ASASSN-15lh, tel est le nom de l’événement qui était considéré être la supernova la plus lumineuse jamais observée. "Etait", car on le sait maintenant, il ne s'agit en fait pas d'une supernova, mais d'une "crêpe stellaire flambée" : une étoile déchiquetée par un trou noir supermassif en rotation rapide...
Le terme de "crêpe stellaire flambée" a été inventé par Jean-Pierre Luminet et Brandon Carter au début des années 1980 pour imager le phénomène de destruction par effet de marée gravitationnelle d'une étoile dans le champ gravitationnel d'un trou noir. On appelle désormais ce phénomène plus sobrement "événement de déchirure par effet de marée" (tidal disruption event, ou TDE).
ASASSN-15lh a été découverte en 2015 par le programme All-Sky Automated Search for Supernovae (ASAS-SN) et la publication de sa découverte parue dans Science le 15 janvier dernier (voir ici ce que nous en avions dit) promettait que nous en reparlions très vite, tant la luminosité de cette potentielle supernova était hors du commun (200 fois plus élevée qu'une supernova classique). L'équipe chinoise qui avait analysé cette découverte avait rejeté l'idée d'une déchirure par effet de marée car le trou noir était si gros (une masse supérieure à 100 millions de masses solaires) qu'il aurait avalé directement l'étoile sans la déchirer.
Mais de nombreux astrophysiciens étaient restés dubitatifs face à cette classification en supernova, notamment du fait que l'événement avait eu lieu dans une grosse galaxie elliptique, qui ne forme plus de nouvelles étoiles et qui produit peu de supernovas.
Un autre fait un peu étonnant était l'existence d'un double pic de luminosité, très atypique pour une supernova et beaucoup plus cohérent avec une déchirure stellaire.
Une petite équipe, menée par Giorgios Leloudas (Institut Weizmann, Israël) s'est donc penché de plus près sur ASASSN-15lh en faisant des observations tout d'abord avec le télescope spatial Hubble pour montrer que l'événement avait eu lieu au centre de la galaxie, là où se trouve un trou noir supermassif, puis durant 10 mois en ultra-violet avec le réseau de télescopes de l'Observatoire de Las Cumbres, basé en Californie avec des unités réparties sur tous les continents. Les astrophysiciens publient leur étude dans le tout nouveau journal Nature Astronomy (journal en accès libre). Ce que les chercheurs montrent, c'est que l'événement observé est compatible avec une crêpe stellaire flambée à condition que l'on considère que le trou noir supermassif a une certaine vitesse de rotation, et plutôt élevée, ce que l'équipe chinoise n'avait pas considéré. C'est ainsi la première fois qu'une déchirure d'étoile par effet de marée est utilisée pour étudier presque directement la rotation d'un trou noir supermassif.
Car les chercheurs ont utilisé de nouveaux modèles théoriques de trous noirs en rotation (des trous noirs de Kerr) et montrent qu'avec une masse de l'ordre de 100 millions de masses solaires, ils peuvent tout à fait produire une déchirure d'étoile bien au delà de leur horizon.
L'étoile s'est retrouvé totalement disloquée en s'approchant trop près du trou noir puis le gaz a spiralé rapidement vers le trou noir tout en s'échauffant et produisant de nombreuses réactions nucléaires, ce qui a finalement produit cette prodigieuse émission de lumière ressemblant à celle d'une supernova démesurée.
Les observations de l'émission UV montrent par exemple une évolution en température cohérente avec une déchirure stellaire. La présence de gaz de carbone, azote et oxygène hautement ionisé est également un signe qui ne trompe pas, d'après les auteurs.
La très forte luminosité de l'événement peut être expliquée par la grande masse du trou noir associée à une grande vitesse de rotation.
"C'est comme découvrir un nouveau genre de dinosaure" dit Andy Howell, le leader du groupe d'étude des supernovas de l'Observatoire de Las Cumbres et coauteur de cette étude. "Maintenant que nous avons les bons outils et que nous savons quoi regarder, nous allons trouver plus de spécimens de ce genre. C'est tellement excitant de posséder de nouvelles façons d'apprendre des choses sur les trous noirs et la mort des étoiles!".
La vidéo ci-dessous montre comment l’événement ASASSN-15lh a dû se produire d'après les astrophysiciens : une étoile s'approche trop près d'un trou noir supermassif en rotation rapide et se retrouve déchirée par les effets de marée gravitationnelle, finissant par produire un flash de lumière semblable à celui d'une supernova superlumineuse.
Credit: ESO, ESA/Hubble, M. Kornmesse
En janvier dernier, je vous avais annoncé qu'on reparlerai très vite de cette "supernova" ASASSN-15lh, je n'imaginais pas qu'il faudrait moins d'un an pour avoir une réponse circonstanciée sur ce phénomène exceptionnel. La science avance parfois plus vite que la rotation d'un trou noir fût-il supermassif...
Source :
The superluminous transient ASASSN-15lh as a tidal disruption event from a Kerr black hole
G. Leloudas, et al.
Nature Astronomy 1, Article number: 0002 (2016)
Illustration :
Vue d'artiste d'une déchirure d'étoile par effet de marée (ESO, ESA/Hubble, M. Kornmesser)
5 commentaires :
Bonjour,
Pourquoi les effets de marée sont-ils plus importants, à masse égale, avec un trou noir en rotation rapide ?
La rotation du Trou Noir produit un cisaillement par l'effet d'entrainement de l'espace-temps (effet Lense-Thirring)
I believe there is no frame-dragging effect of gravity on mass, only on electromagnetic energy!
Curiously, the Lense-Thirring effect in Gravity Probe B has the same value than the geodetic effect of the Earth around the Sun.
Kinetic energy of a rotating body like Earth will increase gravity but more in the sense of classical force than classical aether!
An interesting experiment!
Understanding Gravity Probe-B experiment without math
http://www.molwick.com/en/gravitation/082-gravity-probe-b.html
http://www.molwick.com/en/gravitation/r-lense-thirring-frame-dragging.jpg
Bonjour,
Quelle est la durée réelle, observable par nos moyens terrestres, de l'évènement ?
la durée de la déchirure de l'étoile est très faible, mais l'augmentation de luminosité produite par le gaz "éparpillé" ensuite autour du trou noir, elle, a été observée entre 5 jours après l'événement et 300 jours après.
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