aussi être des supernovas induites par l'"absorption" d'une naine blanche par une supergéante rouge, mais malheureusement, aucune donnée spectrale d'aussi bonne qualité que celles de SN 2006gy n'est disponible les concernant. Il n'y a plus qu'à attendre l'apparition de nouvelles supernovas superlumineuses, et à ne pas les quitter des yeux...
Source
A type Ia supernova at the heart of superluminous transient SN 2006gy
Anders Jerkstrand, Keiichi Maeda and Koji S. Kawabata
Science 367 (24 january 2020)
Illustrations
1) SN 2006gy (Fox et al. Mon.Not.Roy.Astron.Soc. 454 (2015))
2) Spectre de SN 2006gy entre 0,6 et 0,9 µm, les raies du fer neutre sont détaillées dans le zoom (Jerkstrand et al.)
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