21/01/20

Les caractéristiques d'un trou noir supermassif lointain mesurées avec une précision extrême


Les caractéristiques physiques d'un trou noir supermassif lointain, telles que sa masse et sa rotation viennent d'être mesurées avec une excellente précision grâce au phénomène de réverbération des rayons X qui sont produits très près du trou noir et qui produisent un écho lumineux sur son disque d'accrétion. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.



Les échos (ou réverbération) de rayons X apparaissent généralement dans une région où l'espace-temps est fortement distordu, typiquement autour des trous noirs de grande masse où sont produits par ailleurs de grandes quantités de rayons X. En effet, des rayons X qui sont produits "au dessus" du trou noir, dirigés vers le haut ou latéralement peuvent se retrouver finalement avec des trajectoires incurvées qui vont les ramener vers le plan du disque d'accrétion entourant le trou noir, à cause de la courbure de l'espace-temps induite par le trou noir.
L'observation de ces échos de rayons X, c'est à dire l'observation des photons X qui ont réussi à tracer tout droit et de ceux qui ont été réfléchis sur le disque d'accrétion, mais qui venaient de la même source à l'origine, offre aux astrophysiciens des informations très riches sur le trou noir et son environnement immédiat.
La source initiale de rayons X observée ici par William Alston (Institute of Astronomy, Cambridge, Royaume Uni) et ses collaborateurs est ce que les spécialistes appellent une "couronne chaude", du plasma qui surplombe le trou noir, au dessus de son disque d'accrétion. Le gros intérêt de ce type de source est qu'elle est très variable dans le temps : le flux de rayons X qui sort du noyau de la galaxie IRAS 13224−3809, classée comme une galaxie de Seyfert, peut varier d'un facteur 50 en seulement quelques heures...
On peut donc facilement suivre les échos de cette source de rayons X qui montrent les mêmes structures variables dans le temps, mais décalées de quelques heures dans le cas du trou noir qui est étudié dans cette étude. 


Le décalage entre la lumière X directe et la lumière X réverbérée sur le bord interne du disque d'accrétion est directement liée à la longueur du chemin parcouru par les photons dans l'espace-temps courbe à proximité du trou noir. 
Le problème qui apparaît a priori dans cette méthode est que différents paramètres sont liés entre eux : la longueur temporelle de l'écho dépend à la fois de la masse du trou noir, du rayon interne du disque d'accrétion, de l'angle d'inclinaison de la ligne de visée et de la hauteur de couronne chaude d'où partent les rayons X.  Mais Alston et ses collègues ont réussi à décoréler les différents paramètres en faisant des observations très longues de la galaxie IRAS 13224−3809 avec XMM-Newton. Ils ont utilisé le télescope spatial européen durant 16 orbites avec à chaque fois une observation de 130 ks, soit un total cumulé de 2 Ms (ce qui fait l'équivalent de 23 jours non-stop). 
Grâce à ce long suivi dans le temps, les chercheurs ont pu comprendre, après quelques modélisations, que la luminosité variait en fonction de la hauteur de la couronne chaude. Cela leur a permis alors de mettre en évidence les aspects dynamiques qui avaient lieu dans la région la plus interne du disque d'accrétion. Une fois maîtrisé le paramètre lié à la hauteur de la couronne chaude (sa variabilité dans le temps), les astrophysiciens ont ensuite pu déterminer avec une grande précision la masse du trou noir, sa rotation, l'angle d'inclinaison par lequel il est observé, et le rayon interne du disque d'accrétion...

La masse du trou noir de IRAS 13224−3809 que William Alston et ses collaborateurs trouvent vaut 1,9 ± 0,2 millions de masses solaires. Il est donc plus petit que le trou noir de notre galaxie, Sgr A* (4,2 millions) mais énormément plus actif. Son facteur de rotation a (a = Jc/GM, sans unité, avec J le moment angulaire) est très proche de la valeur maximale (qui est égale à l'unité)  : il vaut 0,97 +0,01-0,13 : le trou noir tourne extrêmement vite... Quant à l'angle d'inclinaison obtenu, il vaut i=68 -6+4 , et enfin, le rayon interne du disque d'accrétion est égal à seulement 1,7 +1,1- 0,4 Rg ! (Rg= GM/c², c'est le rayon de l'horizon des événements d'un trou noir en rotation maximale, égal à la moitié du rayon de Schwarzschild qui est lui le rayon de l'horizon d'un trou noir statique).
En résumé : grâce aux observations détaillées des échos de rayons X issus de la couronne chaude de IRAS 13224−3809, les chercheurs déterminent que son trou noir supermassif est plutôt petit (mesuré avec une précision record de 200 000 masses solaires), tourne très vite sur lui-même, et que son disque d'accrétion s'approche vraiment très près de son horizon des événements, à seulement 2,85 millions de km (un peu plus de 7 fois la distance Terre-Lune)... Et le trou noir ainsi précisément caractérisé se trouve à la bagatelle de 1 milliard d'années-lumière de nous...

Source

A dynamic black hole corona in an active galaxy through X-ray reverberation mapping
William Alston et al.
Nature Astronomy (20 january 2020)


Illustrations

1) Vue d'artiste du phénomène d'écho de réverbération de rayons X (NASA/SWIFT/AURORE SIMONNET / Sonoma State University)

2) Schéma de principe de l'écho de réverbération et modélisation associée dans le cas de IRAS 13224−3809 (Alston et al.)

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