Un petit nombre d'étoiles possèdent une abondance en lithium exceptionnellement élevée, défiant les modèles établis d'évolution stellaire. 12 nouvelles étoiles de faible masse et pauvres en éléments lourds mais extrêmement riches en lithium viennent d'être observées. L'une d'entre elles a 100 fois plus de lithium que ce qui est trouvé habituellement dans des étoiles de son type. Les astronomes ne comprennent pas comment une telle abondance est possible.
Les chercheurs japonais et chinois qui annoncent cette observation dans The Astrophysical Journal Letters ont étudié un échantillon d'étoiles situées dans le halo de notre Galaxie, qui sont distribuées sur une grande plage d'évolution, depuis des étoiles de la séquence principale jusqu'à des étoiles en phase de pré-géante rouge.
Jusqu'à maintenant, la dizaine d'étoiles qui avaient été trouvées avec plus de lithium que la normale à leur surface étaient toutes des géantes rouges. Mais là, il s'agit aussi d'étoiles moins évoluées, qui n'ont pas encore atteint les dernières phases de leur "vie".
Haining Li et ses collaborateurs ont utilisé le télescope chinois de 4 m Large sky Area Multi-Object fiber Spectroscopic Telescope (LAMOST) et le japonais Subaru (à Hawaï), en spectroscopie pour débusquer la raie d'absorption du lithium située à 670,78 nanomètres. Les 12 nouvelles étoiles très riches en lithium observées ont toutes une masse d'environ 0,8 masses solaires. Parmi elles, 5 sont à un stade relativement précoce de leur vie, juste un peu plus évoluées que le Soleil mais encore loin de la phase géante rouge, ce qui implique qu'elles n'ont pas connu de grand mélange de leur enveloppe comme c'est plus le cas des géantes rouges.
Ce simple fait indique que ces étoiles ont dû récupérer du lithium d'une manière ou d'une autre, dès leur plus jeune âge. Le plus étonnant, c'est qu'elles ne montrent pas d'excès d'autres éléments que le lithium, ce qui exclut une origine de type absorption d'une étoile compagne ou de planètes ou autre. Le lithium doit être présent dans ces étoiles depuis leur formation.
L'étoile qui montre l'abondance en lithium la plus colossale est nommée J0741+2132 (une des étoiles dans la phase pré-géante rouge), avec une valeur A(Li) = 4,5, alors que l'abondance primordiale n'est que de 2,2, et pour comparaison, l'abondance en lithium du Soleil est A(Li)⊙ = 1,05. L'abondance est calculée en relatif par rapport à l'hydrogène, de la façon suivante : A(Li) = log(n(Li)/n(H)) + 12, où n est le nombre d'atomes. En proportions relatives à l'hydrogène, J0741+2132 a ainsi 2800 fois plus de lithium que le Soleil.
Il faut se rappeler que le lithium fait partie des éléments légers qui ont été produits dans les cinq premières minutes de l'Univers lors de la nucléosynthèse primordiale. Cette phase a produit uniquement les premiers éléments de la table de Mendeleiev et leurs différents isotopes : hydrogène, deuterium, tritium, helium, lithium-6, lithium-7 et béryllium-7 par un jeu complexe de réactions nucléaires successives après la formation des premiers protons et neutrons par assemblage des quarks élémentaires up et down... Elle s'est brutalement arrêtée au bout de quelques minutes quand la densité et la température de l'Univers sont devenues trop faibles. Pour fixer les idées, les quantités de lithium sont des milliards de fois plus faibles que celles de l’hydrogène et de l’hélium, qui dominent largement la matière baryonique de l’Univers. Or les étoiles les plus vieilles semblent montrer un déficit inexpliqué de lithium, tandis que les étoiles jeunes semblent montrer une abondance trop élevée par rapport à la valeur d'abondance primordiale. La surabondance observée aujourd'hui renforce donc encore plus le "mystère du lithium".
Haining Li et ses collègues ont testé différentes hypothèses pour expliquer cette abondance aussi élevée. A cours, d'idées, ils en arrivent à évoquer une observation récente faite en 2015, qui avait identifié des explosions de novas comme des sources de lithium et de béryllium (nous en avions parlé ici en 2015). Ces novas ne produisent pas d'autres éléments plus lourds. Il se pourrait alors que J0741+2132 et ses cousines aient accrété de la matière éjectée par de telles novas. Les auteurs avouent cependant que ce n'est qu'une spéculation basée sur les niveaux d'abondance observés. Il est également possible qu'un processus physique encore mal cerné apparaissant dans l'histoire de la formation des étoiles soit à l'origine de la surabondance de lithium observée... Encore une observation qui pose plus de questions qu'elle n'offre de réponses.
Source
Enormous Li enhancement preceding red giant phases in low-mass stars in the Milky Way halo.
Haining Li et al.
Astrophysical Journal Letters. Vol. 852, January 10, 2018, L31.
https://doi.org/10.3847/2041-8213/aaa438
Illustrations
1) Voie de production de lithium-7 dans les explosions de novas (Nature)
2) le télescope LAMOST (Académie des sciences chinoise)
Illustrations
1) Voie de production de lithium-7 dans les explosions de novas (Nature)
2) le télescope LAMOST (Académie des sciences chinoise)
1 commentaire :
Quelques questions et réflexions.
La densité moyenne de lithium est-elle observée ou calculée à partir de la nucléosynthèse ?
Si la densité moyenne calculée (avec le calcul de sa dilution par l'expansion jusqu'à aujourd'hui) était plus faible que la densité moyenne observée aujourd'hui, on aurait d'une part la preuve que du lithium a été créé après la nucléosynthèse primordiale, et d'autre part l'explication du pourquoi les plus vielles étoiles en ont moins que la valeur moyenne attendue, et les plus jeunes plus que la moyenne attendue, elles seules ou surtout elles ayant pu profiter de la création de lithium post nucléosynthèse initiale.
Et les anomalies de forte surdensité de Li dans certaines étoiles pourraient en effet s'expliquer par leur formation à proximité d'une source locale de lithium, source aujourd'hui disparue. Je ne pense pas qu'elle aient décidé de faire quelque cure déraisonnable d'oligoéléments -:)
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