vendredi 3 mars 2017

Cartographie inédite de la matière sombre dans trois amas de galaxies

Trois nouvelles cartes détaillées de la matière sombre viennent d’être rendues publiques grâce à des observations de lentilles gravitationnelles par le télescope spatial Hubble.  Elles tracent la distribution de matière (ou du moins l’effet gravitationnel qui lui est attribué) dans trois amas de galaxies : Abell 2744, MACS J0416.1–2403, et MACS J1149.5+2223.





La collaboration internationale menée par  Priyamvada Natarajan (Université de Yale), qui comprend des chercheurs français du CRAL (Lyon), du LAM (Marseille) et de l’IAP (Paris), ont exploité l’effet (bien connu de vous maintenant) de lentille gravitationnelle, effet qui produit une déflexion de la lumière provenant de galaxies lointaines par la présence dans la ligne de visée d’une forte concentration de masse. Ces concentrations de masse sont ici trois amas de galaxies, dont la masse visible est facilement calculable mais dont la masse invisible, attribuée à ce qu’on appelle toujours la matière sombre (ou matière noire) ne peut être évaluée qu’indirectement par les effets gravitationnels qu’elle produit.
Les cartes que les astrophysiciens produisent montrent avec une finesse inédite la granularité de la distribution spatiale de la matière noire au sein des amas de galaxie. Il s’agit des cartes de distribution de matière noire les plus détaillées à ce jour.  On y voit des pics de densité qui correspondent aux galaxies, répartis sur un fond non uniforme, plus peuplé aux alentours des grands groupes de galaxies. Les plus petites concentrations de matière sombre « détectées » ici, ce qu’on appelle des sous-halos, ont  des masses de l’ordre de 3 milliards de masses solaires et les plus massives atteignent 10 000 milliards de masses solaires. Pour donner une comparaison, la masse totale typique de chacun de ces trois amas est de l'ordre d'1 million de milliards de masses solaires (soit environ 1000 galaxies comme la nôtre).

Un point qui a une très grande importance est que ces cartographies effectuées à l’échelle des amas ne montrent pas de « crise des sous-structures », un déficit de sous-halos comme celui qui est vu dans le voisinage proche de notre Voie Lactée et que l’on appelle communément le « problème des galaxies satellites » : Il y a bien le bon nombre de petites structures de matière noire dans les observations de ces trois amas de galaxies vis-à-vis de ce que prédit la théorie.
Il faut rappeler que le « problème des galaxies satellites » est une épine dans le pied des promoteurs de la matière sombre sous forme de WIMPs, car la théorie prédit qu’il devrait exister beaucoup plus de galaxies naines (remplies de matière noire) en orbite autour de notre galaxie, que ce que l’on observe aujourd’hui. Mais si les sous-halos de matière sombre sont bien détectés dans des amas lointains, leur manque dans notre voisinage ne pourrait alors être qu’un effet statistique ou un manque de sensibilité de nos moyens d’observation, et ne serait plus un « problème »…
Les astrophysiciens, dont la recherche est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, trouvent tout de même une petite différence au sujet des sous-halos de matière sombre entre leurs observations et les simulations, non pas sur leur nombre et leur distribution en masse comme nous venons de le préciser, mais sur leur distribution radiale au sein des amas. Les chercheurs en déduisent que les simulations ne parviennent pas à reproduire fidèlement les propriétés dynamiques de ces concentrations de matière ainsi que les morphologies complexes associées à une phase de multiples fusions entre galaxies au sein des amas, une phase transitoire dans laquelle doivent se trouver les amas étudiés, selon les chercheurs.

Le fait important à retenir de cette étude, au-delà d’offrir une jolie visualisation de la répartition de la matière sombre dans les amas de galaxies, est que ces observations viennent renforcer le modèle standard de la cosmologie LCDM qui considère la matière sombre comme constituée de particules massives non relativistes (des WIMPs). « Cet accord entre les simulations et les observations concernant la quantité de matière sombre et sa structuration en masse est tout à fait remarquable, d’autant que les preuves de l’existence de la matière sombre restent encore et toujours indirectes jusqu’à présent », rappelle Priyamvada Natarajan...


Référence

Mapping substructure in the HST Frontier Fields cluster lenses and in cosmological simulations
Priyamvada Natarajan et al.
Accepté pour publication dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (6 février 2017)


Illustrations

1) Carte de la matière noire de l'amas Abell 2744 obtenue via l'effet de lentille gravitationnelle (Natarajan et al.)

2) L'amas Abell 2744 imagé par Hubble (NASA/ESA)

4 commentaires :

Pascal a dit…

"ces observations viennent renforcer le modèle standard de la cosmologie LambdaCDM qui considère la matière sombre comme constituée de particules massives non relativistes (des WIMPs)".Est-ce à dire que les modifications législatives, type Mond, sont définitivement invalidées par toutes ces études sur la répartition du champ gravitationnel total, ou bien restent-elles compatibles avec elles ?

Cordialement

Dr Eric Simon a dit…

Ah mais les équations modifiées à la MOND n'expliquent pas la dynamique des galaxies dans les amas. Quand on les applique, il faut tout de même introduire une composante dark en plus pour retrouver les observations... La dynamique modifiée MOND ne s'applique "bien" qu'aux galaxies seules... C'est la raison pour laquelle ce type de gravitation modifiée phénoménologiquement ne s'est jamais imposée face à la CDM.

Anonyme a dit…

"Un point qui a une très grande importance est que ces cartographies effectuées à l’échelle des amas ne montrent pas de « crise des sous-structures », un déficit de sous-halos comme celui qui est vu dans le voisinage proche de notre Voie Lactée et que l’on appelle communément le « problème des galaxies satellites » : Il y a bien le bon nombre de petites structures de matière noire dans les observations de ces trois amas de galaxies vis-à-vis de ce que prédit la théorie."

Bien. Mais est-on sûr qu'il y a bien des galaxies satellites là où les observations qui dépendent de la théorie disent qu'il y a des sous-halos ?

Dr Eric Simon a dit…

Le point important n'est pas la présence de galaxies satellites, mais bien celle de sous-halos.