Le phénomène de « frame dragging » (entraînement de référentiel) est un effet prédit par la Relativité Générale lorsqu’une masse en rotation rapide entraîne l’espace-temps avec elle. Une équipe d’astrophysiciens australiens et européens viennent de mettre en évidence cet effet pour la première fois autour d’une étoile naine blanche en rotation très rapide, grâce au signal du pulsar qui lui tourne autour. Une étude publiée cette semaine dans Science.
Venkatraman Krishnan (Swinburne University of Technology, Melbourne) et ses collaborateurs ont observé le pulsar PSR J1141-6545, un jeune pulsar qui vit en orbite d’une naine blanche plus âgée que lui. Ils ont utilisé deux radiotélescopes australiens : le télescope Parkes et le réseau UTMOST et en modélisant les temps d’arrivée des pulses radio du pulsar, ils ont pu observer des décalages dans les paramètres orbitaux du système binaire. Les radioastronomes parviennent à déterminer que les variations orbitales qui sont observées ne peuvent être dues qu’à l’effet d’entrainement de référentiel, qui induit ce que l’on appelle un effet de précession de Lense-Thirring, du nom des deux physiciens qui l’ont trouvé théoriquement en 1918 en trifouillant les toutes jeunes équations d’Einstein : le plan orbital - qui peut être repéré par le point du périastre (point le plus rapproché des deux compagnes au cours de l’orbite elliptique) – subit un mouvement de rotation autour de l’une des deux compagne. Et l’inclinaison du plan orbital évolue également.
Ici, c’est la rotation de la naine blanche qui produit l’effet, et non l’étoile à neutrons. C’est la forte excentricité de l’orbite du système de PSR J1141-6545 qui a permis de déterminer l’effet avec une bonne précision.
L’effet de précession de Lense-Thirring a déjà été observé en champ faible par des expériences menées avec des satellites en orbite autour de la Terre. Il est aussi exploité pour analyser les spectres de rayons X des zones d’accrétion autour de trous noirs supermassifs, ce qui permet parfois d’en déduire leur rotation intrinsèque.
Dans un système de pulsar binaire (un pulsar accompagné d’une autre étoile, qu’elle soit « normale » ou naine blanche, les effets relativistes viennent s’ajouter à d’autres effets « newtoniens » qui peuvent mener eux aussi à une précession du plan orbital et de la position du périastre (effet de moment quadrupolaire, ou effet « spin-orbite »). On sait que dans le cas d’une étoile « normale », c’est l’effet de moment quadrupolaire (non relativiste) qui doit l’emporter. A l’inverse, dans le cas d’une étoile à neutrons, c’est l’effet Lense-Thirring qui doit dominer largement, mais dans le cas d’une naine blanche en rotation rapide, les deux contributions doivent coexister environ à parts égales. Krishnan et ses collaborateurs ont dû modéliser très finement le système pour extraire les deux types de contributions responsables des observations de décalages temporels dans l’arrivée des signaux radio du pulsar. Le résultat est que l’effet de précession de Lense-Thirring est bel est bien présent à côté de l’effet de moment quadrupolaire. C’est la première fois que cet effet relativiste est observé dans un système impliquant une naine blanche.
La période intrinsèque du pulsar est de 394 ms (pour une masse de 1,27 masses solaires) et la période orbitale du couple vaut 2,74 heures. A partir de la précession du plan orbital induit par l’effet relativiste qui est observé, les chercheurs déduisent la période de rotation maximale de la naine blanche sur elle-même : celle-ci doit être inférieure à 200 secondes (3,33 minutes)! La masse de la naine blanche est 1,02 masses solaires. Il faut donc (essayer d’) imaginer un objet compact d’environ la dimension de la Terre mais avec la masse du Soleil et qui tourne sur lui-même en moins de 4 minutes…
Il faut aussi rappeler que PSR J1141-6545 est l’un des deux seuls systèmes binaires confirmés de type étoile à neutrons – naine blanche dans lequel la naine blanche s’est formée avant sa compagne neutronique (l’autre est PSR B2303+46). Et la chronologie explique pas mal de choses, notamment la grande vitesse de rotation intrinsèque de la naine blanche. Les astrophysiciens expliquent le scénario qui a vu la naine blanche acquérir sa très grande vitesse de rotation :
Initialement, deux étoiles vivaient en couple, la première étant un peu plus massive que la seconde, mais pas suffisamment massive pour exploser en supernova (une masse inférieure à 8 masses solaires). Cette première étoile est arrivée en fin de vie et s’est transformée en naine blanche après avoir gonflé en phase de géante et en ayant expulsé son enveloppe (ce que vivra le Soleil dans 5 milliards d’années). Mais la seconde étoile aurait récupéré l’enveloppe expulsée par la première en l’accrétant. Se faisant, elle aurait gagné suffisamment de masse pour dépasser le seuil critique où la fin de vie est beaucoup moins calme : elle aurait donc explosé en supernova à effondrement de cœur (type II) en formant un pulsar. Mais juste avant d’exploser, cette seconde étoile devenue trop massive aurait à son tour éjecté une partie de son enveloppe qui aurait été réaccrétée par la naine blanche, et c’est cette nouvelle accrétion de matière qui aurait accéléré fortement la rotation de la naine, tout en la faisant un peu grossir. Une fois l’explosion de la supernova déclenchée, le reste de l’enveloppe de la seconde étoile est expulsée au loin et le pulsar résiduel ne peut plus reprendre de la matière à sa compagne puisque c’est une naine blanche déjà très compacte. On se retrouve donc avec un pulsar relativement lent et une naine blanche en rotation rapide.
La situation est très différente quand c’est le pulsar qui est plus âgé que la naine blanche (la grande majorité des couples de ce type connus) : dans ce cas, cela signifie que le pulsar était déjà présent quand l’étoile compagne a gonflé puis s’est transformée en naine blanche, il a alors pu accréter une grande partie de l’enveloppe de l’étoile et se recycler en accélérant et en devenant un pulsar milliseconde, tandis que la naine blanche gardait une vitesse de rotation normale.
Dans le cas de PSR J1141-6545, le pulsar n’a donc pas été accéléré et a conservé un champ magnétique élevé, typique des pulsars jeunes non recyclés. Quant à son axe de rotation propre, il est censé avoir eu une orientation aléatoire (par rapport au plan orbital du couple) à sa naissance suite à l’explosion de la supernova. Mais en l’absence d’accrétion ultérieure, il n’a pas pu s’aligner sur le moment angulaire orbital du couple. Ce désalignement est la cause de la précession de l’axe de rotation qui est également observée par Krishnan et ses collaborateurs, en plus de la précession de l’orbite, ce qui renforce d’autant le scénario envisagé.
Le pulsar binaire PSR J1141–6545 offre ainsi de riches informations sur la formation d’un couple d’étoiles moribondes, et permet de mettre une nouvelle fois la théorie de la Relativité Générale à l’épreuve des faits observationnels avec succès. L’effet de précession de Lense-Thirring est observé pour la première fois autour d’une étoile naine blanche en rotation très rapide.
Source
Lense–Thirring frame dragging induced by a fast-rotating white dwarf in a binary pulsar system
V. Venkatraman Krishnan et al.
Science Vol. 367, Issue 6477 (31 Jan 2020)
Illustration
Vue d'artiste d'un pulsar binaire incluant une naine blanche (ESO/L. Calçada)
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