Une équipe d’astrophysiciens chiliens, états-uniens et européens a obtenu l’image la plus détaillée à ce jour des enveloppes de gaz qui entourent un couple de trous noirs supermassifs dans une galaxie résultant d’une fusion. C’est à nouveau le réseau de radiotélescopes ALMA qui a offert cette superbe observation. Une étude bientôt publiée par The Astrophysical Journal et présentée en avant-première hier au meeting de l'American Astronomical Society à Honolulu.
La galaxie NGC 6240 est en fait le résultat de la fusion récente de deux galaxies plus petites. Elle se situe à une distance de 400 millions d’années-lumière. Elle est assez bien connue et surtout pour sa structure complexe pour ne pas dire chaotique. La collision est encore en cours et les deux trous noirs supermassifs se sont déjà fortement rapprochés l’un de l’autre et finiront très probablement par fusionner à leur tour dans le futur lointain. Ils sont repérés sur les images par leur position : le trou noir ‘Nord’ et le trou noir ‘Sud’.
Pour étudier en détail ce qui se passe autour de ces deux trous noirs, les astrophysiciens doivent étudier le gaz, mais les images obtenues précédemment n’avaient pas la résolution suffisante. ALMA change la donne en offrant aux chercheurs une résolution améliorée d’un facteur 10, ce qui leur permet de voir pour la première fois la structure du gaz froid dans la galaxie, et ce jusque dans la sphère d’influence gravitationnelle des deux trous noirs.
Ezequiel Treister (Pontificia Universidad Católica, Santiago) et ses collaborateurs montrent dans leur étude que la plus grande partie du gaz ne se trouve pas autour des deux trous noirs, mais entre eux. Des études antérieures moins précises avaient conclu à la présence d’un disque de gaz en rotation mais un tel disque n’est pas observé ici. A l’inverse, les chercheurs expliquent qu’il existe des filaments de gaz qui s’écoulent de façon chaotique entre les deux trous noirs supermassifs. Par ailleurs, ils notent qu’une partie du gaz semble être éjectée vers l’extérieur à une vitesse de 500 km/s, sans pouvoir l’expliquer pour le moment. Un autre point notable qui est observé également est que le gaz se trouve plus près des trous noirs que ce qu’attendaient les chercheurs. Il devrait donc tomber dedans assez rapidement s’il n’est pas éjecté.
Les nouvelles images en ondes submillimétriques du gaz entourant les deux trous noirs supermassifs de NGC 6240, avec leur précision accrue allant jusqu’à leur sphère d’influence, donne à Treister et ses collaborateurs l’opportunité de mieux estimer la masse des monstres. Et le résultat est qu’ils seraient bien moins massifs que ce qui avait été estimé dans le passé sur la base de mouvements d’étoiles : quelques centaines de millions de masses solaires, contre environ 1 milliard. Cette nouvelle estimation plus précise est importante car elle indique que la masse des trous noirs supermassifs, estimée à partir des mouvements d’étoiles, pourrait donc être surestimée de 5 à 90% selon les cas d’après les astrophysiciens…
A peu près au même moment, une équipe européenne menée par l’allemand Wolfram Kollatschny (université de Göttingen) observaient eux aussi NGC 6240 mais dans le domaine visible en faisant de la spectroscopie à haute résolution avec l’instrument MUSE du VLT (Very Large Telescope). Leur étude, actuellement sous presse dans Astronomy & Astrophysics, mais dont la version preprint a été lue par l’équipe de Treister qui la cite, conclue à la présence de non pas 2 trous noirs supermassifs au cœur de la galaxie, mais 3, un cas très rare dans l’Univers local. Le trou noir ‘Sud’ vu par Treister et al. serait en fait, d’après Kollatschny et ses collaborateurs, lui-même formé d’un couple de trous noirs encore plus proches l’un de l’autre, séparés d’à peine 645 années-lumière… Selon eux, les trois trous noirs auraient tous une masse supérieure à 90 millions de masses solaires.
Mais les données radio submillimétriques de Treister et ses collègues ne montrent pas la présence d’un troisième trou noir à proximité immédiate du trou noir ‘Sud’… Ils pensent qu’un amas d’étoiles local pourrait produire la signature observée par les chercheurs européens, mais ils restent néanmoins prudents et ouverts sur cette possibilité qui devra de toute façon être explorée plus avant. NGC 6240 n’a pas fini d’attirer l’attention de nombreux astronomes.
Source
The Molecular Gas in the NGC 6240 Merging Galaxy System at the Highest Spatial Resolution
E. Treister et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal
Illustration
Image composite de NGC 6240, les deux noyaux actifs sont visibles, l'image de ALMA est en haut à droite (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), E. Treister; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello; NASA/ESA Hubble)
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