dimanche 5 mars 2017

Les Etoiles de Planck, sondes observationnelles de la gravitation quantique


Une des prédictions de la théorie de la gravitation quantique à boucles est la fin des trous noirs, vus alors comme étant des étoiles de Planck en rebond, qui se désintégreraient en explosant. De telles désintégrations de trous noirs pourraient être observées aujourd'hui pour les plus petits d'entre eux (des trous noirs primordiaux de quelques millimètres de diamètre) par un rayonnement gamma et un rayonnement d'ondes radio, qui ressemblent étonnamment aux singuliers GRB (Gamma Ray Bursts) et FRB (Fast Radio Bursts).




Nous avions parlé il y a trois ans ici même de cette hypothèse hardie proposée par Francesca Vidotto et Carlo Rovelli, qui montraient qu'en appliquant la théorie de la gravitation quantique à boucles, il ne pouvait jamais exister une densité infinie comme ce que prévoit la Relativité Générale au centre des trous noirs. Les trous noirs ne seraient dans ce cadre que des étoiles subissant un effondrement violent mais finissant par buter sur une densité maximale, égale à la densité de Planck (5,15 1096 kg/m3). Il s'ensuivrait alors un formidable rebond, comme une seconde supernova, mais ce phénomène se déroulant derrière l'horizon du trou noir dans une courbure de l'espace-temps extrême (mais non infinie), le temps propre du processus d'effondrement-rebond, de l'ordre de 1 ms serait vu par un observateur extérieur se dérouler en plusieurs millions ou milliards d'années du fait de l'extrême dilatation temporelle relativiste dûe au champ gravitationnel.

Le temps de désintégration des trous noirs dans ce cadre théorique de la gravitation quantique à boucles a été calculé par Carlo Rovelli et d'autres collaborateurs en 2016. Ils trouvent que ce temps de désintégration est proportionnel au carré de la masse du trou noir (notée m) relative à la masse de Planck, et proportionnel au temps de Planck  : t = (m/mPlanck)².tPlanck où  mPlanck et tPlanck  sont respectivement la masse de Planck (√(ħc/G)=2,176 10-8 kg) et le temps de Planck ((√(ħG/c5) =5,39 10-44 s).

On peut chercher quelle devrait être la masse d'un trou noir pour que sa durée de vie soit égale à l'âge de l'Univers actuel, c'est à dire quelle devrait être la masse des trous noirs formés au début de l'Univers et dont l'explosion devrait être visible aujourd'hui près de nous. Le résultat donne une masse de  l'ordre de 1023 kg, soit 0,02 fois la masse de la Terre, ce qui fait un trou noir d'une dimension de l'ordre du millimètre.


Carlo Rovelli associé à Aurélien Barrau avaient en outre calculé en 2014 quel devait être le signal produit par la désintégration de tels trous noirs primordiaux/étoiles de Planck de taille millimétrique. Le processus devrait produire deux composantes, une première à haute énergie, des photons gamma d'énergie de l'ordre du TeV, et la seconde à plus basse énergie ayant une longueur d'onde égale à la taille des trous noirs en question, donc dans les ondes radio (ondes millimétriques).

Ce que montre Carlo Rovelli aujourd'hui dans son nouvel article qui vient d'être publié dans Nature Astronomy, c'est que ces signaux auraient une caractéristique unique dans leur relation distance-décalage spectral : cette relation doit être différente de la relation classique du décalage vers le rouge (redshift) obtenue en observant la lumière d'objets normaux. Cette différence pourrait ainsi permettre de mettre en évidence ce signal d'une manière non équivoque : un tel signal donnerait donc une preuve par l'observation de la théorie des étoiles de Planck et donc de la gravitation quantique à boucles!

La différence observable vient du fait que plus ces trous noirs primordiaux explosant seraient vus  loin de nous, plus leur durée de vie devrait être courte, ce qui veut dire que leur masse serait petite. Et une masse petite implique une petite dimension, et par conséquent, une émission à basse énergie à plus petite longueur d'onde. Donc, plus ils sont éloignés, plus leur émission à basse énergie est décalée "vers le bleu" (plus petites longueurs d'ondes). Et il se passe un phénomène similaire pour la partie émise à haute énergie (photons gamma) car une plus petite masse du trou noir primordial implique une formation plus tôt dans l'histoire de l'Univers et qui dit plus tôt, dit à plus haute énergie et les photons gamma libérés lors de la désintégration auraient donc eux aussi une énergie plus élevée. Les deux composantes voient donc un décalage spectral "vers le bleu" (vers les plus basses longueurs d'ondes ou les plus hautes énergies) lorsque la distance d'observation augmente, ce qui est l'inverse du décalage spectral produit par l'expansion cosmique. 
Mais les rayonnements de ces hypothétiques explosions de mini-trous noirs subiraient également le redshift normal de l'expansion comme tout rayonnement. Il en résulte une évolution de la longueur d'onde de ce signal qui se décale tout de même vers le rouge en fonction de la distance, mais avec une évolution plus lente que celle de l'expansion cosmique seule.

Lorsque l'on observe tous les photons gamma intégrés sur tout le ciel et en considérant qu'une bonne partie d'entre eux proviendrait de ce signal de désintégration de mini-trou noirs primordiaux, la forme du spectre en énergie obtenue serait très particulière, si singulière qu'elle fournirait elle aussi une preuve observationnelle de l'existence de ces désintégrations de trous noirs primordiaux expliquées par la gravitation quantique à boucles.

Les astrophysiciens ont donc désormais les moyens de prouver si oui ou non la gravitation quantique à boucle est la bonne théorie permettant d'accorder les irréconciliables Mécanique Quantique et Relativité Générale, et si les Etoiles de Planck sont la bonne interprétation des trous noirs. Les caractéristiques spectrales des GRB et des FRB devraient maintenant être scrutées de très près...


Référence 

Planck stars as observational probes of quantum gravity
Carlo Rovelli
Nature Astronomy 1, 0065 (2017)
https://dx.doi.org/10.1038/s41550-017-0065


Illustrations

1) Simulation d'un trou noir (Alain Riazuelo)

2) Evolution du décalage spectral attendu du signal des étoiles de Planck (C. Rovelli)

3) Forme attendue du spectre en énergie de la composante gamma des étoiles de Planck (C. Rovelli).

3 commentaires :

Alexis François a dit…

Même après leur mort, Einstein et Bohr se disputent !

Pascal a dit…

Si j'ai bien compris, la désintégration des étoiles de Planck est un phénomène générique à la physique quantique, et donc son existence de principe serait très robuste. Pour la calculer numériquement en revanche il faudrait une théorie de gravité quantique, telle les boucles ; sur cette base, les TN primordiaux de 10^23 kg exploseraient maintenant. Cela cantonnerait l'évaporation à la Hawking au rôle de curiosité théorique, sauf pour de tous petits TN (< 10^11 Kg selon un calcul "sur le dos d'une enveloppe", car le temps d'évaporation serait proportionnel à M^3 contre M^2 pour la désintégration).

Ce qui me parait moins clair : le rayonnement observable d'une étoile de Planck est-il dû à la seule explosion terminale (sans résidu ?) tant dans le domaine gamma que radio, ou bien y a-t-il un rayonnement antérieur (comme dans le cas de l'évaporation) ?

En tout cas, la possibilité de confronter une théorie de gravitation quantique à l'observation dans un proche avenir est excitante !

Dr Eric Simon a dit…

Oui, il s'agirait seulement de la dernière phase de l'étoile de Planck, lorsque l'horizon disparaît, et ça ne dure pas longtemps!